Au-delà des retraites, l’emploi des seniors devrait devenir une priorité nationale. Par Serge Guérin, sociologue.

Sociologue, auteur, professeur à l’INSEEC GE, Serge Guérin explique dans La Revue Civique en quoi l’emploi des séniors (particulièrement dégradé en France, où le taux d’emploi des 60-64 ans n’est que de 33% !) pourrait à la fois renforcer la cohésion sociale, aider les entreprises et améliorer le financement des retraites. La valorisation de l’expérience, au-delà de mesures normatives indique-t-il dans cet article d’analyse, relève surtout d’un nécessaire changement de représentation, culturelle et sociétale.

On (re)parle enfin de l’emploi des seniors… Sans doute, le seul avantage de la période de turbulence liée à cette énième réforme des retraites. Encore faut-il faire confiance aux acteurs, changer de regard sur l’âge et ouvrir les possibles, plutôt que donner priorité aux approches normatives.

Le sujet avait déserté les discussions entre partenaires sociaux.  Et l’Etat ne portait guère attention au sujet depuis l’échec du contrat de génération. Si ces dernières années, le taux d’emploi des seniors s’est élevé, nous restons à la traine de la plupart des pays européens. Seulement 53,8 % des 55-64 ans sont en emploi [1] en France contre 60,5% dans l’Union. Le taux d’emploi des seniors est un indicateur bien plus concret que l’âge légal de départ en retraite. Il se situe à 73,2% pour les 55-59 ans, mais tombe à 33,1% pour les 60-64 ans. Cela joue sur le faible taux d’emploi global en France (68% contre 78% pour l’Allemagne). Agir sur l’emploi des seniors c’est déjà renforcer l’activité du pays, augmenter les cotisations sociales et retraite, améliorer la productivité par la mobilisation des plus expérimentés… Pourquoi s’en priver ?

Une source « indolore » de financement des retraites

Dans un contexte de pénurie de compétences disponibles, les seniors, avec leurs expériences et leur envie de travailler, sont une chance pour les entreprises. Et la hausse du taux d’activité des seniors serait une source « indolore » de financement des retraites et d’amélioration des recettes pour l’Etat. Sauf que l’image des seniors au travail reste catastrophique et décalée avec le réel.

Les plus de 50 ans sont associés à un poids économique, un risque de cohésion interne, une menace sur la productivité… Ainsi 35% des recruteurs voient les seniors en grande difficulté pour s’intégrer dans un collectif de jeunes [2]. Ils sont le même nombre à estimer les seniors peu adaptables aux évolutions technologiques… Comme si l’intergénération n’existait pas et que les seniors ne vivaient pas avec les technologies depuis qu’ils sont en emploi…

Penser expérience plutôt qu’âge

Changer les représentations des seniors est un préalable pour favoriser leur emploi et leur implication. Les entreprises recherchent en priorité des jeunes, si possible hyper motivés et formidablement bien formés, en faisant l’impasse sur les seniors. Elles oublient que notre destin démographique, c’est la seniorisation de la société… Elles oublient l’importance du savoir-être et du savoir-faire. Qu’elles oublient plutôt le terme senior et qu’elles pensent expérience !

Des pistes existent pour valoriser l’expérience de ceux qui prennent de l’âge. Sortons des logiques de quotas, d’index ou d’amendes, qui associent toujours les seniors à une charge et à une peine, et faisons le pari de l’imagination.

D’abord réfléchissons à des parcours professionnels plus longs et plus souples pouvant comprendre des périodes de respiration où tous les dix ans, le salarié prend un temps pour lui, pour se former, s’impliquer dans la vie collective… Ces « pauses actives » sont autant de leviers de remobilisation des personnes.

Privilégions aussi une approche davantage « à la carte » du départ à la retraite, où le salarié senior pourrait progressivement réduire son temps de travail. Ce serait singulièrement bénéfique en termes de santé publique car le passage brutal à la retraite, quel que soit l’âge, produit un choc difficile à vivre.

Regardons mieux la piste du travail temporaire. Elle permet à des salariés de plus de 55 ans de trouver leur équilibre entre travail et temps pour soi en bénéficiant des accords de la branche sur la portabilité des droits, l’accès à la formation comme aux régimes de prévoyance et de mutualisation santé. Pour les entreprises, c’est une piste pour faire face à des besoins spécifiques ou ponctuels et pour des métiers demandant une grande expérience. Ce serait sans doute plus efficient et moins stigmatisant que de tenter à nouveau un CDD Senior ou un CDI Senior : les acteurs trouvent toujours moyens de contourner ce type de cadre rigide.

Relancer le contrat de génération en le rendant motivant

Utiliser la fin de la vie professionnelle pour la transmission de savoir-faire entre l’expérimenté et un salarié découvrant le métier: relançons le contrat de génération en le rendant motivant pour les entreprises comme pour les salariés. L’enjeu est aussi de valoriser le fait de transmettre (formation, sélection, organisation du temps de travail…).

Mener des politiques actives et adaptées de la prévention tout au long de la vie de travail, centrées sur la santé, la qualité de vie et le maintien de compétences techniques et sociales contribuerait aussi à réduire les arrêts maladies et renforcerait l’implication et l’efficience des seniors.

Faciliter le regroupement de PME pour employer à plusieurs un expert, un salarié expérimenté et lui offrir des conditions satisfaisantes d’activités pourrait contribuer à améliorer l’emploi des plus de 55 ans et compenser la pénurie de talents que ces mêmes PME subissent.

Orienter et soutenir fiscalement l’emploi des seniors vers les métiers du « care » (accompagnement des jeunes et des plus fragiles, métiers de la prévention…) en pénurie structurelle répondrait à la fois aux besoins de la société et à la nécessité de favoriser l’emploi des seniors. Terminer sa vie professionnelle en agissant dans les secteurs de la relation et du « cœur » [3], où le sens est central, peut-être une belle façon de poursuivre son parcours personnel et de gagner en estime de soi. Dans ce type de métier, l’expérience, la capacité de recul et la qualité relationnelle sont essentielles. Des qualités portées par nombre de salariés de plus de 50 ans.

Pour développer ces différentes pistes, il serait aussi opportun de donner plus de responsabilité aux régions afin qu’elles assurent mieux l’orientation et la formation des seniors en prenant en compte les besoins spécifiques en compétences et expériences de leur territoire.

Rendre du sens du travail, valoriser l’expérience et changer le regard sur l’âge peut non seulement améliorer l’emploi des seniors mais signer une ambition collective qui donne corps à la société solidaire de la longévité.

Serge Guérin, Professeur à l’INSEEC GE. (dernier ouvrage La silver économie pour les nuls ; First, 2023).

(03/04/23)


[1] Les seniors et le marché du travail, Dares, avril 2022

[2] Ipsos, Septembre 2022

[3] David Goodhart, « La tête, la main et le cœur : la lutte pour la dignité et le statut social au XXIe siècle », Les Arènes, 2020.