Le pari gagnant de Réseau Entreprendre, créé dans le Nord par André Mulliez, est que des entrepreneurs accompagnent de jeunes porteurs de projets (d’entreprises créatrices d’emplois). « Pour créer des emplois, créons des employeurs »: c’est l’esprit de ce mouvement, qui réunit aujourd’hui près de 10 000 entrepreneurs et transmet un message d’optimisme aux jeunes, malgré la crise: « c’est parce que c’est difficile qu’il faut s’engager aux côtés de ceux qui veulent avancer », écrit Benoit Tesson, co-fondateur du cabinet Vertone et associé de la Revue Civique. Beaucoup d’obstacles peuvent tomber quand des chefs d’entreprise expérimentés se mobilisent. Et il est réellement impressionnant de constater l’intelligence et la détermination de nombreux jeunes qui viennent présenter des projets ».
On parle de crise depuis toujours, et on parle de sortie de crise comme s’il s’agissait de sortir d’un tunnel, de l’ombre à la lumière en quelque sorte. Mais la crise n’a pas une entrée et une sortie et ne se ressent pas de manière uniforme par tous les organismes vivants de nos sociétés: entreprises, cités, individus… En réalité, notre monde est en perpétuelle évolution, adaptation, avec des périodes plus mouvementées, et toutes les parties de ce monde ne s’adaptent ni ensemble, ni uniformément, ni à la même vitesse, ni dans les mêmes conditions.
Lorsque le chef d’entreprise André Mulliez, dans les années 80, a supervisé pour Phildar les nécessaires réductions d’effectifs, parce qu’il était devenu impossible de produire à des coûts acceptables permettant de trouver des débouchés dans la compétition mondiale du textile, ce fut difficile à accepter pour lui. Ce fut même une épreuve terrible pour tous ceux qui vivaient de cette filière, depuis des générations pour certaines familles. Six cent personnes furent licenciées chez Phildar. Nous étions alors dans ces crises, peut-être plus sectorielles que généralisées, qui marquent une région entière compte tenu de l’ancrage historique de la filière textile. Mais André Mulliez en tira des enseignements et des leçons pour l’avenir, bien au-delà du contexte économique, régional et sectoriel de son aventure.
Une entreprise, avant d’être une entité juridiquement constituée, avec un bilan et des flux, est un organisme vivant, qui naît, se développe, s’adapte, souffre parfois, et peut être amené à décliner si son environnement évolue au point que ses fondamentaux ne sont plus adaptés. Elle peut être amenée à disparaître, se fondant dans une autre entité, ou en disparaissant en tant qu’organisme économiquement constitué.
C’est un organisme vivant, constitué d’hommes et de femmes, réunis autour d’un projet, d’une certaine vision, d’une ambition, d’outils, d’actifs, de principes de fonctionnement, de modes managériaux ou autres. Cet organisme vivant qu’est l’entreprise évolue dans un écosystème lui-même en bouleversement constant.
Au niveau global, il est donc possible que des entreprises disparaissent, ou connaissent des passages difficiles, malgré les nécessaires efforts d’anticipation et d’adaptation qui ont pu être consentis pour les pérenniser – et la pérennisation est la première préoccupation et responsabilité des chefs d’entreprise et des conseils d’administration.
Si on accepte cette idée d’un cycle de vie des entreprises, la question primordiale est donc, d’abord, celle de favoriser l’émergence de nouveaux projets.
L’entreprise et son écosystème
Ce sont les entreprises qui créent les emplois, et il faut des entrepreneurs pour créer les entreprises. Les politiques ont certainement une responsabilité dans l’établissement et l’entretien des conditions qui favorisent l’initiative et le développement. Nous n’aborderons pas ici les questions, pourtant importantes, de simplification administrative, de fiscalité, de droit du travail ou des sociétés…
Le défi, et le pari relevé par Réseau Entreprendre, créé par André Mulliez, est à la fois ambitieux et empreint d’humilité: il s’agit d’accompagner les porteurs de projet, en les aidant dans la genèse du projet, qu’il soit en phase de lancement ou de développement. Les énergies et les initiatives existent, d’étonnantes idées lumineuses naissent dans l’esprit de jeunes qui ont envie d’entreprendre, d’être acteurs non seulement de leur vie professionnelle mais de la vie économique et sociale de leur pays. « Pour créer des emplois, créons des employeurs », tel est l’esprit de ce grand mouvement, né à Roubaix avec Nord Entreprendre. Aidons donc les porteurs de projets, par l’accompagnement individuel et collectif, en les faisant bénéficier de l’extraordinaire réseau de compétence que constituent les chefs d’entreprises expérimentés, acteurs responsables du monde dans lequel ils évoluent en permanence.
On n’avance pas seul
Le dynamisme entrepreneurial repose sur la conjugaison de deux éléments clés: le désir d’entreprendre et la perception de la faisabilité du projet de création d’entreprises. Sur le plan du désir d’entreprendre, nous sommes mieux placés que nos prestigieux voisins d’Angleterre ou d’Allemagne. Mais le second facteur est sans doute en souffrance dans notre pays. On entend en plus trop d’éminents talents considérer publiquement que les conditions ne sont pas réunies en France pour entreprendre et réussir.
