OSEO est une entreprise publique, dont la mission répond à une ambition nationale de premier plan : contribuer à faire de la France un grand pays d’innovation et d’entrepreneurs. Cette structure, qui propose un continuum de financements pour accompagner l’entreprise à chaque stade de son développement, est au coeur des problématiques actuelles : compétitivité et financement des entreprises françaises, emploi et mondialisation des échanges. Son Président-directeur général, François Drouin, répond à nos questions sur les faiblesses et les atouts de la France dans la mondialisation, sur « l’État stratège » qui, pour certains, fait défaut. Il évoque les leviers d’un possible redressement industriel français et ce qu’on évoque peu en France : les bénéfices tirés, sur le plan financier, de la mondialisation des échanges.

La REVUE CIVIQUE : Dans la mondialisation des échanges, la France a des atouts mais aussi des faiblesses : quelles sont-elles ?
François DROUIN :
Coté faiblesses, il y en a une, assez bien connue : les Français ne chassent pas suffisamment en meute, contrairement à nos voisins allemands ou italiens par exemple. C’est explicable en partie parce que nous avons de grands leaders mondiaux et une multitude de petites entreprises, et il n’est pas facile de combiner les deux registres, alors qu’en Allemagne ou en Italie il y a davantage d’entreprises moyennes qui peuvent travailler plus facilement ensemble. Ce qu’il faut développer en France, c’est un programme que nous avons appelé « small and big go to market » : l’idée est de réunir, autour des grands groupes, des flottilles de PME. C’est dans l’intérêt d’un groupe de s’entourer de PME innovantes, de les entraîner dans leur sillage à l’étranger, de leur ouvrir des portes, de les mettre en relation avec les partenaires du groupe, choses très difficiles pour les petites et moyennes entreprises, quand elles sont isolées.

Un de nos autres handicaps est la faiblesse de notre innovation. Une étude récente, réalisée avec Ubifrance, montre que 94 % des entreprises innovantes exportent dans les trois ans qui suivent. Aujourd’hui, l’innovation est très pointue et sophistiquée, d’entrée de jeu elle a vocation à intéresser le marché mondial. Le lien est très fort entre innovation et exportation. Par innovation, il faut entendre innovation incrémentale, qui fait évoluer et progresser une technique ou un procédé, ce n’est pas toujours, bien sûr, l’innovation de rupture. L’innovation ce sont souvent de petites choses successives qui permettent d’être mieux positionné sur le marché, avec un meilleur rapport qualité-prix. Cet enjeu est aujourd’hui décisif. Et sur ce critère qualitatif de l’innovation, la France a du retard à combler.

Un taux de sympathie

Il y a aussi le paramètre quantitatif, évoqué dans le rapport Gallois, et qui concerne les prix, le coût du travail, particulièrement élevé en France du fait des charges sociales, qui pèsent en grande partie sur les entreprises. Qu’en pensez-vous ?
Ce constat est évident et souligné depuis des décennies. Le grand mérite du rapport Gallois n’a pas été de le rappeler pour la énième fois, mais d’une part de donner une indication du montant réaliste (30 milliards d’euros) dont il faudrait abaisser ce coût et d’autre part de proposer une solution pour le financer. Le gouvernement a choisi un autre mode de financement, mais je ferai observer qu’il a retenu le montant : 20 milliards de crédit d’impôt, c’est équivalent à 30 milliards de baisses de charges pour les entreprises qui sont imposables à 33 %.

En face des handicaps évoqués, quels sont, selon vous, les atouts de la France dans la mondialisation ?
Nous avons une très bonne image, dans le monde entier, dans certains secteurs, par exemple le luxe. La France a une très bonne image, globalement d’ailleurs, et nous avons beaucoup de pays amis, où nous bénéficions d’un taux de sympathie élevé. Il y a aussi la zone des pays francophones et des voisinages culturels forts, tout autour de la Méditerranée. Nous avons aussi un potentiel important, chez beaucoup d’entrepreneurs très dynamiques, qui osent prendre des initiatives, vont de l’avant à l’international et, dans l’ensemble, quand ils y vont, ils réussissent.

Nous avons néanmoins, depuis une bonne dizaine d’années, un Commerce extérieur qui s’est dégradé de manière catastrophique…
Oui. Cela est lié à la désindustrialisation de notre pays. Ce que nous exportons, ce sont des produits, bien plus que des services. Donc, si nous produisons moins de produits, nous exportons moins et importons plus. Il est très important de pouvoir réindustrialiser la France, de favoriser et développer les « produits » que nous pouvons aussi bien réaliser que d’autres, si on prend des moyens pour cela.

