« L’entreprise est une solution, pas un problème » (Frédéric Monlouis-Félicité)

Frédéric Monlouis-Félicité est délégué général de l’Institut de l’entreprise. Il a auparavant été consultant interne chez GE Capital (groupe General Electric) puis cadre chez un grand éditeur de logiciels européen. Il a débuté son parcours professionnel en tant qu’officier. Il est diplômé en relations internationales de l’Ecole Spéciale Militaire de Saint-Cyr, titulaire d’un MBA de l’INSEAD et ancien auditeur de l’Institut des hautes études de la Défense nationale (IHEDN). L’actuel délégué général de l’Institut de l’Entreprise nous transmet son point de vue sur l’esprit de l’entreprise et l’engagement patronal.

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La dynamique entrepreneuriale est un puissant moteur de changement et de création de richesse, qui dépasse le strict champ de l’entreprise. Grâce à cette énergie, nous pouvons faire de la France un pays où chacun peut s’accomplir, en encourageant l’audace, la liberté et le goût d’entreprendre, avec une jeunesse capable de se projeter avec enthousiasme dans l’avenir.

Il faut marteler une idée simple : l’entreprise est une solution, et non un problème pour la France comme certains discours idéologiques persistent à la présenter. Tout simplement parce que l’entreprise est le levier le plus efficace du redressement économique et social. La création d’emplois et le maintien de nos grands équilibres sociaux ne seront possibles que si nos entreprises sont prospères. La France a su générer un écosystème entrepreneurial riche et dynamique qu’il importe de préserver et de développer pour permettre au pays de tirer tous les bénéfices d’une économie mondialisée en perpétuelle mutation.

Pour preuve, une large majorité de Français disent aimer l’entreprise, et lui faire davantage confiance qu’à toute autre institution pour apporter des solutions aux problèmes que traverse le pays. Cette « sagesse des foules » est récente et largement liée à l’impuissance, ressentie ou réelle, des pouvoirs publics face aux conséquences de la crise de 2008. Nous vivons une forme de revanche de l’entreprise sur les organisations administratives ou étatiques, la première étant parfaitement adaptée à un monde complexe et globalisé, contrairement à la sphère publique, conçue pour gérer de l’uniformité dans un environnement stable.

Mobilisation autour d’un projet commun

L’esprit d’entreprise doit irriguer l’ensemble de la société française, parce qu’il n’y a pas d’exercice plus fertile de trois valeurs fondamentales : la liberté, la responsabilité et la créativité. La philosophie d’action de l’entreprise est concrète parce qu’elle joue sa survie tous les jours. Sa posture, par nature, est positive : il ne s’agit pas de nier les obstacles, mais de trouver le moyen de les surmonter. Le changement est consubstantiel à l’entreprise, elle s’adapte par nécessité aux évolutions sociales, politiques ou économiques, elle imagine sans cesse de nouveaux modes d’organisation pour articuler le local et le global, tirer parti de sa taille et de son savoir-faire.

Comme l’engagement de nombreux acteurs économiques dans la COP 21 l’a montré en décembre 2015, l’entreprise est une extraordinaire machine à résoudre les problèmes. C’est pourquoi les constantes qui assurent le succès de nos entreprises pourraient utilement être mises à profit pour transformer la France. Le sens de la créativité, la recherche de la cohésion dans l’action, le souci de la formation des hommes, la mobilisation autour d’un projet commun, la valorisation du travail, l’attention portée à tous les partenaires de l’entreprise, la capacité de s’appuyer sur des principes d’actions durables dont la mise en œuvre s’adapte aux changements de l’environnement… En un mot, la performance par la cohérence. A l’heure où l’énergie entrepreneuriale ne s’est jamais aussi bien portée et où les frontières de l’entreprise explosent, il faut plus que jamais cultiver les zones de convergence entre l’esprit d’entreprise et « l’esprit français », tous deux faits d’ingéniosité, de recherche d’excellence, de vocation universaliste, d’attention au progrès social…

Nos entreprises sont un atout pour le pays. Dans le terreau humaniste qui est le leur en France, elles portent des valeurs utiles à l’intérêt général. Sans avoir la prétention de définir elle-même le bien commun, l’entreprise peut participer à sa construction en faisant le pont entre la croissance économique et le progrès social. Dès lors, il est vital que l’élite économique – je veux parler des dirigeants de nos ETI et grandes entreprises – considère que son rôle ne s’arrête pas à la porte de l’entreprise. Trois remarques m’amènent à cette réflexion.

