Le livre « S’engager ! » : quand 20 personnalités convergent pour écrire les lignes des engagements de demain

« S’engager ! » Le point d’exclamation du titre de ce livre (qui vient de paraître chez Fauves éditions) est une judicieuse interpellation, tant les tendances aux replis de toutes sortes et aux violentes radicalités semblent atteindre les sources d’un engagement destiné d’abord à servir l’intérêt général, à s’ouvrir sur les autres, le bien commun et l’avenir. Sous la direction de Benjamin Labonnélie, président de l’Observatoire français des Corps intermédiaires, et la coordination éditoriale de François Miquet-Marty, Président du Groupe Les Temps nouveaux et co-fondateur de l’institut Viavoice, une vingtaine de personnalités apportent dans ce livre une contribution précieuse et argumentée, fruit d’expériences concrètes et éprouvées, sur cet enjeu majeur pour l’équilibre de notre démocratie. Le tout fait apparaître, par diverses touches comme dans un tableau impressionniste, une certaine idée de l’engagement, idée renouvelée et malgré tout tournée vers des perspectives d’avenir pour notre collectivité.

L’ambition du livre, indique François Miquet-Marty, est de préfigurer « l’engagement qui vient », celui qui « régénère le sens par l’action, poursuit-il, une « philosophie de l’engagement qui soit une philosophie pratique », pour reprendre le mot de Brune Poirson, portant une double référence à Saint-Thomas d’Aquin et à Albert Camus ». « Le défi consiste à « relier ce qui se dissocie » : comment, à l’avenir et dans notre monde toujours plus fracturé, s’engager sans exclure ? Plus encore : comment éviter que ne prospèrent demain des engagements précisément nourris par la tentation du rejet, voire de la disparition de l’autre ? Des engagements « pour et constructifs », plutôt que « contre et destructeurs » ? »

Un livre « qui conjugue actualité et temps long » et qui n’a pas vocation à clore mais au contraire à ouvrir et à porter des liens nouveaux », ajoute François Miquet-Marty, pour illustrer les apports de ce livre « S’engager ! », où s’expriment de nombreux responsables, politiques, médiatiques, associatifs, économiques ou académiques. Ainsi se succèdent des personnalités aussi variées que François Bayrou, Najat Valaud-Belkacem, Prisca Thevenot ou Rachida Dati, Isabelle Giordano, Sonia Mabrouk, Arnaud Montebourg, Alain-Dominique Perrin ou encore, sur le plan syndical, Patrick Martin, le Président du Medef, ou Marylise Léon, la Secrétaire générale de la CFDT. En hors d’oeuvre (éditoriale), vous avez ici quelques extraits de l’une des personnalités qui participe à cet ouvrage collectif, le politologue Pascal Perrineau, ami de La Revue Civique qui a dirigé le CEVIPOF, le Centre d’études de la vie politique française de Sciences-Po, et auteur du récent « Que sais-je ? », « Le populisme ».

Parmi les contributions de ce livre collectif, l’expertise de Pascal Perrineau sur les mutations actuelles de l’engagement

Le reflux des formes traditionnelles de l’engagement est constaté, pour autant, interroge le politologue Pascal Perrineau, « cela veut-il dire que nous pouvons souscrire au discours de la fin d’une société d’engagement, où nous serions comme des individus libres d’aller et venir, de faire et de défaire, sans plus aucune forme de fidélité à des groupes d’appartenance ? » Cette conclusion, on ne peut pas la tirer, elle est même fausse », argumente l’essayiste: « Il existe de nouveaux types d’engagements qui naissent, qui parfois ont du mal à se pérenniser. D’abord parce que – Jacques Ion l’a bien vu – les engagements sont moins pérennes, moins durables, ce sont des engagements qu’il appelle les engagements post-it. Ce sont des engagements ponctuels, on peut s’engager six mois et se désengager pendant un an, puis se réengager trois mois et se désengager à nouveau… Alors qu’avant, l’engagement partisan ou l’engagement syndical étaient des engagements qui ne connaissaient pas ces périodes d’éclipse ».

« Maintenant, l’engagement devient intermittent, poursuit Pascal Perrineau, un engagement qui correspond d’ailleurs à une citoyenneté elle-même intermittente, c’est-à-dire que le lien d’appartenance à la communauté nationale, à la République est un engagement qui, lui-même, est de plus en plus contractuel et contestable. C’est ce qu’avait bien vu Sophie Duchesne (« Citoyenneté à la française »), qui identifiait deux types de citoyennetés. Il y a la citoyenneté par héritage, qui est une citoyenneté, certes de droits mais aussi de devoirs; et au fond, cette citoyenneté n’est plus valable que chez les plus de 60 ans. Et particulièrement chez les plus jeunes, se développe une citoyenneté autre qui est une citoyenneté d’ordre contractuel faite essentiellement de droits, assez peu de devoirs: des droits de tirage, souvent sur le collectif, mais que l’on n’exerce pas en permanence ».

