FN : analyses de violences militantes, et de dynamiques électorales (Fondation Jean Jaurès)

Comme le souligne Stéphane François, docteur en science politique, les chiffres contenus dans les rapports annuels de la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) montrent depuis 1995 trois recrudescences de violences relatives aux militants d’extrême droite: une première à contenu antisémite ; une deuxième montrant un rejet croissant des pratiques (publiques et privées) liées à l’islam ; et une dernière visant les populations Roms.

Aujourd’hui, des groupes radicaux comme le « Bloc identitaire » essayent de promouvoir la légitimité au combat identitaire (au sens racialiste, focalisant et mobilisant sur les origines ethniques ou l’appartenance religieuse) en le présentant comme celui de la sauvegarde d’une civilisation en péril, tout en rejetant l’usage de la violence. Les dirigeants optent pour une stratégie gramsciste consistant à concentrer la bataille sur le plan culturel des idées. Cependant, le mythe de la violence salvatrice et créatrice reste très vivace à l’extrême droite. Ils ont donc dû mettre en place des stratégies de contrôle de celle-ci.

Cette dynamique des identitaires racialistes ultras est bien présente au sein Front National, auprès de Marine Le Pen. Ce parti cherche à se donner une image moins agressive mais leur savoir-faire véhément dans le domaine médiatique n’échappe à personne. La question posée est de savoir si les électeurs et militants d’extrême droite radicalisés vont changer au contact du « nouveau FN », en apparence moins violent ou si, à l’inverse, ils poussent le Front national à développer leurs thèmes-clés (« remigration », « guerre ethnique », etc.), instillant des tensions violentes dans le débat public et le pays.

► Voir l’intégralité de l’analyse de Stéphane François

► « Gare à la banalisation du FN » par Vincent de Bernardi

avril 2017

 

L’analyse du vote FN et de ses ressorts (table ronde Fondation Jean Jaurès)

L’Observatoire des radicalités politiques de la Fondation Jean-Jaurès a fait (le 3 mai, avant le 2ème tour de la présidentielle) le point sur la campagne de Marine Le Pen et livré des analyses sur la dynamique électorale du vote Front national. En présence de : Jean-Yves Camus, politologue, directeur de cet Observatoire, chercheur rattaché à l’IRIS, auteur avec Nicolas Lebourg du livre « Les droites extrêmes en Europe » (Seuil, 2015) ; Sylvain Crépon, docteur en sociologie, maître de conférences en science politique à l’université de Tours et membre du Laboratoire d’étude et de recherche sur l’action publique (LERAP), auteur notamment du livre « Les faux-semblants du Front national » (Presses des Sciences Po, 2015) ; Joël Gombin, politiste (CURAPP-ESS/université de Picardie Jules-Verne), spécialiste de sociologie électorale, qui enseigne à Sciences Po Paris et Sciences Po Aix. Il a notamment publié « Le Front national » (Eyrolles, 2016) ; Nicolas Lebourg, docteur en histoire, chercheur associé au Centre d’études politiques de l’Europe latine et auteur de « Lettres aux Français qui croient que cinq ans d’extrême droite remettraient la France debout » (Les Échappés, 2016) ; et Jérôme Fourquet, directeur du département « Opinion et stratégies d’entreprise » de l’Ifop, dont les travaux portent notamment sur la sociologie et la géographie électorale. Voici quelques uns de leur éléments d’analyse concernant le vote Le Pen du 1er tour de la présidentielle.

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Joël Gombin, sur la géographie du vote FN

« Il faut prendre les cartes des résultats du premier tour avec davantage de précision, car on doit prendre en compte la démographie du pays. Ce qui est le plus frappant, c’est que le vote Macron est le plus homogène géographiquement. On remarque un vote centre ville / périphérie mais le vote Macron n’est pas tout à fait le symétrique du vote Le Pen.

Pour Marine Le Pen, on retrouve à peu près la même structure géographique qu’en 2012. Ce vote s’est renforcé en 2017 là où il était faible ou moyen en 2012. Son vote progresse peu là où elle était déjà forte en 2012. On note un renforcement dans les terres intermédiaires, plus que dans les bastions. Les 4 départements dans lesquels Marine Le Pen perd des voix par rapport à 2012 sont Paris, les Hauts de Seine, la Seine Saint Denis et le Val de Marne. 4 départements urbains où son niveau de 2012 était déjà assez faible. On voit donc là l’opposition entre une France urbaine et une France plus périphérique. Il y a une progression du vote FN dans les Alpes Maritimes, le Var, le Tarn et les Pyrénées Orientales. Ce ne sont pas forcément des départements ruraux mais des départements ‘intermédiaires’ entre rural et urbain. Très clairement, une partie du vote de droite qui s’est portée vers le FN dans ces territoires ».