L’entreprise et l’Etat ont un intérêt partagé

C’est dans les moments où la société vacille sur ses bases que l’engagement des chefs d’entreprise prend tout son sens. Historiquement, c’est ce que l’on constate après la Seconde guerre mondiale, quand il a fallu reconstruire le pays à marche accélérée, ou dans les années 70 après le premier choc pétrolier et la contestation sociale de mai-68. Le moment que nous vivons actuellement est tout à fait comparable à ces grands basculements, avec la montée des populismes, le risque d’éclatement de l’Europe confirmé par le Brexit ou le terrorisme islamiste. Quand les repères sont brouillés, l’entreprise reste l’une des rares institutions à proposer un projet auquel les citoyens peuvent se raccrocher.

– Contrairement à une idée répandue, l’Etat n’a pas le monopole de l’intérêt général. Pour paraphraser Jean Tirole, notre prix Nobel d’économie, dans son ouvrage Economie du bien commun, nous sommes tous détenteurs d’une parcelle d’intérêt général : citoyens, entreprises, Etat, collectivités, associations… L’entreprise et l’Etat ont un intérêt partagé à réfléchir de façon conjointe aux grands enjeux collectifs d’avenir (équilibre budgétaire, innovation, formation, emploi, environnement…). Les chefs d’entreprise ont une responsabilité de pédagogie vis-à-vis du reste de la société. Ils doivent s’attacher à mieux faire comprendre l’entreprise, son fonctionnement, sa logique et son rôle positif dans la société. C’est un enjeu majeur pour faciliter l’évolution du modèle français vers plus de responsabilité, de prospérité et de solidarité.

Malgré la suspicion permanente qui entoure leurs moindres faits et gestes et la tendance naturelle née de la mondialisation à ne plus faire de la France l’unique objet de leur attention, les dirigeants d’entreprise sont profondément attachés à l’intérêt général et à la France. Cependant, il faut reconnaître que notre pays n’encourage pas l’attachement. Il suffit de constater le nombre croissant de délocalisations de sièges sociaux et de fusions d’entreprises au détriment du territoire ces dernières années, provoqués par un environnement globalement défavorable. Si ce processus n’est pas inversé,  le risque est réel que la prochaine génération de dirigeants se sente beaucoup moins attachée à la France que ne l’étaient leurs prédécesseurs, tout simplement parce qu’ils y réaliseront de moins en moins de chiffre d’affaires et que leurs cadres dirigeants et les membres de leur conseil d’administration seront de moins en moins français.

Modèle jacobin obsolète

La question principale ne me semble donc pas tant celle du lien entre l’entreprise et les citoyens – c’est une réalité à la fois tangible et sensible et les sondages montrent que les Français sont dans l’ensemble attachés à leur entreprise – que du lien entre l’entreprise et le territoire. Parce que le champ de responsabilité de l’entreprise s’élargit sans cesse, nulle entreprise ne peut prospérer aux dépends de son écosystème. Par ailleurs, les territoires et les métropoles acquièrent une pertinence nouvelle au détriment du modèle jacobin devenu obsolète. De nouvelles formes d’alliances doivent voir le jour entre entreprises, États, élus locaux et société civile pour affronter les défis économiques, environnementaux, éducatifs, ou sociaux pour lesquels aucun acteur seul n’a la solution. Comment recréer de l’affectio territorialis pour que les chefs d’entreprise aient envie de s’investir en France et dans leurs écosystèmes locaux ? Ce défi devrait être au cœur du débat de la présidentielle en 2017, car il permet de répondre à la question explosive de la fracture territoriale, dont on sait bien qu’elle nourrit les votes extrêmes.

Frédéric Monlouis-Félicité est délégué général de l’Institut de l’entreprise

(octobre 2016)

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