Les moyens financiers ne sont pas extensibles. Comment résoudre cette quadrature du cercle : en temps de crise, les financements publics sont limités (d’autant qu’il faut réduire les déficits et l’endettement gravement accumulés depuis une trentaine d’années) alors qu’il y a un besoin de financement du secteur privé, notamment du côté des PME, qui a pris du retard, comme vous l’avez indiqué par exemple en matière d’innovation ?
Pour le financement de l’innovation proprement dite, dans tous les pays du monde il y a des financements publics consacrés à cet objectif. En France, nous avons un levier formidable qui est le crédit d’impôt-recherche mais nous sommes un peu faibles en financement plus classique de l’innovation. C’est ce que nous faisons pourtant à OSEO. Mais nous avons du mal à satisfaire toute la demande, il y a des projets que nous ne pouvons pas financer faute de moyens, ou que nous devons différer.

Rappelons qu’OSEO a trois métiers. D’abord, nous assurons le financement direct de l’innovation, avec à peu près 3000 projets aidés par an, pour un montant d’aides qui atteint 660 millions d’euros. Ensuite, nous garantissons les prêts que les banques font aux entreprises, c’est-à-dire que quand une banque hésite à prêter, nous l’encourageons en prenant une part du risque qui peut aller jusqu’à 70 % du montant du prêt. Notre troisième métier est celui de banquier : nous prêtons nous-mêmes, aux côtés des banques, pour financer les investissements immatériels notamment. En 2011, nous avons favorisé le financement de 84 000 entreprises, à travers 105 000 projets, ce qui leur a permis d’obtenir au total, avec les divers apports, 31 milliards d’euros de financement. Nous n’agissons d’ailleurs jamais seuls, nous intervenons toujours en entraînant ou accompagnant les banques ou les investisseurs.

Difficultés de trésorerie

Donc, nous sommes au coeur d’un dispositif financier. Nous avons observé cette année que les bons projets d’investissements ont réussi à se financer, parfois avec l’aide complémentaire de la part d’OSEO. En revanche, nous sentons plus de difficultés en ce qui concerne la trésorerie des entreprises. Les sinistres ont augmenté et, du coup, les banquiers sont plus hésitants, voire frileux, et ne financent pas facilement les découverts de trésorerie. Les entreprises en souffrent effectivement, c’est un des problèmes actuels.

Beaucoup de voix se sont exprimées pour souligner qu’il manque un « état-stratège », permettant de donner, avec cohérence et sur la durée, de grandes impulsions dans le domaine économique. Certains estiment aussi qu’en France, il y a risque d’éparpillement et d’empilement des structures d’aides aux entreprises. Qu’en pensez-vous ?
Il ne faut pas exagérer le nombre de structures, il y a effectivement OSEO qui participe au soutien financier des entreprises, il y a le FSI qui peut prendre des participations dans le capital des entreprises, il y a Ubifrance qui accompagne les entreprises à l’export, et la Coface qui couvre le risque pays. Les pouvoirs publics ont décidé de créer une banque publique d’investissement. Le projet a été déposé, puis débattu au Parlement, le Président de la République est venu parler de ce projet, dans le cadre d’une grande réunion, qui a regroupé 3000 entrepreneurs de la communauté « OSEO Excellence » qui sont, pour nous, les responsables d’entreprises qui vont le plus croître dans les années à venir. Il ne s’agît pas d’empiler les structures mais d’aller plus loin et de pouvoir faire mieux, chacune des structures évoquées ayant des métiers différents. Nous pouvons les faire travailler mieux ensemble, par exemple dans le cadre d’une holding légère. Mais elles ne peuvent pas être fusionnées.

Et que pensez-vous de l’argument avancé sur l’absence d’état stratège en France ? Selon moi, l’État stratège n’est pas une question de structures, même s’il faut les simplifier et renforcer les synergies possibles. Ce que les entrepreneurs souhaitent, en ce qui concerne les structures, c’est de la réactivité, de la simplicité, une réponse rapide. Ce qu’OSEO s’efforce de faire. L’État stratège, lui, je le vois plutôt orientant et organisant des politiques de filières. Décidant des filières d’avenir, par exemple celles qui concernent le Développement Durable, les biotechnologies ou le numérique. Ou renforçant défensivement des filières plus traditionnelles, comme l’automobile ou l’agroalimentaire, où il faut rattraper du retard. Parce que, dans l’agroalimentaire par exemple, qui était présenté comme l’un des secteurs où nous excellions, nous venons de nous faire dépasser par les Allemands et par les Néerlandais ! Dans tous ces secteurs, effectivement dans le cadre d’un État stratège, il faut se ressaisir en innovant, en montant en gamme, en facilitant la vente de nos produits dans un maximum de pays.

Cette stratégie de filières passe par quel type de décision ?
L’État stratège doit définir de grandes priorités, concentrer une série de moyens, sur une assez longue durée. Le général de Gaulle avait dit : « je veux des centrales nucléaires et des transports rapides ». 30 ans plus tard, nous excellions et exportions dans ces domaines de compétence. De tels axes stratégiques entrainent derrière eux de nombreux sous-traitants et une myriade d’entreprises et d’emploi. Quand le programme nucléaire a été lancé, c’était un choix stratégique majeur pour l’avenir.

