Avocate au Barreau de Saint Malo, Clara Ménard participait récemment à la 26ème édition du Concours international de plaidoiries pour les droits de l’Homme, organisé par le Mémorial de Caen, et auquel le directeur de la Revue Civique Jean-Philippe Moinet participait en tant que membre du jury. Voici le texte de plaidoirie que cette brillante avocate a présenté lors de ce concours.
Clara Ménard a souhaité revenir sur l’enlèvement d’une confrère syrienne, Razan Zaitouneh, « opposante farouche et notoire au Régime de Bachar Al-Assad », avocate des droits de l’Homme en Syrie. Elle rappelle que « Razan avait pourtant mis en garde contre la radicalisation de l’Opposition, laissant entrevoir l’influence grandissante de l’État Islamique ».
—————–
Razan Zaitouneh est avocate des droits de l’Homme en Syrie. Cette phrase, à elle seule, résume tout le courage de cette femme.
Mais Razan a disparu depuis le 9 décembre 2013. Elle a été enlevée, justement, parce qu’elle est avocate des droits de l’Homme en Syrie. Depuis cette date, un silence pesant s’est installé. Aucun signe de vie. Aucune revendication.
Quelle lâcheté de la part de ses ravisseurs !
Il est une heure du matin ce 9 décembre 2013 lorsque Razan Zaitouneh est enlevée à Douma, ville située en Ghouta Orientale, une région contrôlée par les Rebelles mais assiégée par les forces armées du Régime de Damas.
Razan n’était pas seule. Elle a été enlevée avec son mari Wael Hamada et deux collègues, Nazem Hamadi, avocat reconnu pour son combat en faveur des détenus depuis la Révolution, et Samiraa Khalil, membre d’un parti politique pacifique de l’Opposition, tous très impliqués dans la défense des droits de l’Homme.
Le parcours de Razan Zaitouneh
Razan et son équipe effectuaient un travail de terrain. De véritables reporters de guerre. Mais l’extraordinaire parcours de Razan Zaitouneh n’a pas commencé avec la Révolution syrienne et ne s’est pas arrêté le 9 décembre 2013.
Non. Razan Zaitouneh est née le 29 avril 1977. Elle a aujourd’hui 38 ans. Dix ans nous séparent. En 1999, elle est diplômée de l’école de Droit. En 2001, elle devient avocate en Syrie et nulle part ailleurs. 5000 kilomètres nous séparent.
Malgré le danger, Razan Zaitouneh ne quitterait son pays pour rien au monde.
Elle y fonde d’ailleurs les deux piliers de son action. D’un côté, le Bureau pour le soutien au développement local et aux projets de petite ampleur qui tente d’apporter, par tous moyens, une assistance humanitaire aux centres médicaux de Ghouta Orientale. De l’autre, le Centre de documentation des violations, une Organisation non-gouvernementale qui recense les violations des droits humains commises par le Gouvernement syrien depuis mars 2011.
Et même si Razan voulait quitter son pays, cela lui est interdit depuis douze ans par le Régime.
Elle est assignée à résidence dans son propre pays par le Gouvernement syrien alors qu’elle en est la cible permanente. Quel paradoxe ! Mais le Régime se trompe de cible.
Ce n’est pas Razan qu’il faut combattre. Mais bel et bien les Djihadistes.
« Opposante farouche
au Régime de Bachar Al-Assad »
Opposante farouche et notoire au Régime de Bachar Al-Assad, Razan avait pourtant mis en garde contre la radicalisation de l’Opposition, laissant entrevoir l’influence grandissante de l’État Islamique.
C’est parce qu’elle s’en est prise à l’un de ces groupes djihadistes, que Razan a été enlevée. Elle avait accusé ouvertement l’État islamique en Irak et en Syrie d’être l’acteur premier des enlèvements des défenseurs des droits et des journalistes syriens. Ironie du sort : opposante au Régime qui a tenté de la faire taire plus d’une fois, Razan a finalement été enlevée par des Djihadistes ; par les ennemis de son ennemi.
