Le Pen est « une injure à la mémoire du Général de Gaulle »: Michaël de Saint Cheron à La Revue Civique

Michaël de Saint Cheron, essayiste, auteur d’un ouvrage « Dialogues avec Geneviève de Gaulle-Anthonioz » (Grasset), président de la préfiguration du Centre d’études André Malraux pour le dialogue des cultures, répond ici aux questions de La Revue Civique sur le sens premier à donner, selon lui, aux commémorations de l’Appel du 18 juin lancé par le Général de Gaulle. Et à la tentative de récupération par l’extrême droite, et Marine Le Pen en particulier.

– La Revue Civique : 2020 est « Année de Gaulle »; quel sens premier doit avoir, selon vous, la re-mémoration du Général de Gaulle en 2020 ?

– Michaël de SAINT CHERON: L’Appel du 18 juin demeurera une date centrale de l’histoire de France, une de ces dates dont on peut être le plus fier en tant que Français. Il est essentiel de commémorer cette date, cet appel, la Résistance au nazisme, et de l’enseigner aux jeunes générations surtout. Pas un Président français, depuis 1969, qui ne chercha à se mettre un moment ou un autre sur les pas de De Gaulle, y compris son grand ennemi politique que fut François Mitterrand.

2020 « année de Gaulle » pour plusieurs raisons, ouverte par le Président de la République, Emmanuel Macron, et qui sera clôturée le 9 novembre 2020 à Colombey-les-deux-églises.

– L’extrême-droite lepéniste cherche à récupérer l’héritage gaullien, Marine Le Pen s’est rendue sur l’ile de Sein, que pensez-vous de cette démarche ?

– Cela est une injure à la mémoire et aux combats historiques et politiques qui furent ceux du général de Gaulle. À cet instant, je me souviens de « l’Appel du 18 mai 1996 » que signèrent Geneviève de Gaulle Anthonioz et plusieurs membres de la famille du général, quand Charles, l’un de ses petit-fils homonymes, décida de se présenter sur la liste du Front National : « NON, Monsieur Charles de Gaulle, candidat Front National aux élections européennes, le nom que vous portez ne vous appartient pas ; il ne vous appartient pas de vous en servir pour défendre des idées et des hommes qui, depuis plus d’un demi-siècle, sont les ennemis de ce qu’incarnait le général de Gaulle. Pétainiste, OAS, révisionniste, raciste et antisémite, sur tous les fronts, ce parti extrémiste et factieux a combattu violemment de Gaulle, la Résistance, l’intégrité de notre patrie. »

Cela dit tout, et la réception houleuse de Marine Le Pen sur l’île de Sein, ce 17 juin dernier, le prouve encore une fois.

L’un des livres de Michaël de Saint-Chéron, en dialogues avec Geneviève De Gaulle-Anthonioz.

Le rapport de de Gaulle à l’art, l’architecture, à la culture, n’est pas si connu ».

– Qu’est-ce qui vous paraît moins connu, ou moins souvent évoqué concernant le Général de Gaulle, et qui mériterait peut-être davantage être connu et évoqué, par exemple dans les commémorations ?

– Concernant ce qui est moins connu et mériterait de l’être davantage, je proposerai deux réponses. Il apparaît d’abord que le rapport de de Gaulle à l’art, à l’architecture, à la culture, n’est pas si connu, surtout durant la décennie où il occupa la charge suprême. Certes, il avait à sa droite André Malraux, Ministre d’Etat chargé des Affaires culturelles, en qui il avait la plus grande confiance et qu’il admirait. Mais si l’on compare un instant cette décennie gaullienne avec les quatorze ans de l’ère François Mitterrand – avec lequel il partageait au moins le fait d’avoir eu le même Ministre de la Culture sous sa présidence (Jack Lang, Ministre dans chacun des gouvernements socialistes, entre 1981 et 1993, hors parenthèse de la cohabitation, de 1986 à 1988, avec François Léotard) – on est frappé de l’absence de toute grande création architecturale qui incarnerait le souhait régalien. Même le musée du XXe siècle que Malraux avait confié à Le Corbusier, mort prématurément, n’a pu se faire. Donc, oui, l’intérêt de Charles de Gaulle, Président de la République, pour l’art et la culture, reste mystérieux.

Le second point est encore plus spécifique mais non moins mystérieux et ombrageux. Là encore, de Gaulle envoie Malraux en première ligne au centenaire de l’Alliance Israélite universelle en 1960, et l’écrivain-Ministre signa là l’un de ses grands discours et marqua de son empreinte les liens de la Vème République naissante avec la communauté juive de France et l’histoire du peuple juif.

Un autre livre de Michaël de Saint-Cheron.

Il y eu des incompréhensions de beaucoup de Juifs dans les années 60, et pour plusieurs historiens de cette période ».

Mais cela n’empêche pas que ce discours eût été un autre grand moment, si de Gaulle en personne avait accepté d’inaugurer cette cérémonie à l’UNESCO, car l’Alliance israélite représente l’une des plus nobles institutions juives de France, dont le Président n’était autre que René Cassin. René Cassin avait rejoint de Gaulle à Londres dès 1940, puis le général lui confia la rédaction des statuts de l’Ordre de la Libération, créé par l’ordonnance n°7 du 17 novembre 1940. Il reçut la croix de la Libération par décret du 1er août 1941.

Mais un troisième élément est à considérer. De Gaulle lui-même lui demanda en 1942 de prendre la présidence provisoire de l’Alliance Israélite universelle, et au lendemain de la guerre il fut reconduit dans sa charge jusqu’à sa mort en 1976. Cette absence du Général – du Président autant que de l’ami qu’il était pour René Cassin – demeure incompréhensible à beaucoup de juifs et aussi à plusieurs historiens de cette période.

Nous étions fort loin de la « guerre des Six-Jours » et du repli gaullien par rapport à la politique israélienne. On ne peut pas non plus mettre au compte de  la guerre d’Algérie ce retrait de Gaulle d’un événement marquant de l’histoire juive nationale. Quand il s’agissait de marquer tel événement qui scellait un peu plus les liens de la France avec le Vatican et l’Eglise catholique, de Gaulle était toujours présent. Alors, oui, il y a un mystère de ses relations avec le monde juif, avec la communauté juive de France qui était devenue, après les ravages de la Shoah, la première communauté juive européenne (sans parler de l’Union soviétique). Mais je ne puis terminer sans évoquer la visite historique du général à la synagogue de la paix, qui eu lieu à Strasbourg, en décembre 1964.   

(18/06/20)

-Le site de la fondation Charles de Gaulle

-L’entretien de La Revue Civique avec le Président de la fondation Charles de Gaulle, Hervé Gaymard