Jérôme Fourquet, sur les rapports de force

« Le rapport Macron/Le Pen (intentions de vote pour le 2ème tour) est resté à peu près stable à 60/40. C’était effectivement le même rapport de force que l’on avait observé avant le premier tour. En fait, ce clivage était déjà intégré. Il s’agit d’un clivage par rapport à la mondialisation. Macron et Le Pen veulent imposer un nouveau clivage contre l’ancien gauche/droite. Pour Marine Le Pen par exemple, le second tour était recherché comme un référendum pour ou contre la mondialisation. En outre, ce nouveau clivage se renforce encore davantage grâce à la logique institutionnelle de la Présidentielle. D’autre part, les candidats éliminés ont aussi du se prononcer sur ce nouveau clivage. C’est un schéma que l’on avait d’ailleurs observé lors des élections de 2016 en Autriche ».

Nicolas Lebourg, sur le comparatif 2002/2017 et la campagne de Marine Le Pen

« Jean Marie Le Pen peinait à faire campagne en 2002 avec un bon nombre de manifestations contre lui. Les thèmes de l’époque étaient la préférence nationale et la peine de mort. Des thèmes que l’on entend moins en 2017, où il y a eu une volonté ‘d’ouvrir’. La situation politique a aussi bien changé : les trotskistes, par exemple, étaient à 11% des voix, contre moins de 2% aujourd’hui avec des masses social-démocrates qui existent davantage. Marine Le Pen a cherché à éviter une mobilisation de toute la gauche sur les valeurs alors que son score relativement décevant du premier tour est dû au fait que la campagne n’a pas forcément beaucoup porté sur ses thèmes (voile islamique, thèmes identitaires, etc…) mais davantage sur des thèmes économiques (la mondialisation…). Ce recentrage thématique de la campagne n’a pas forcément favorisé Marine le Pen au premier tour.

Par ailleurs, Marine Le Pen place des mots comme brutalité et extrémisme pour qualifier Emmanuel Macron. Des termes habituellement utilisés pour le FN… Et elle a tenté de transformer une sociologie électorale en un choc politique France périphérique/France du centre ville. Comme une tentative de fédération autour du Non de 2005 ».

 Sylvain Crépon, sur la stratégie du FN

« Marine Le Pen n’a pas fait une très bonne campagne. Elle n’a pas bâti une stature présidentielle car elle dit pourquoi il faut faire les choses mais sans dire comment. Cela fait clairement défaut au FN. Son réservoir de voix se trouve plutôt à droite mais on a vu dans le même temps Marine Le Pen s’adresser à l’électorat de ‘La France insoumise’. On y voit la perpétuation d’un fondamental idéologique, elle continue de fonctionner avec un logiciel du ‘ni droite, ni gauche’. On est dans ce référentiel idéologique (d’extrême droite).

L’essentiel du champ politique français continue de se positionner par rapport aux problématiques du FN. Les campagnes électorales se gagnent d’ailleurs en dehors des périodes de campagnes. Dans la durée, le FN a réussi à dicter son logiciel de thématiques à l’ensemble du champ politique (réforme du code de la nationalité du temps de Pasqua, discours de Sarkozy) : cela fait du FN un parti lobby avec des mesures que pourra ensuite appliquer la droite. C’est une stratégie idéologique avant même d’être électorale. Marine Le Pen voulait se retrouver contre Emmanuel Macron pour confirmer et amplifier son logiciel identitaire qu’elle a aussi porté en 2011 (en prenant la succession de Jean-Marie Le Pen) ».

Jean-Yves Camus, sur la campagne 2017 :

« Il n’y a plus de communauté de destin (en France). On se demande, au fond : qu’est ce qui nous rassemble ? Et on est passé du stade de l’adversaire à celui de l’ennemi. Il y a eu une violence rhétorique effarante dans cette campagne. Beaucoup de propos violents et d’intimidations envers les journalistes.