Il faut dire que depuis mars 2011, c’est le chaos qui règne en Syrie. Le 18 mars 2011, baptisé a posteriori le « Vendredi de la dignité », marque le premier jour du soulèvement syrien. Quinze enfants avaient été arrêtés à Deraa, petite ville du Sud, pour avoir écrit « Le peuple veut la chute du Régime » sur les murs de leur école. Ces enfants ont été torturés puis rendus à leurs familles, qui se sont alors senties trahies et humiliées par le Régime.
C’est le point de départ du soulèvement populaire pour obtenir plus de droits civiques et politiques. Le Régime réplique violemment, n’hésitant pas à tirer sur les manifestants pour les faire taire. Le soulèvement se radicalise, l’Opposition s’organise et l’Armée Syrienne Libre demande purement et simplement la chute du Régime.
C’est le début de la Guerre civile.
« Une chasse aux sorcières »
Le début d’une chasse aux sorcières : journalistes et défenseurs des droits sont en première ligne.
Les avocats sont la cible permanente des autorités syriennes : menaces, arrestations, détentions, tortures et mort. Il est impossible de chiffrer le nombre d’avocats incarcérés arbitrairement par le Régime de Damas et qui n’en sont pas ressortis vivants. Voilà le sort réservé aux défenseurs et militants syriens dans leur propre pays, de la part de leurs propres gouvernants. De vulgaires prisonniers politiques, injustement incarcérés. C’est parce qu’elle a continué à se battre pour les droits de l’Homme que Razan est tombée dans la clandestinité en avril 2011.
La clandestinité plutôt que l’exil pour se protéger et continuer son travail. Clandestine mais pas anonyme. Plus que de sa sécurité, il en va de la crédibilité de ses propos car aujourd’hui, en Syrie, un témoin anonyme des atrocités commises par le Régime est accusé d’être un menteur. Mais ces atrocités sont réelles. Il suffit de lire les témoignages recensés par le Centre de Documentation des violations pour s’en convaincre.
Peu importe le risque, Razan est influente et le Régime sait que ses paroles ont un poids et sont une menace.
« Dénoncer, quel qu’en soit le prix »
Razan a donc continué à dénoncer les violations des droits humains en indiquant toujours sa source à qui voulait bien l’entendre : elle-même. Dénoncer, quel qu’en soit le prix, ces violations commises contre les Opposants au Régime mais également contre le peuple syrien : ces hommes, ces femmes et ces enfants ouvertement massacrés sous la colère d’un seul homme.
Car les avocats ne sont pas les seules victimes de la répression. Non. La guerre civile, c’est plus de deux cent mille morts, dont près de dix mille enfants. Mais combien de détenus non recensés ? Combien de disparitions non revendiquées comme celle de Razan Zaitouneh ? Avant d’être enlevée le 9 décembre 2013, Razan avait déjà échappé à plusieurs tentatives d’enlèvement.
Il lui est reproché d’être une espionne. Un agent étranger chargé d’informer la Communauté internationale sur la réalité syrienne. Razan est une acharnée et elle se cache pour poursuivre son travail. Mais le Régime est plus fort qu’elle et s’en prend à son époux, Wael Hamada, arrêté en mars 2011 par l’armée syrienne. Difficile de dire ce qui lui est exactement reproché tant la liste des fausses accusations est sans fin. Il défend activement et légitimement les droits de l’Homme. Ce qui suffit à son arrestation.
Trois mois de détention d’abord dans un endroit tenu secret puis ensuite à la prison centrale de Damas où il sera placé à l’isolement et douloureusement torturé avant d’être libéré sous caution le 1er août 2011, dans l’attente d’un procès fondé exclusivement sur des fausses accusations. C’est parce qu’elle a continué à se battre pour les droits de l’Homme, à travailler en faveur des prisonniers politiques et à dénoncer les actes des groupes armés djihadistes que Razan a été enlevée.