Mais c’est parce que c’est difficile qu’il faut s’engager aux côtés de ceux qui veulent avancer. Beaucoup d’obstacles peuvent tomber quand des chefs d’entreprise expérimentés se mobilisent, comme dans Réseau Entreprendre, pour écouter, parfois conseiller, orienter vers une compétence ou une expertise qui saura apporter un avis éclairé sur une question, et tout simplement pour apprendre à devenir entrepreneur.
Il est réellement impressionnant de constater l’intelligence, la volonté, la détermination de nombreux jeunes qui viennent présenter des projets, souvent déjà bien avancés. En quelques mois ou quelques années, pour certains, ils ont déjà accompli énormément. Mais on n’avance pas seul, on a besoin de l’effet miroir, on a besoin de confronter ses approches, de soumettre ses questionnements. Ceux qui se lancent à deux ou trois sont sans doute moins seuls, mais eux aussi ont besoin de sortir du cadre quotidien et peuvent bénéficier des échanges avec d’autres. Et pour les chefs d’entreprise accompagnateurs ou simples interlocuteurs de ces porteurs de projet, le temps d’un entretien réseau, l’échange avec ces entrepreneurs qui se sont lancés dans l’aventure est source de motivation, de jeunesse aussi, mais surtout de confiance.
Une flamme à transmettre
Quand tant de projets pertinents, malins, surprenants, ambitieux naissent, on peut aussi considérer que tout n’est pas perdu et désespéré dans notre société. Aux responsables économiques et politiques de favoriser leur émergence, et leur développement. Il y a très certainement beaucoup de choses à adapter, mais l’accompagnement des entrepreneurs par des entrepreneurs relève bien d’une solidarité citoyenne, portée par ce besoin de se projeter et de prendre en main la construction de l’avenir.
La confiance ne se décrète pas et ne tombera pas du ciel. Elle naît dans l’esprit et le coeur des femmes et des hommes de notre pays. Il s’agit de l’entretenir comme une petite flamme à préserver, à développer et à transmettre. Il s’agit en quelque sorte de faire la chaîne, dans l’espace et dans le temps, pour faire réussir les initiatives et ce désir d’entreprendre.
Et la valeur de l’engagement des près de 10 000 chefs d’entreprises adhérents au Réseau est justement cette constance, au-delà des effets de mode et des vicissitudes économiques, politiques ou fiscales. En 25 ans, plus de 4 000 chefs d’entreprises ont accompagné plus de 6 000 nouveaux entrepreneurs, créateurs ou repreneurs de PME.
Rien qu’en 2012, 780 entrepreneurs sont devenus lauréats de Réseau Entreprendre, pour être accompagnés. Grâce à eux, 5 800 emplois seront créés ou sauvegardés dans 5 ans. Depuis 1986, plus de 130 millions d’euros de prêts d’honneurs ont été octroyés, sans intérêt ni garantie. 84 % des entreprises accompagnées sont toujours là après 5 ans. Au total, plus de 60 000 emplois ont été créés ou sauvegardés.
Les principes d’action de Réseau Entreprendre peuvent paraître en décalage par rapport au monde économique dans lequel nous évoluons, et par rapport aux « valeurs » qui prennent le pas, mais ses principes sont très certainement la clé de son succès depuis 25 ans:
- L’importance première accordée à la personne : l’enjeu clé pour entreprendre, c’est la confiance.
- La gratuité des conseils, de l’accompagnement et des prêts d’honneur: par ses résultats, Réseau Entreprendre démontre que la gratuité a toute sa place dans l’économie et qu’elle est efficace.
- L’esprit de réciprocité, les lauréats étant invités à rendre à d’autres, demain, ce qu’ils reçoivent aujourd’hui.
Nous sommes un mouvement de dirigeants d’entreprise qui aident de nouveaux dirigeants d’entreprise avec des méthodes d’entreprise. Les temps sont durs sans doute, mais nous allons poursuivre, parce que cette approche continue à faire ses preuves tous les jours.
Alors que la récente étude Viavoice / W&Cie faisait, avec la Revue Civique, le constat d’une « dépression collective » historique dans notre pays, avec 20 points perdus en trois ans sur la confiance économique (84 % des Français pensent que la France est de moins en moins performante, contre 64 % en février 2010), l’entreprenariat constitue sans doute une lueur d’espoir. Car il suppose projet, et ce qui rend heureux n’est certainement pas le niveau de vie mais bien la capacité à se projeter dans l’avenir. Quoi de mieux pour se projeter dans l’avenir que de construire soi-même cet avenir, à travers un projet de création et de développement d’entreprise ?
Benoît TESSON, Co-fondateur et directeur général de VERTONE, conseil en stratégie et management, membre de Réseau Entreprendre Paris
(In La Revue Civique n°11, Printemps-Été 2013)