« Pour reprendre la référence au livre de Hirschman (« Exit, Voice and Loyalty »), nous sommes dans la « voice ». Ces tendances s’articulent avec ce que les politologues américains appellent les « mouvements à enjeux uniques »: ces politologues ont bien noté une rupture dans l’évolution des formes partisanes de l’engagement politique. Ils estiment qu’au fond, avant, on s’engageait dans des organisations qui avaient été très porteuses d’un modèle de changement, d’une utopie parfois; et l’on voit apparaître au cours des années 1980 des mouvements à enjeux uniques, qui vivent de militance mais qui sont là pour régler un seul problème. Cela va être les mouvements, par exemple, de lutte contre la pollution, de lutte contre la pauvreté dans les villes, de soutien aux prisonniers dans le monde, pour l’amélioration de la condition des femmes, pour permettre l’euthanasie, etc. »

« Ce sont des mouvements qui suscitent de l’engagement. Je le vois auprès de mes étudiants, je n’ai à peu près plus aucun étudiant engagé dans un parti ou dans un syndicat. En revanche, j’ai énormément d’étudiants qui sont engagés dans des mouvements pour permettre par exemple l’établissement d’un puits dans le nord du Sénégal, des mouvements de soutien à des enfants au Vietnam où ils envoient de l’argent, où ils s’intéressent au destin de ces enfants, etc. Quelque part, c’est un engagement qui fonctionne bien, et même très bien. Et c’est un véritable engagement parce que, pour certains d’entre eux, cela se traduit par le fait qu’ils vont aller par exemple pendant trois ou quatre mois sur le terrain, faire de l’alphabétisation ou de la scolarisation au Burkina Faso, dans des conditions difficiles, etc. Donc il y a un engagement mais cela ne dure pas plus de quelques mois à un an et quand le but est atteint, on passe à autre chose.

« L’engagement existe toujours mais il a muté. Ponctuel, il est plus pragmatique »

« Donc l’engagement existe toujours, mais il a muté. Cet engagement ponctuel, c’est un engagement qui d’ailleurs est plus pragmatique. La dimension idéologique n’a pas complètement disparu, mais la tendance est davantage dans le « faire » que dans le « dire ». Au fond, ce sont des formes d’engagement qui sont travaillées par l’esprit du temps, et c’est la notion d’entreprise qui va remplacer celle de parti ou de syndicat. Donc, je serais moins pessimiste que certains, mais il reste la question que ce militantisme est un militantisme ou un engagement de l’éclatement des sociétés et que, au fond, il n’y a plus de lieux, dans ces ardeurs militantes, pour penser réellement le collectif. Pour reprendre la trilogie de Hirschman, en termes d’engagement, les loyautés traditionnelles sont entrées en crise, mais se sont développées des stratégies de sortie, d’« exit ». Oui, il y a des déçus de l’engagement qui tombent du côté de la privatisation extrême. Mais il y a eu aussi de la « voice », c’est cela qui s’est réinvesti dans de nouvelles modalités. Alors on va venir dans l’engagement, parfois violent, et éventuellement on peut passer à la création de nouvelles loyautés qu’il faut savoir repérer, qui ne sont pas, d’ailleurs, des loyautés pérennes. Mais il y a ce que la « voice » a permis de faire… »

A ce stade, François Miquet-Marty interroge Pascal Perrineau sur la tradition, perdue, des « écoles d’engagement » et la question de leur opportune réhabilitation, qui fait partie des propositions de Benjamin Labonnélie et de l’Observatoire français des Corps intermédiaires : « des écoles pour promouvoir l’engagement au sein du monde qui vient ».

« En effet, répond Pascal Perrineau, il faut remettre l’engagement à l’ordre du jour. On le voit, par exemple, à Sciences Po, avec la création du Parcours civique obligatoire pour tous les étudiants, et il y a la Direction de l’engagement. Cela suscite chez les étudiants un engagement réel. Et puis l’engagement fait partie quelque part de leur scolarité. Les étudiants en tirent énormément de choses, parce que c’est l’âge où on découvre la « grande société ». L’insertion dans des parcours civiques les fait entrer dans le grand bain de la société, joue un rôle d’introducteur et leur fait découvrir l’engagement. Donc oui, il y a beaucoup de choses à faire en matière d’enseignement ».

(15/12/2023)

Un collectif pour éclairer, dans la diversité, les vertus de l’engagement. Chez Fauves éditions