Comment la France se classe-t-elle parmi les grandes nations du monde ? Une étude inédite, mesurant « l’image instantanée » de 26 pays et leur « image projetée » – sur leur « capacité à tirer parti de la mondialisation » – a été réalisée en 2012 par l’institut Harris Interactive. L’échantillon : un millier de leaders économiques et leaders d’opinion internationaux. Conçue par l’agence W, Havas Design+, HEC Paris, Ernest &Young et Cap, cette étude « Nation Goodwill Observer » est analysée ici par Denis Gancel, Président de l’agence W, initiateur aussi de « l’Observatoire de la marque France » (réalisé par ViaVoice). La France décroche ? Des atouts lui permettent de rebondir : « il nous faut aussi une révolution copernicienne sur le rapport à l’entreprise et aux marques. C’est pour cela que je me bats sur ces sujets. Mais les choses progressent. Enfin, un Premier ministre ose parler de la marque France ! Il était temps de comprendre que la France a un gisement immatériel exceptionnel. »
La REVUE CIVIQUE : L’étude du « Nation Goodwill observer », dont vous êtes partenaire, présente un classement inédit de 26 grands pays. Quel est son apport ?
Denis GANCEL : C’est la première fois qu’une étude réunit le « tangible » et « l’intangible ». Sur le sujet des images-pays, il y a deux familles d’études, généralement séparées. D’un côté, la famille des études fondées sur la collecte de données quantitatives (nombre d’infrastructures, indices de performance…), de l’autre, la famille des études plus qualitatives, qui renvoient à une subjectivité d’appréciations. L’intérêt de cette étude est qu’elle croise les deux approches.
Les classements de pays sont un phénomène qui a pris une grande ampleur, depuis 10 ans. Il n’y a jamais eu autant de pays depuis la chute des blocs et chaque pays a à coeur de défendre son positionnement. Il y a, là, une compétition très représentative des enjeux de la mondialisation. Nous sommes à un momentum très particulier : au véritable début du XXIe siècle. Avec la crise financière, nous assistons, en fait, à la crise d’un capitalisme qui s’était cru vainqueur en 1989. Nous sommes dans un entre-deux : sur les débris de cette crise et au début d’un nouveau monde à construire, dont on ne connaît pas les tenants et les aboutissants. Avec cette étude, qui distingue l’image instantanée des pays et l’image projetée (dans l’avenir de la mondialisation), nous avons le reflet exact de ce momentum. « L’après » ne va pas avoir grand-chose à voir avec « l’avant ».
Dans le premier classement de cette étude, celui de l’image instantanée des 26 pays, l’Allemagne apparaît dans le groupe de tête, celui des pays « privilégiés de l’image », la France dans un groupe second, des « puissances fragilisées »…
Oui, en tête du premier classement, l’Allemagne (avec 88 % d’images positives) décroche la première place mondiale, résultat d’un leadership européen, d’une puissance sereine dans un monde et un continent en crise. Viennent ensuite le Canada (87 %), la Suède (86 %), la Suisse (86 %), l’Australie (85 %) et le Royaume-Uni (84 %), des nations caractérisées par un positionnement clair et une image qui combine qualité et performance.
Notons que, sur ces six pays, quatre sont européens. C’est le reflet d’une certaine primauté européenne, qui reste la première puissance économique du monde, fruit du travail des pères fondateurs de l’Europe. Ce leadership européen est encore installé dans l’esprit des leaders d’opinion et des leaders économiques.
Le critère de la stabilité
Et la France, « puissance fragilisée » ?
Ce qui est frappant dans ce groupe des « puissances fragilisées », c’est que nous y trouvons trois puissances latines européennes – la France (80 %), l’Italie (75 %) et l’Espagne (75 %) – et deux puissances, qui ont marqué le XXe siècle, le Japon (78 %) et les États-Unis (77 %). En fait, la France ne tire pas mal son épingle du jeu. Elle est devant les États-Unis et le Japon, qui l’eut crû ? Au regard de son PIB, la France reste dans le Top 10 de ce classement, même si elle n’est pas dans le Top 3.
