Éric Lombard, directeur général de Generali France depuis un peu plus d’un an, interviendra lors du prochain Parlement des « Entrepreneurs d’avenir », sur le thème « Comment libérer l’humain pour mieux innover ? ». Il a fait à part à la Lettre des « Entrepreneurs d’avenir » de sa vision de l’innovation managériale.
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Quel rôle peuvent jouer les entreprises en général et les assureurs en particulier pour transformer la société ?
Éric LOMBARD : L’entreprise a un rôle essentiel à jouer dans la société : les citoyens y passent du temps, et doivent y retrouver des valeurs et des façons de fonctionner auxquelles ils aspirent. Quant à la richesse créée par l’entreprise, une partie pourrait servir des causes d’intérêt général. Reste à savoir quelle est la bonne proportion, car c’est aussi une question pour les actionnaires… Aujourd’hui, le principal défi sociétal, c’est la protection de la planète, notamment la lutte contre le changement climatique et la gestion de ses conséquences. A cet égard, l’entreprise se doit de minimiser ses émissions de carbone et d’agir en résonance avec ses valeurs. L’assureur sert de voiture balai pour tous les dysfonctionnements de la société : les catastrophes naturelles liées au changement climatique, la baisse tendancielle des retraites, les déremboursements en santé…
Au-delà de l’entreprise, devant l’ampleur de ces enjeux, il y a un réel besoin pour plus de partenariats entre intérêts privés et sphère publique, plus de co-création avec l’État. Nos derniers produits d’assurance, nous les avons d’ailleurs co-construits avec le Trésor.
En France, l’État, les politiques, les entreprises, les syndicats patronaux et salariaux… tout le monde a tendance à s’opposer à tout le monde, quand il faudrait au contraire parvenir à instaurer un dialogue pour trouver de nouveaux remèdes à des risques qui ont changé d’échelle.
Et en interne, comment un management innovant peut-il permettre à l’entreprise de se transformer ?
Je suis animé par deux convictions très fortes. D’une part, je crois beaucoup à l’intelligence collective. Il faut permettre aux gens d’exprimer leur talent. C’est ce qui fait la richesse d’une entreprise. C’est vrai y compris dans l’industrie et dans le low-cost, mais plus encore dans une entreprise de services à valeur ajoutée comme Generali, où chacun doit contribuer à la satisfaction des clients.
Il est donc essentiel de libérer la parole, ce qui permet de libérer aussi beaucoup d’énergie. La compréhension des clients et du marché vient des équipes. Il faut donc donner aux salariés les moyens de participer à la transformation de l’entreprise en élaborant le plus possible eux-mêmes des réponses à ce qu’ils voient sur le terrain. Par ailleurs, il me semble plus que jamais essentiel de les mobiliser. Dans un univers global assez dur, voire un peu cynique, c’est important que les gens sachent pourquoi ils se lèvent le matin. Pour cela, il faut en finir avec le modèle du chef qui sait tout et au contraire construire un projet partagé. Dans la construction collective, les gens sont plus épanouis, cela fonctionne mieux. Il faut garder à l’esprit la symétrie des attentions : les salariés se comportent avec les clients comme le management se comporte avec eux…
Quelle a été votre propre approche sur ce sujet depuis que vous avez pris la direction générale de Generali France ? Quels sont vos projets ?
Je me suis appuyé sur ce qui avait été entamé avant mon arrivée, notamment le projet Ambition, qui avait familiarisé Generali avec les visions participatives d’entreprises. Aujourd’hui, 950 personnes participent concrètement au programme opérationnel We Demain au travers de ce que nous avons appelé des cellules créatives, petits groupes de travail informels pour entamer des réflexions prospectives. Dans une deuxième phase, nous allons construire un modèle d’efficacité, en étudiant les écarts entre le projet tel qu’il a été construit et les façons de travailler qui sont effectivement en vigueur, celles qu’il faut acquérir au regard de nos objectifs. Forts de cette analyse, nous allons proposer à tous les salariés une méthode de travail. L’enjeu, c’est que tous s’approprient la démarche et enrichissent la réflexion.
La phase actuelle de transformation du modèle économique de l’entreprise facilite le dialogue au quotidien avec les salariés. Quand on a la bonne attitude, quand ils sentent qu’on les écoute, les gens s’expriment volontiers. Mais pour que cela perdure, il faut organiser des rencontres. C’est le devoir du management de créer les conditions pour que cela puisse se faire, d’animer la communauté des salariés.
Quels sont les principaux freins qu’une entreprise risque de rencontrer lorsqu’elle veut faire évoluer son management ?
Au début, il est fréquent qu’un soupçon de scepticisme accueille une démarche participative. Moi-même je l’ai ressenti lorsque j’en arrivant, j’ai organisé 5 réunions de 3 heures sans slides ni ordre du jour, pour échanger à bâtons rompus sur les clients, les offres, le réseau et le digital. C’est comme dans une balade en montagne, l’important, c’est de ne laisser personne au bord de la route, de faire en sorte que le rythme du changement soit compatible avec la culture, l’histoire et l’ADN de l’entreprise.
Est-ce innovant, pour un assureur, d’accompagner les entreprises responsables comme Generali le fait avec Entrepreneurs d’avenir ?
Je ne sais pas si nous avons cherché à être innovants en soutenant dès 2009 la création de ce mouvement d’entrepreneurs qui conjuguent responsabilité et performance, mais je suis ravi de cette initiative. Nous nous retrouvons complètement dans les valeurs d’Entrepreneurs d’avenir, autour du concept de « croissance mieux », plutôt que « croissance plus ». Et, là aussi, nous sommes dans une dynamique de co-construction avec les entrepreneuses et entrepreneurs de ce mouvement. Nous avons beaucoup à gagner à réfléchir ensemble. Ils peuvent nous apporter en termes d’innovation. Nous pouvons les aider dans certaines des activités de gestion de leur entreprise, notamment à travers une démarche de mécénat de compétences que nous avons initiée. Leur démarche responsable rejoint les objectifs de maîtrise des risques, s’inscrit dans la dynamique de performance globale à laquelle nous croyons beaucoup. Et c’est un partenariat vertueux.
C’est positif pour tout le monde que ces entrepreneurs prennent soin de l’environnement et de leurs salariés. En diminuant leur exposition aux risques, ils peuvent, d’une part, faire des économies sur leurs primes d’assurance, et, d’autre part, enclencher une dynamique susceptible d’inspirer d’autres entrepreneurs.
Entretien réalisé le 4 Novembre 2014 par Entrepreneurs d’avenir