A la tête de l’agence du Service Civique, opérateur de l’Etat qui porte et soutient des dizaines de milliers de jeunes volontaires pour un Service Civique (indemnisé, d’une durée de 6 à 12 mois), Béatrice Angrand répond à nos questions sur l’adaptation des jeunes à la crise et aux missions de solidarité qu’ils sont et seront amenés à porter.
-La Revue Civique : Comment les jeunes en Service Civique ont pu, ou du, s’adapter pendant cette crise inédite qui ont bloqué les relations sociales habituelles. Dans quelles proportions, les jeunes ont-ils dû renoncer à leur mission ? Et entre l’élan de solidarité des jeunes et les précautions sanitaires à renforcer, comment a-t-il été possible de trouver une bonne conciliation ?
-Béatrice ANGRAND: Créée il y a 10 ans, le Service Civique a permis depuis à plus de 440 000 jeunes de s’engager. Construit en partie pour donner une suite civile et positive au service national, le Service Civique offre la possibilité aux jeunes de 16 à 25 ans – 30 ans pour les jeunes en situation de handicap – de consacrer 6 à 12 mois de leur vie à des missions d’intérêt général au sein d’associations ou de services publics tout en recevant accompagnement, formation et soutien matériel. Le Service Civique est une étape qui permet à tous les jeunes, quelles que soient leurs origines socio-culturelles, de se rendre utiles à la société tout en développant des compétences et une expérience précieuses.
Cette volonté d’agir au service des autres s’est révélée particulièrement décisive au plus fort de l’épidémie de Covid-19. Le 13 mars 2020, 58 500 jeunes étaient placés sous contrat de Service Civique. Si plusieurs milliers d’entre eux ont été empêchés, plus de la moitié ont, avec leur structure d’accueil et leur tuteur, transformé leur mission en « télé-mission »: il s’agit par exemple de rester en lien avec des personnes âgées, isolées ou vulnérables, maintenir la continuité pédagogique, proposer des animations culturelles ou sportives à des enfants. Tout cela grâce aux outils numériques. Des imprimantes 3 D ont même servi à fabriquer des visières !
La plateforme de la Réserve Civique a enregistré pendant cette crise l’inscription de plus de 50 000 jeunes en Service Civique « .
Concernant les actions en présentiel, comme faire des courses pour nos aînés, réaliser des maraudes auprès des plus fragilisés, conduire des personnes sans abri dans des centres d’hébergement, distribuer des paniers repas ou encore expliquer l’actualité et les règles sanitaires aux personnes non francophones, toutes les précautions ont été prises (masques, gestes barrière, distanciation) et continuent à l’être. Il est parfois douloureux pour les jeunes de renoncer à aider ou à faire un geste de solidarité mais leur sécurité sanitaire, et celle des personnes avec qui ils sont en contact, est une priorité.
Pour tous les jeunes qui ont basculé dans le bénévolat, en sus ou à la place de leur mission de Service Civique, très souvent grâce à la plateforme de la Réserve Civique jeveuxaider.gouv.fr (qui a enregistré l’inscription de plus de 50 000 jeunes en Service Civique) ou à des actions communales menées par les CCAS, les actions solidaires sont encadrés principalement par des associations ou des collectivités locales, qui ont la responsabilité de veiller au strict respect des consignes gouvernementales.
-Comment les missions et les « parties prenantes » de l’Agence du Service Civique ont-elles évolué pendant cette période ? Quelles ont été vos orientations principales ?
-Pendant la période de confinement, nous avons été guidés par plusieurs boussoles. Notre première décision fut à la fois juridique et financière. Elle a consisté à maintenir les contrats de Service Civique des volontaires et, par-là, leur indemnité quelle que soit l’évolution de leur mission. Cette décision a sans aucun doute fonctionné comme un levier en apportant de la sécurité et de la motivation pour ces dizaines de milliers de jeunes. Le maintien en contrat de Service Civique fut et reste donc stimulant pour d’autres formes d’engagement et de solidarité.