Dans les cinq critères d’appréciation de l’étude, la France est très performante dans un seul critère, celui de la « créativité culturelle et artistique »…
L’étude a pris soin d’analyser l’image instantanée selon cinq critères : la stabilité institutionnelle, juridique et fiscale ; la performance économique ; l’innovation ; la créativité culturelle et artistique ; l’environnement et la qualité de vie. Les critères qui pèsent le plus sont la stabilité ainsi que l’environnement et la qualité de vie ; sur ces critères la France est placée respectivement 8e et 6e. À l’inverse, le critère qui pèse le moins est celui sur lequel la France est le plus en pointe : la créativité culturelle et artistique. Pour certains, c’est un critère majeur, qui permet d’attirer des millions de touristes chaque année. Les leaders interrogés sont responsables économiques et investisseurs, ils veulent savoir où ils peuvent installer durablement leurs activités, c’est pourquoi ils recherchent la stabilité.
Dans le deuxième classement, des pays « capables de tirer parti de la mondialisation », la France décroche…
Oui, dans ce classement de l’image projetée, la France subit un vrai décrochage. L’image instantanée est le regard du XXe siècle, avec l’image projetée, nous avons essayé de voir en dynamique. Les deux critères majeurs sont, cette fois, la performance économique et la capacité d’innovation. En haut de ce classement, nous trouvons sans surprise la Chine (80 %) et l’Inde (77 %), le Brésil (63 %) qui fait un comeback incroyable dans tous les classements ces quinze dernières années, l’Australie (74 %), la Corée du Sud (74 %) et l’Allemagne (73 %) qui reste, dans ce Top 6, le seul pays européen.
On mesure le décrochage des trois pays latins : la France, qui était 7e dans le classement image instantanée, apparaît 19e dans le classement image projetée, l’Italie passe de 10e à 21e et l’Espagne passe de 11e à 23e. Ces trois pays sont perçus comme ne vivant pas bien la mondialisation. Ils ont visiblement une image plus cigale que fourmi…
Dans le Top 3 des pays qui ont le plus fort potentiel par rapport à la mondialisation, il y a la Chine (+35 points par rapport au classement image instantanée), l’Inde (+33) et la Russie (+32). Il y a une prime aux grands ensembles, ces trois pays sont quasiment des continents. Inversement, on observe une sanction directe sur les petits pays : la Suisse perd 17 points, le Japon 9 points, la Suède 18 points. Au-delà de la taille, le jugement est assez sévère sur la situation en Europe. Pour Stéphane Rozès, il y a une perception totalement différente de la mondialisation selon les continents. Ainsi, les pays d’Asie se sentent dans la mondialisation et moteurs ; à l’inverse, les pays européens (et en particulier la France) se sentent à l’extérieur de la mondialisation et la vivent comme une menace.
C’est un peu paradoxal parce que les grandes entreprises françaises sont, sans doute, les entreprises européennes les mieux placées dans la mondialisation. Il y a donc un décalage entre l’image perçue des grandes entreprises françaises, qui sont parfaitement calibrées pour affronter la mondialisation et qui ont fait dans les 20 dernières années de remarquables efforts concentration (je pense à Total, LVMH, Areva, EDF…), et la nation française dans son ensemble, qui semble être en retard dans les adaptations.
Comment changer la donne ?
La première réponse, c’est la formation et l’éducation. Parmi les bonnes nouvelles et les choses qui marchent, nous pouvons citer Erasmus et les échanges étudiants. La France est la 4e destination au monde pour les étu diants étrangers, avec un brassage remarquable, dont les Français n’ont pas forcément conscience. Il faut préparer bien plus largement, par l’éducation, les enfants et les jeunes à vivre la mondialisation non pas comme une menace mais comme une formidable opportunité. Il faut agir pour que le brassage et l’ouverture concernent toutes les couches de la population, pas seulement les plus favorisées.
Tout est à relier
Cela nécessite une révolution culturelle en France, notamment en ce qui concerne le discours porté sur la mondialisation, non ?
Oui, il faut aussi une révolution copernicienne sur le rapport à l’entreprise et aux marques. C’est pour cela que, depuis 5 ans, je me bats sur ces sujets. Mais les choses progressent. Enfin, un Premier ministre ose parler de la « marque France » !
Il était temps de comprendre que la France a un gisement immatériel exceptionnel ! Nous sommes numéro un en créativité, et bien, cette créativité doit être transformée en innovation.