La figure de l’immigration n’a jamais disparu de la campagne. Il y a toujours eu des attaques dans l’histoire de l’extrême droite contre les immigrés et contre ceux qui les font venir. C’est la vieille rhétorique frontiste disant que des forces organisées ont décidé de modifier volontairement le peuple français, prémices de la théorie du grand remplacement ».

Jean-Yves Camus, sur le FN à l’international :

« Si l’on regarde les contacts internationaux de Jean Marie Le Pen, on retrouvera le Pape Jean Paul II, Ronald Reagan, un voyage officiel au Japon, aux Philippines, quelques visites en Europe centrale. Et que peut nous montrer Marine Le Pen ? Poutine, oui, mais cela a pris du temps. Bien sùr, sa visite à Moscou est un point d’orgue à ne pas négliger mais Jean Marie Le Pen l’a précédé dans les années 1990 sur ce terrain là, il s’intéressait beaucoup à ces nationalistes de gauche. Le bilan international de Marine Le Pen apparaît donc comme décevant : rencontre ratée avec Trump et elle n’a pas obtenu le soutien du parti Ukip ».

Jérôme Fourquet, sur l’abstention :

« Il faut avoir à l’esprit que le niveau d’abstention n’est pas neutre pour le rapport de force final qui serait d’environ 60/40 en faveur de Macron. Mais Marine Le Pen à 40%, c’est déjà colossal pour un second tour d’une élection présidentielle. 40% serait le double du score de Jean Marie Le Pen en 2002. Mais il faudrait le tripler pour arriver au pouvoir. A stock de voix identique, il lui faudrait + 15% d’abstention et que cette abstention se fasse dans le camp des ‘macroniens’. La participation est également liée au niveau de diplôme. Par ailleurs, le FN perd toujours historiquement des voix entre la présidentielle et les législatives, avec d’importantes pertes ».

Sylvain Crépon, sur l’apport de Marine Le Pen depuis 2011 :

« L’apport de Marine Le Pen concerne surtout l’implication locale avec le travail sur un réseau d’élus locaux. Marine Le Pen a permis cette constitution de réseaux et de fiefs. C’est d’ailleurs une de ses grandes différences avec Jean-Marie Le Pen. Il y a cependant une difficulté à pérenniser ces réseaux d’élus locaux. Sur ce point là, Marine Le Pen fait ce qu’il faut pour arriver au pouvoir. Et le FN fait de mieux en mieux aux élections intermédiaires. Ces élections fournissent des mandats, des postes de collaborateurs et donc cela structure le parti. Si on veut viser le pouvoir, il faut pouvoir avoir des postes pour garder les meilleurs cadres ».

Joël Gombin, sur le front républicain :

« Le front républicain ne fait pas l’unanimité à droite. C’est la fin d’un cycle initié par la création de l’UMP en 2002. Puis il y a eu Nicolas Sarkozy qui prônait l’alliance avec les électeurs du FN sans s’allier au parti. Après 2012, la droite n’a pas su regagner du terrain de façon structurelle. Au contraire, elle a perdu des électeurs partis au FN. Mais à gauche, le front républicain est aussi contesté depuis le quinquennat de François Hollande (législative partielle dans l’Oise 2013, régionales 2015 en Lorraine). Tout cela est en germe depuis longtemps avec un débat à gauche sur ce front républicain. Avec le discours de Valls, le Guen ou Cambadélis, qui consiste à dire que ce qu’il y a de pire pour la gauche c’est le FN, on est dans une stratégie d’antifascisme rénové. Il semble aussi que Mélenchon ne souhaite plus utiliser cette stratégie. Aussi, les socialistes, hors période électorale, ont répété que droite et extrême droite c’était pareil. Donc, cela met les électeurs dans des situations psychologiques compliquées ».

Nicolas Lebourg, sur la recomposition politique :

« On a inventé l’élection à 8 tours, en partant du principe que le gagnant de la primaire de droite serait le vainqueur de la Présidentielle. Il semble clair que le Parlement ne sera pas offert mécaniquement au Président de la République. Il y a une reconfiguration démocratique entre un pôle nationaliste patriote souverainiste et un pôle européiste mondialiste, selon la terminologie du FN. On notera aussi qu’il y a un décentrage à droite comme l’alliance avec ‘Debout la France’ ou Paul-Marie Couteaux qui était allé chez Fillon. Des liens potentiels se tissent ».

(03/05/17)