Plus que jamais au service de l’intérêt général, le Service Civique a répondu aux enjeux de la crise. C’est résolument bien plus qu’une politique publique pour les jeunes : c’est une politique publique pour tous. »
Chaque évolution de mission, qu’elle soit stoppée, modifiée à distance ou adaptée en présentiel, a dû faire l’objet d’un avenant au contrat établi avec l’accord du volontaire. Nous avons pu alors garantir un suivi de toutes les situations, parfois agir pour aider les cas personnels et observer comment le Service Civique s’est renouvelé et ajusté au plus fort de l’épidémie. Sur un plan plus opérationnel, l’Agence a aidé plus de 1500 volontaires en mission à l’international dans 97 pays à stabiliser leur situation hors de France ou à être rapatriés.
Nous avons également accompagné les structures d’accueil, répondu en continu à leurs questions, publié un « guide du Volontaire confiné et solidaire » (devenu « guide du Volontaire (dé)confiné et solidaire »). En cette période encore fragile, l’Agence continue d’être à l’écoute des jeunes et des structures qui les accueillent comme facilitateur et aiguilleur vers l’après. Nous voyons d’ailleurs déjà émerger de nouvelles orientations dans les missions. Plus que jamais au service de l’intérêt général, le Service Civique a répondu aux enjeux de la crise sanitaire en se renouvelant et en s’adaptant dans l’urgence. C’est résolument bien plus qu’une politique publique pour les jeunes : c’est une politique publique pour tous. J’ai à cœur pour la séquence qui s’ouvre d’ancrer cette agilité dans les fondamentaux de cette belle politique. Il nous faudrait peut-être faire évoluer certains textes.
-Dans la stratégie du déconfinement, on voit que l’Etat s’appuie sur les collectivités territoriales et que le mot « partenariat » est remis au cœur des processus de décision. Quels sont, à vos yeux, les axes de gouvernance publique à revoir, sinon à « réinventer », pour le fameux #MondedApres ?
-Dans ces temps inédits qui touchent les citoyens du monde entier, c’est la proximité et le voisinage, alliés à la réunion d’acteurs différents et multiples (des soignants avec des influenceurs et bloggeurs, des bénévoles et des restaurateurs, des associations avec des artistes et des collectivités, des entreprises et les services de l’Etat) qui ont permis une réponse efficace, concrète et porteuse de sens.
De ce fait, les citoyens s’y identifient immédiatement et désirent y prendre part. Cet élan d’actions et de solidarité devra me semble-t-il être maintenu et encouragé. Dans cet esprit, j’espère vivement que le monde associatif sera soutenu et renforcé, et que le Service Civique contribuera à le renouveler en faisant naître des vocations plus nombreuses pour le bénévolat ou tout autre forme d’engagement volontaire.
S’emparer des outils numériques au bénéfice du lien social est une approche sur laquelle la société toute entière pourrait capitaliser ».
D’autres tendances ont émergé pendant cette période et pourraient être pérennisées. Pour un opérateur public comme celui que je préside, les circuits de décisions et les hiérarchies simplifiés, la capacité à célébrer les succès tout comme celle d’intégrer les retours d’expérience en « actualisant » sur le champ, ou encore la concentration sur l’essentiel devront rester des axes de fonctionnement fondamentaux.
Ce fameux « monde d’après » sera celui que chacun contribuera à faire advenir. En cela il est imprévisible. Je m’engagerai pour ma part à aider la jeunesse à y prendre et trouver toute sa place car, dans cette crise, elle a montré – et montre encore – sa capacité à agir et sa volonté de construire l’avenir. S’emparer, par exemple, des outils numériques d’une façon positive au bénéfice du lien social est une approche sur laquelle la société toute entière pourrait capitaliser.
En cette année si particulière, les 10 ans d’existence du Service Civique forment un véritable patrimoine et une culture citoyenne, dont l’utilité a été démontrée au centuple avec cette pandémie. Plus largement, l’esprit et les valeurs portées par l’Agence du Service Civique qui est également en charge de deux programmes européens (Erasmus+ Jeunesse et Sport et le Corps européen de solidarité), devront dépasser les frontières nationales pour renforcer la cohésion entre les peuples d’Europe et leur action collective aux défis innombrables auxquels ce continent est confronté.
(19/05/20)