Le potentiel immatériel et de revalorisation de la France est considérable mais pour être utilisé, il ne doit pas être l’apanage des entreprises qui iraient, seules, conquérir le monde à l’international sans que la France et les Français soient informés et associés. Il faut organiser une diffusion, une infusion de ce gisement immatériel inexploité. De ce point de vue, rien n’est à créer, tout est à relier. La France a des atouts considérables, c’est pour cela que j’ai écrit « La France est une chance », car ces atouts sont hélas trop souvent méconnus des Français eux-mêmes.
Quels sont les premiers atouts de la France ?
Notre premier atout est la démographie. Les autres pays européens (en dehors de l’Irlande) sont en voie d’extinction démographique. Les Françaises sont des femmes exceptionnelles qui non seulement travaillent mais ont des familles plus nombreuses qu’ailleurs en Europe ! Le grand désespoir de l’Allemagne, c’est que les femmes allemandes travaillent mais n’ont pas d’enfants.
En 2050, la France sera un pays jeune tandis que l’Allemagne, qui ne renouvelle pas sa population, va avoir à faire face à des enjeux énormes de prise en charge de la longévité et de ses séniors, elle aura sans doute aussi un problème en matière d’innovation ainsi qu’une immigration importante.
Notre deuxième atout est notre tissu économique, qui est à l’échelle de la mondialisation. Nous sommes le deuxième pays au monde dans le classement des groupes internationaux.
Mais notre tissu de PME souffre et nous n’avons pas assez d’ETI (entreprises à taille intermédiaire), capables de se positionner à l’échelle mondiale…*
C’est pour cela que la création de la BPI (Banque Publique d’Investissement) est une bonne chose et qu’il faut encourager le travail d’OSEO** (structure de soutien aux entreprises). Tout cela passe par des fonds d’investissements et un capitalisme stable. Il faut observer que parmi nos richesses, il y a un certain nombre d’entreprises familiales très présentes. Le capitalisme familial français, avec quelques terroirs d’entreprenariat exemplaires, comme le grand Ouest, le Nord et la région Rhône-Alpes, constitue des gisements de dynamisme.
Bien sûr, nous avons aussi des difficultés, des handicaps. Je viens de relire le livre de Jacques Marseille, « Les Deux Frances », il y écrit que le principal problème de la France est son taux de chômage et que ce taux part d’une vision de la société où nous préférons financer des indemnités pour les sans-emplois plutôt que de développer des politiques de flexibilité d’accès au travail, de développement d’emplois de service dans tous les domaines et des formations adaptées. Il indique par exemple que si la France avait la même structure d’emploi que les États-Unis, 5 millions d’emplois seraient immédiatement créés.
L’importance des représentations emblématiques
Mais revenons sur nos atouts. Nous avons aussi une grande qualité d’infrastructures : réseau routier, voies ferrées à grande vitesse, aéroports… Notre atout, c’est aussi la qualité de la vie. Depuis plus de dix ans, la France figure aux premiers rangs du classement international « Living » des pays où il fait bon vivre. C’est un enjeu important : dans les critères d’attractivité, la qualité de vie, celle des infrastructures et celle de l’éducation sont déterminants. Les conjoints des expatriés regardent prioritairement ces aspects.
Les représentations emblématiques des pays jouent un rôle de plus en plus important dans l’appréciation des leaders d’opinion internationaux : ce sont par exemple les grands emblèmes architecturaux, que l’on voit fleurir un peu partout.
Au-delà de la culture, soulignons le rôle du sport. Ce n’est pas étonnant si le Brésil va accueillir à la fois la Coupe du monde de football et les Jeux Olympiques, à deux ans d’intervalles, que le Qatar achète le Paris-Saint-Germain à grand renfort de médiatisation. Tout cela relève bien de stratégies de valorisation de l’immatériel.
Il faut donc que la France, avec ses atouts, sa culture et son histoire, valorise son potentiel immatériel considérable, que ce capital ne soit pas pillé mais mis au service du développement économique du pays.
Propos recueillis par Paul TÉMOIN
(in la Revue Civique n°10, Hiver 2012-2013)
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* Sur le thème des ETI, lire la tribune de Daniel Karyotis, ancien Président du directoire de la Banque Palatine, membre du directoire du groupe BPCE.
** Présidée par François Drouin, également présent dans ce numéro de la Revue Civique.