« Que répondre à Zemmour ? Si ce n’est rappeler que nous sommes frères en humanité ? » (par Marc Knobel)

Le polémiste Eric Zemmour, plusieurs fois condamné au pénal pour « exhortation à la discrimination et à la haine » raciale ou religieuse, est un récidiviste de la provocation assumée: quelques jours après sa condamnation par la Justice, il déclare sur CNews que les migrants mineurs étaient « tous » – et d’insister « tous » – des « voleurs, violeurs et assassins » ! Plusieurs organisations ont porté plainte, le CSA (Conseil supérieur de l’audiovisuel) a saisi le Procureur de la République et ouvert une procédure pouvant enclencher des sanctions contre cette chaîne TV. Sur le terrain des idées et des valeurs universelles qu’il veut privilégier, l’essayiste et historien Marc Knobel, ancien membre du conseil scientifique de la Dilcrah (délégation interministérielle à la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la haine anti-LGBT) nous adresse ce texte sur le principe d’humanité et de fraternité, qui puise dans des références bibliques.

Sur CNews mardi 29 septembre 2020, Éric Zemmour a assimilé les migrants mineurs isolés à des « assassins », des « voleurs », et des « violeurs ». En janvier 2020, à propos des enfants qui meurent noyés en Méditerranée, Éric Zemmour disait sur la même antenne cette monstruosité : « Je n’en ai cure (…) Pour défendre mes enfants, je préfère que l’autre meure, plutôt que ce soit mes enfants qui meurent. »

« Que répondre à ce faisceau de stupidité, cette grossière essentialisation, ces mots insupportables ? »

Que répondre à ce faisceau de stupidité, à cette grossière essentialisation, ces mots insupportables et déshumanisés ? Et, si ma réponse puisait dans les textes bibliques?

… Mon frère en humanité, tu as bien un visage, une voix, des yeux, une langue, que ce fut l’arabe ou l’anglais, tu as bien une histoire, des amis, une famille, des proches, une vie sociale, tu as bien le droit que l’on se souvienne de ton regard, que l’on cherche ton nom, que l’on dise ton prénom, que l’on récite une prière, que l’on entonne une chanson, que l’on parle de toi comme si tu étais vivant.

Mon frère en humanité, même si ta langue maternelle n’est pas la mienne, même si ta peau est foncée, même si tes yeux sont noirs, même si ta religion diffère de la mienne, même si tu vis en un ailleurs que j’ignore, même si tu ne sais pas que j’existe, même si je ne sais pas que tu existes, tu as le droit au respect, l’amour que l’on doit à son prochain. Mon frère en humanité, notre silence vous accable, probablement. Notre indifférence, vous remplit de honte, probablement. Et, j’entends ton cri.

Tu as le droit de réclamer que l’on se soucie des tiens, que l’on n’oublie pas ton prénom : Ahmed, Amal, Asma, Aïcha, Cherifa, Dalal, Djihane, Emna, Ezzeddine, Farid, Fahed, Ghita, Hanine, Haroun, Issam, Jamal, Kadir, Kenza, Lofti, Malika, Mansour, Nawal, Nuri, Omar, Racha, Rana, Riham, Salima, Sherine, Talat, Wassim…

« Mon frère en humanité, lisons les commandements… »

Mon frère en humanité, ton prénom vaut bien les nôtres. Pourquoi devrais-je seulement pleurer lorsque Monique, Sylvie, Joëlle, Armelle, Christine, Jean, Pierre, Frank, Didier ou Alain meurent ici, à Paris ? Pourquoi devrais-je forcément manifester/pleurer pour eux et taire ta mort et ta douleur ?…

Mon frère en humanité, lisons les commandements et partageons leur enseignement : « Que la charité soit sans hypocrisie. Ayez le mal en horreur ; attachez-vous fortement au bien » (Romains, 12) … « Et quand je distribuerais tous mes biens pour la nourriture des pauvres, quand je livrerais même mon corps pour être brûlé, si je n’ai pas la charité, cela ne me sert de rien » (Corinthiens, 13). Car, « quand tu donnes, tu dois donner de bon cœur » (Deutéronome). Au fond, « la bonne action et la mauvaise ne sont pas pareilles. Repousse le mal par ce qui est meilleur ; et voilà que celui avec qui tu avais une animosité devient tel un ami chaleureux » (Sourate Fussilat, 34).

C’est ainsi que les Traditions, les Livres ou les Recueils sacrés de toutes les Ecritures lisent en nos cœurs et veulent ouvrir notre cœur, justement avec bienveillance. Les traditions s’accordent pour vouloir nous mener vers le respect, que nous soyons des rayons de lumière, de générosité, de bienveillance et d’amour de son/notre prochain. Ne serait-on pas ainsi plus heureux si nous voulions nous ouvrir aux autres ?

Ecoutons encore les commandements et buvons leur substantielle moelle : « Si quelqu’un dit : J’aime Dieu, et qu’il haïsse son frère, c’est un menteur ; car celui qui n’aime pas son frère qu’il voit, comment peut-il aimer Dieu qu’il ne voit pas ? » (Jean, 4). « Maudit soit celui qui méconnaît le droit de l’étranger, de l’orphelin, de la veuve ! » (Deutéronome – XXVII, 17).

 » Je ne veux pas enterrer la déclaration des Droits de l’Homme sur l’autel de vos angoisses perpétuelles. »

« Si un étranger réside avec vous dans votre pays, vous ne le molesterez pas. L’étranger qui réside avec vous sera pour vous comme un compatriote et tu l’aimeras comme toi-même » (Lévitique, XIX – 33). « Heureux ceux qui répandent la paix car Dieu les reconnaîtra pour ses fils » (Evangile de Matthieu, chapitre 5 verset 9).

L’humilité, la sérénité, l’offrande, la générosité, la compassion encore, l’accueil, la fraternité envers autrui, y compris l’étranger ou le réfugié, l’amour de son prochain, le partage, le don de soi, l’amour toujours sont là les commandements. Lorsque je vous vois alors aimer intensément votre prochain, lorsque je sens cette flamme puissante et qu’à votre tristesse infinie succède le doux bonheur, que vos mains se tendent, que vos yeux pétillent, que votre sourire apaise, que votre cœur devient l’Humanité toute entière, je sais, je sens que l’on peut croire encore en un monde meilleur.

Éric Zemmour, je suis Juif, comme vous. Je ne veux pas plus vous accabler, mais je n’ai pas du monde et de l’Humanité, la même lecture que vous. Pourtant, j’aime autant la France que vous, j’aime son souffle puissant. Mais je ne veux pas enterrer la déclaration des Droits de l’Homme sur l’autel de vos angoisses perpétuelles.

Marc KNOBEL, essayiste, historien.

(02/10/20)