Aujourd’hui, elle doit continuer à se battre.
Razan doit continuer à se battre parce qu’elle est une femme extraordinaire. Elle fait preuve d’un optimisme à toute épreuve et elle a le don de voir le meilleur au milieu du chaos.
« L’indifférence et la faiblesse
de la Communauté Internationale »
Elle le dit elle-même, elle voit la « face lumineuse et incroyable » de la guerre ; elle voit la volonté du peuple syrien qui s’attache à vivre, à survivre et à se reconstruire au quotidien malgré « la trahison de la communauté internationale ». Ce sont ses mots et elle a raison.
L’indifférence et la faiblesse de la Communauté Internationale suffisent à la rendre coupable. Coupable d’avoir laissé le Régime de Damas impunément massacrer son peuple, coupable de son impuissance. Razan Zaitouneh doit continuer à se battre parce qu’elle est une femme consacrée par ses pairs.
Elle est « la Mandela de la Syrie ». En 2011, elle reçoit le Prix Anna Polikovskaïa qui honore les femmes défendant les droits des victimes dans les zones de conflit. La même année, le Parlement Européen récompense son implication dans le Printemps Arabe en lui remettant le Prix Sakharov pour la liberté de l’esprit, symbole de son implication féroce dans la défense des droits du peuple syrien.
En 2013, elle reçoit même le Prix International Femme de courage, décerné par le Département d’État américain pour son courage exceptionnel dans la promotion des droits humains. Razan Zaitouneh est récompensée mais elle n’est jamais présente pour recevoir ses prix en main propre. Le Prix du sacrifice. Et il aura fallu une révolution pacifique et, malheureusement, une guerre civile pour mettre en avant le travail exemplaire de cette consœur.
Elle force l’admiration. Elle force mon admiration et elle doit forcer votre admiration.
« Le travail doit continuer »
Alors, pour que le combat qu’elle a initié ne soit pas vain, pour que le Régime de Damas ne dorme pas en paix, le travail doit continuer. Et il continue car d’autres défenseurs des droits ont pris le relais. Le Centre de documentation des violations poursuit son travail de recensement avec l’aide des Comités locaux de coordination.
Dès le début de la guerre civile, ces comités, répartis sur tout le territoire, ont organisé des manifestations pacifiques pour permettre au peuple d’exprimer son mécontentent face au Régime. Ils constituent une force déterminante en Syrie et Razan Zaitouneh participait activement à leur fonctionnement. Mais dans un contexte belliqueux, aujourd’hui aggravé par la présence de l’État Islamique, dénoncer devient de plus en plus compliqué.
La radicalité de l’État islamique, qui a pour but affiché de prendre la main sur la Syrie en supprimant les Rebelles, sème le chaos dans un pays déjà affaibli par quatre ans de guerre civile. Aussi étroit soit le chemin, Razan a trouvé la force et le courage de nous transmettre ce dont nous avions besoin pour agir et pour réagir. Alors, agissons et réagissons !
Être avocat en Syrie aujourd’hui, c’est finalement affirmer son humanité et ne jamais abandonner quitte à le payer de sa vie. Razan en avait bien conscience et je la cite : « vivre sans savoir ce qui pourrait arriver l’instant d’après n’est pas facile. Mais nous savons tous que le prix que je paye est modeste par rapport à d’autres. Certains ont payé de leur vie, d’autres ont subi la prison, la torture et les mauvais traitements ».
Je souhaite, du plus profond de mon âme, que Razan n’ait pas à payer le sacrifice ultime pour que sa cause soit à jamais entendue.
Lire également :
► Le dernier texte de Razan Zaitouneh
► Le site web du Centre de Documentation des violations (en anglais)
►Le livre de Samar Yazbek, conseillé par Clara Ménard : « Feux croisés, journal de la Révolution Syrienne » (Éditions Buchet et Chastel, 2012)