Les avantages de la responsabilité sociétale pour l’entreprise
Invitée des « Matinales » de la Fédération nationale des Caisses d’Epargne, la Présidente de l’agence Vigeo a évoqué l’intérêt des entreprises, en terme de cohésion et de développement, à s’engager dans la responsabilité sociétale : « le prix de la négligence et du risque est supérieur à celui de l’engagement. Et cet engagement est un investissement ; il y a toujours un retour sur investissement». Nicole Notat a aussi précisé le mode d’emploi de sa grande agence de notation.
Les évolutions de l’opinion sont telles aujourd’hui que les entreprises, comme les citoyens, se doivent d’apporter des solutions pour une série de problèmes posés à la planète, qu’il s’agisse de problèmes sociaux ou environnementaux. Les entreprises doivent même rendre des comptes en ces domaines, vis-à-vis desquels elles ont une grande responsabilité, qui concourent aussi à leur développement futur.
Pour authentifier les actions menées par les entreprises, nous avons développé deux types de métiers à Vigeo. Le premier, « vigeo raiting », consiste à collecter une série d’informations et d’en faire l’analyse, ce qui nous permet d’émettre une opinion argumentée sur des données référencées. Nous avons collecté des informations sur 1500 grandes entreprises multinationales. Ces données sont réévaluées environ tous les dix huit mois et relèvent de critères universels issus de grandes institutions internationales (comme l’OIT, l’OMS, l’ONU bien sûr). Ces données sont donc évaluables partout dans le monde. Nous les proposons à la vente, et nos clients sont notamment des organismes d’investissement, qui veulent des compléments d’informations au-delà des données financières chiffrées, qui sont sans doute nécessaires pour les investisseurs mais insuffisantes pour mesurer la qualité et la garantie des placements financiers : en effet, les investisseurs regardent de près ce que nous réunissons comme informations et analyses sur la responsabilité sociétale de l’entreprise, non pas philanthropie mais par ce que les bonnes pratiques d’entreprise constitue des indices d’équilibre pour les entreprises, des éléments réducteurs de risque, à moyen et long terme.
Notre deuxième métier est « vigeo enterprise » : nous travaillons dans ce cas directement pour des entreprises (ou organismes publics) pour savoir où elles en sont réellement dans leur processus, nous les accompagnons pour mesurer la performance de leur action managériale en matière de responsabilité sociétale.
Le mouvement est irréversible
La conviction est que le mouvement en ce domaine est irréversible et que les retards pris par les entreprises sont en fait pour elles porteurs de risques, et donc de difficultés futures. Bien sûr, il y a encore une forte hétérogénéité entre les entreprises selon les secteurs, les tailles, les pays… Il y a trois catégories d’entreprises :
1) Celles qui n’ont pas vraiment compris l’intérêt de la démarche, qui considèrent qu’on leur impose «encore une contrainte» et essaient de refiler la «patate chaude».
2) Celles qui sont plus positives, mais encore sur le registre de la rhétorique : comme « on en parle », elles écoutent et font quelques efforts en ce domaine, mais sans plus.
3) Il y a celles, enfin, qui sont (ou deviennent) convaincues, éclairées par la conviction qu’il n’y a pas de contrainte mais au contraire une grande opportunité à saisir en terme d’innovation. Par exemple pour concevoir une production plus sobre en énergie, donc en budget, donc plus efficace en terme de croissance. De même, les progrès réalisés en matière de dialogue social, en matière de motivations des salariés, peuvent évidemment aussi se traduire en valeur ajoutée pour l’entreprise, également en terme de résultats.
Naturellement, les critères d’évaluation des entreprises dans les domaines de la responsabilité sociétale sont en constante discussion et nous pouvons distinguer deux courants en ce qui concerne par exemple les « investissements éthiques ». Il y a un courant, d’influence américaine, qui exclut d’emblée un certain nombre d’entreprises et même de secteur par « approche morale », c’est-à-dire pour des raisons morales ou religieuses. Cela concerne par exemple les entreprises du tabac, de la pornographie, de l’armement ou encore du nucléaire.
Il y a un autre courant, une autre conception qui consiste à prendre en compte, quel que soit le domaine d’activité, l’ESG (environnemental and social gouvernance), qui mesure les transformations en cours dans les entreprises. Il semble important que toutes les entreprises, quel que soit leur domaine, soient en effet concernées par les progrès à réaliser en matière environnemental et social, et que les investissements soient encouragés quand des progrès sont réellement accomplis. Et pour des industries peut-être contestables sur le plan éthique, il faut aussi prendre en compte ce qu’il peut en résulter pour les parties prenantes, pour les sous-traitants, les bassins d’emploi concernés… c’est une «éco-système» qu’il faut dans ce cadre considérer.
Six grands chapitres
Notre grille d’analyse et d’évaluation des entreprises – qui est composé d’une quarantaine d’indicateurs – tourne autour des six grands chapitres :
1) Les droits fondamentaux, avec par exemple la prévention des discriminations et la promotion de l’égalité
2) La valorisation des ressources humaines, avec notamment ce qui favoriser le dialogue social
3) L’environnement, avec la prise en compte de cet enjeu, par exemple dans les décisions de transport ou liées au cycle de production de l’entreprise (« éco-conception »), avec le recyclage.
4) Le comportement sur les marchés, avec la question du lobbying, de la lutte contre la corruption
5) Le projet sociétal sur un territoire donné, avec la mesure de l’intégration de l’entreprise dans la vie locale et sociale
6) La gouvernance de l’entreprise, qu’il s’agisse des activités du conseil d’administration, ou encore de la rémunération consentie aux actionnaires et autres salariés.
Nous avons au final une échelle de notations, qui va de zéro à 100, la graduation étant transférée ensuite d’une échelle allant de 1 à 4. La note la plus basse c’est « un engagement non tangible » ; la note 2 « un engagement amorcé » ; la note 3 « un engagement probant » ; et la note 4, enfin, «un engagement avancé», l’entreprise étant, en ce cas, particulièrement innovante et leader. Elle a alors compris la clé de réussite. Car le prix de la négligence, et du risque, est supérieur à celui de l’engagement. L’engagement est un investissement, et il y a toujours un retour sur investissement. C’est pourquoi les entreprises qui gagnent sont celles qui ont dans leur logiciel la responsabilité sociétale.
Nicole NOTAT,
Présidente de l’agence VIGEO.
(in La Revue Civique 5, printemps-été 2011)
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