Équilibre entre logique de prix et logique de gamme

Il faut dire que pendant longtemps, certains ont dit qu’il fallait abandonner la production industrielle, soi-disant parce qu’elle ne servait à rien, que l’avenir était dans la matière grise, les services, des « entreprises sans usines ». Nous voyons où cela a mené ! Cette tendance, qui était un (mauvais) choix stratégique, est remise en question. Il n’y a évidemment pas que les services qui comptent, il faut aussi produire en Europe car les 500 millions de consommateurs européens ont besoin de chaussures, de chemises, de voitures, d’électroménager… Et les produits européens n’ont aucune raison de ne pas trouver leur marché, à condition d’innover, d’avoir la qualité, tout en restant compétitif sur les prix.

Le rapport Gallois sur la compétitivité vous semble-t-il donc utile du point de vue des perspectives d’avenir et l’éventuel redressement de nos productions ?
La prise de conscience a été faite. Ce rapport y a largement contribué. Après, dans les faits, il faut que la France produise davantage de biens industriels compétitifs. Pour cela, il faut trouver un bon équilibre entre logique de prix et logique de gamme, en étant suffisamment haut de gamme sans être démesurément cher pour attirer de nouveaux clients tout en intégrant nos coûts salariaux, qu’il faut sans doute alléger (par exemple en ce qui concerne les charges sociales). Le rapport Gallois a apporté une solide pierre à l’édifice notamment sur le problème de la compétitivité française et des coûts salariaux.

Dans la bataille de la mondialisation, on a souvent à faire à des états-continents : les états- Unis, la Chine, l’inde, la Russie… la France n’est-elle pas trop petite, et n’est-ce pas à l’échelle européenne que nous pouvons compter ?
Ce n’est pas vraiment un problème de taille. Nous Français, nous avons la capacité et les moyens de faire face aux enjeux de la mondialisation. L’Italie est plus petite mais elle a son dynamisme, l’Allemagne également, alors qu’ils sont tous les deux en Europe et avaient, a priori, les mêmes atouts et les mêmes handicaps que nous.
Je crois que la France a la taille critique pour pouvoir jouer un rôle important dans la mondialisation mais nos entreprises doivent apprendre à travailler ensemble. Les grandes entreprises ont leurs entrées sur la scène mondiale mais elles doivent accompagner les plus petites. Par exemple, au Japon actuellement, il y a un travail considérable en vue pour démanteler des centrales nucléaires. La France est une référence dans ce domaine et nous pourrions y placer des entreprises. Mais les bons contacts et les portes d’entrée ne sont pas facilement accessibles aux petites entreprises. Il faut donc qu’elle soit entraînée par les grands groupes, comme EDF ou Areva, qui ne montrent pas leur intérêt pour un tel marché, préférant s’en tenir à leurs projets de construction ou de maintenance.

Les aspects positifs de la mondialisation

La mondialisation reste, malgré tout, une chance pour la France ?
Oui, car quand on évoque la mondialisation, il ne faut pas oublier un aspect positif, souvent oublié : la mondialisation va dans les deux sens, elle n’est pas dirigée contre nous, nous en tirons aussi des bénéfices. Prenons l’exemple d’OSEO. Nous n’avons quasiment pas de ressources propres ou d’épargne pour financer les projets des entreprises, donc, nous allons acheter l’argent sur les marchés financiers. Or, ce marché est aujourd’hui totalement mondialisé. OSEO a récemment obtenu plus d’un milliard d’euros d’emprunt sur 10 ans, avec remboursement in fine c’est-à-dire en 2022 seulement, à un taux très favorable de 2,37 %.
Cet argent, d’où vient-il ? Il est mondial et vient en partie d’Asie. La mondialisation marche dans les deux sens : c’est l’épargnant chinois ou australien, qui apporte une ressource pas chère à OSEO en France, parce qu’on a une bonne signature et de bonnes garanties, ce qui permet de financer dans de bonnes conditions des entreprises françaises qui s’engagent, par exemple dans l’innovation.

Certains pourraient dire qu’il s’agit d’une nouvelle dépendance, financière, de la France et de l’Europe, vis-à-vis de la Chine ?
Nous n’en sommes pas encore là. Car nous sommes bien plus dépendants, en ce qui concerne les marchés financiers, des États- Unis. En outre, il s’agirait d’une dépendance qui leur serait profitable s’ils nous faisaient payer très cher l’emprunt d’argent, ce qui n’est pas le cas. Tout n’est donc pas univoque, ou noir, dans les perspectives de la mondialisation : si certains échanges commerciaux sont déséquilibrés au niveau des prix des produits qui viennent sur le marché européen, nous disposons d’un autre côté d’une épargne (et donc de ressources financières) bon marché, ce qui peut nous permettre de nous financer, d’innover et, in fine, de mieux produire pour les marchés extérieurs, et donc favoriser l’emploi dans nos entreprises. Il s’agit bien d’une sorte de compensation positive, très peu évoquée, des méfaits – souvent, eux, soulignés – de la mondialisation.

Propos recueillis par Georges LÉONARD
(in la Revue Civique n°10, Hiver 2012-2013)
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