Dans cette tribune, Vincent de Bernardi explique en quoi le Front National, derrière une stratégie de dédiabolisation qui a conduit à sa banalisation, le mouvement de Marine Le Pen « reste profondément ancré dans la culture de l’extrême droite française, faisant notamment l’apologie de l’enracinement identitaire ».
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Depuis plusieurs mois, le Front National est en tête de tous les sondages d’intentions de vote. Marine Le Pen caracole en tête et rien ne semble de nature à la faire dégringoler, ni ses concurrents, ni les affaires qui la touchent. Cette situation inédite aurait presque tendance à ne plus choquer personne chez des Français trop occupés à regretter cette campagne détournée par les primaires, confisquée par l’affaire Fillon, bousculée par un trublion nommé Macron. Ils ont été pourtant parmi les premiers à pousser un « ouf » de soulagement lorsque l’extrême droite néerlandaise, donnée vainqueur dans de nombreux sondages, a finalement été battue par les libéraux.
Le Front National, malgré ses slogans apaisants, son image de plus en plus aseptisée, son idéologie revisitée, demeure un parti d’extrême droite. La dernière vague du baromètre Kantar Sofres pour Le Monde confirme que les Français sont lucides à l’égard d’un parti qui inquiète près de 6 personnes sur 10. Ils sont en effet 58% (+10 par rapport à 2012) à penser que le Front National est un parti dangereux pour la démocratie.
Malgré ce jugement, ils sont 33% (+2 par rapport à 2016) à se dire tout à fait ou plutôt d’accord avec ses idées. Cette opinion est davantage partagée dans les catégories populaires atteignant des niveaux élevés chez les employés (38%) et chez les ouvriers (48%). Le contexte marqué par la menace terroriste a partiellement contribué à cette adhésion plus soutenue. Les digues ont presque toutes sauté. Désormais, une large majorité considère que les djihadistes français binationaux devraient être déchus de leur nationalité française (72%). Ils sont 67% à estimer que la justice n’est pas assez sévère avec les petits délinquants et 66 % à juger qu’on ne défend pas assez les valeurs traditionnelles en France ; 59 % souhaitent que l’on donne beaucoup plus de pouvoir à la police et 51 % estiment qu’il y a trop d’immigrés en France.
La sortie de l’Euro divise fortement les Français
En revanche, la sortie de l’Euro divise encore les Français. Si 64 % des sympathisants du FN (+11 % par rapport à 2016) sont favorables à une sortie de l’Euro, les sympathisants « Les Républicains » ne sont plus que 11 % (-2 % par rapport à 2016) à partager cette opinion. A gauche, la chute est encore plus nette : de 22 % en 2016, ils ne sont plus que 14 % à le souhaiter.
A l’heure où certains redoutent ou espèrent la victoire de Marine Le Pen, cette enquête montre que c’est auprès des femmes, des cadres et des personnes âgées que le parti a le plus de difficultés à susciter la confiance. Pour autant, y compris parmi ces catégories, les idées frontistes se banalisent dans le débat public et même si le vote FN demeure encore un geste de transgression, ses idées deviennent acceptables et imprègnent de plus en plus la société.
Créditée de 24 à 27% des intentions de vote au premier tour de l’élection présidentielle, il apparaît que Marine Le Pen pourrait disposer d’une marge supplémentaire, la portant autour de 30% et dans une lecture purement sociologique, son élection pourrait ne plus être impossible. Face à ce phénomène de banalisation, les réactions sont peu nombreuses. Quelques media diffusent des enquêtes sur le vrai visage du FN, sur les idées réelles des militants frontistes, sur les « durs » du parti. Elles restent anecdotiques face aux attaques d’une armée d’activistes cherchant à les discréditer via les réseaux sociaux. Les autres candidats peinent à trouver des angles et à être audibles pour dénoncer des idées de plus en plus partagées.
Marine Le Pen renoue avec le nationalisme de Barrès
Après avoir pour partie transformé le socle idéologique du Front national hérité de son père, Marine Le Pen fait appel, dans cette campagne électorale, à un nouvel imaginaire, puisant des références chez Jaurès comme chez de Gaulle, élaborant un cadre conceptuel visant à libérer les Français d’un prétendu totalitarisme mondialiste, cherchant à rallier les révoltés du libéralisme économique, les exclus du système devenu une usine à corruption. Derrière cette France apaisée qu’elle promet, les classiques de l’extrême droite sont toujours là, même s’ils ont changé de nom. La préférence nationale est par exemple devenue la priorité nationale. La xénophobie qui a longtemps accompagné le discours sur le rejet des immigrés se transforme en xénophobie culturelle fondée sur le rejet de l’Islam. Et c’est sous couvert de la laïcité que ce discours se propage désormais.
Dans son combat contre « le mondialisme » qui soumettrait les démocraties et appauvrirait les peuples, elle renoue avec le nationalisme de Barrès. Pour elle, le triomphe libéral a rendu les individus interchangeables et leur a retiré toute identité. Et d’en appeler dans ses discours aux faux élans humanistes « à l’amour d’un pays et d’un peuple, à la passion pour une langue (…) ». Oui, le Front National reste profondément ancré dans la culture de l’extrême droite française faisant l’apologie de l’enracinement identitaire. Le 23 avril et le 7 mai, il faudra avoir à l’esprit que si la stratégie de dédiabolisation a conduit à la banalisation des idées, le Front n’est pas une option pour la démocratie.
Vincent de BERNARDI
mars 2017
► La note du chercheur Stéphane François sur l’entrisme des violents identitaires au FN