Une conférence était récemment organisée par « le Rassemblement pour l’Organisation de l’Unité Européenne » (ROUE) et le Mouvement européen – France (le 21 novembre) à l’Hôtel de l’Industrie, à Paris. Elle réunissait Jean-Luc Reitzer (député LR, membre de la Commission des affaires étrangères), Michel Grimard (Président de cette association ROUE), et les Généraux Jean Cot et Jacques Favin-Lévêque. La conférence a notamment tourné autour de cette problématique: en quoi une défense autonome de l’Europe, organisée « par les européens », est-elle nécessaire et quels moyens lui allouer, sachant qu’il existe déjà l’Organisation de l’Atlantique Nord, l’OTAN ?
Qu’est-ce que le projet d’ « Europe de la Défense » ?
Michel Grimard a introduit le débat en estimant que l’UE, selon lui, se serait toujours fixé deux objectifs dans sa politique de Défense : améliorer sa coopération avec la Russie et acquérir plus de souveraineté vis–à-vis des États-Unis. L’occasion en tout cas, aujourd’hui, d’introduire auprès du public le concept de «Défense européenne» ou d’Europe de la Défense. Il s’agit de réfléchir un vieux concept de commandement militaire européen autonome, voire d’armée européenne, porté par l’Europe depuis sa fondation sans jamais avoir vraiment pu aboutir, et voué à être « le substitut de L’OTAN » selon M. Grimard. Ce dernier salue à ce titre la mise en place très récente de la PESCO (Politique européenne de sécurité commune) sous impulsion française ; un premier pas concret vers cette objectif d’Europe de la Défense, évoqué en théorie depuis 70 ans.
Lors de son intervention, le Général Jean Cot rappelle les dates clés de l’histoire, jusqu’à maintenant contrariée, de l’Europe de la Défense : 1948 (Traité Européen sur la Défense, « avalé » par la création de l’OTAN en 1949), 1953 (débat sur la Communauté Européenne de Défense, CED, torpillée par l’Assemblée Nationale française en 1954), 1966 (sortie de la France du commandement intégré de l’OTAN), 1989-1992 (implosion du Pacte de Varsovie, structure militaire pro-soviétique d’Europe de l’Est; le Général en profite pour dire que ce sont les guerres du Golfe et de Yougoslavie qui ont « sauvé » l’existence de l’OTAN, après la disparition du bloc de l’Est et l’effondrement de l’ex-URSS), le Conseil européen de Cologne en 1998 avec les missions de Petersberg (missions humanitaires et d’évacuation, de maintien de la paix, mais la défense de l’Europe reste assumée de facto par l’OTAN), 2009 le retour de la France dans le commandement intégré de l’OTAN (pour « européaniser » cette dernière, ce qui est un échec selon MM. Védrine et Juppé) et, enfin, 2017 la création de la PESCO/CSP (Coopération Structurée Permanente), noyau d’une structure permanente de Défense commune, ouverte à tous les pays de l’UE sous condition d’un effort minimal.
Quel rôle face à l’OTAN ?
En outre, le Général Cot pointe du doigt un danger récent : le « désengagement » des États-Unis vis-à-vis de l’OTAN, commencé sous le mandat d’Obama et accentué sous celui de Trump (qui a déclaré ne plus garantir l’application automatique de l’article 5 d’assistance militaire mutuelle en cas d’agression d’un des membres de l’organisation). Ce qui confirme d’autant plus l’urgence, selon ce Général, d’une défense européenne. Michel Grimard cite à ce propos Henry Kissinger : « jamais les grandes puissances ne se détruiront pour sauver leurs alliés ».
Lors de son intervention, le Général Favin-Levêque (dont nous publions les propos détaillés, recueillis par nos soins, plus bas), déplore la sortie de la Grande-Bretagne de l’UE, étant donné son poids militaire au reste du continent : sur les 20.000 soldats immédiatement opérationnels d’Europe, 10.000 sont Français et 5.000 Britanniques (contre 200.000 aux États-Unis), indique-t-il. Le Général détaille aussi les 20 engagements contraignants pour les 23 États de l’UE membres de cette nouvelle Coopération Structurée permanente : atteindre à terme 2% du PIB consacré à la Défense pour ses membres, investir dans les technologies militaires et notamment les drones et la cyber sécurité, 36 projets communs annoncés (encore à définir), etc. Enfin, le Général Favin-Levêque se félicite de certaines inflexions récentes, le fait qu’il ne soit plus obscène de parler de Défense à Bruxelles, qu’un État-major permanent européen ait été crée (qui ne s’occupe pour l’instant que de formation et d’entraînement), et enfin que la baisse du budget de la Défense en France ait été significativement ralentie : le gouvernement Hollande y a, durant son mandat, supprimé 12.000 postes contre les 35.000 initialement prévus.
Le député alsacien Jean-Luc Reitzer, membre de la Commission des Affaires Etrangères de l’Assemblée Nationale, va se dissocier des interventions précédentes en faisant au contraire l’apologie du rôle de l’OTAN dans la sécurisation, passée et présente, du continent européen jugeant, « par réalisme » dit-il, l’Alliance atlantique indispensable. A l’appui de son argumentaire, le député explique qu’il est impossible d’harmoniser quoi que ce soit à 27 sur le plan militaire, et que les préoccupations géopolitiques ne sont pas du tout les mêmes selon les États de l’UE. Sans compter, selon M. Reitzer, qu’il faut bien sûr de la rapidité et de la réactivité dans le domaine militaire, alors que les institutions européennes se caractériseraient par leur lourdeur. Enfin, alors la crise économique contracte les budgets militaires des États membres, seul l’OTAN permettrait actuellement d’ « assurer notre sécurité, en attendant cette défense européenne »
Notre question au Général Favin-Levêque
LA REVUE CIVIQUE: « Pourriez-vous nous résumer ce qui vous fait préférer l’Europe de la Défense et la PESCO à l’OTAN pour assurer la défense des pays membres de l’Union Européenne ? »
Le Général Favin-Lévêque : « La raison majeure qui me fait préférer une défense Européenne à la défense assurée par l’OTAN est le doute qui règne sur la crédibilité que l’on peut attribuer au Président Trump dans la mise en œuvre de l’article 5 du Traité de Washington. Il avait notamment déclaré, lors de sa campagne électorale, que l’OTAN était ‘obsolète’ et il avait semblé conditionner l’engagement des Etats-Unis dans l’OTAN au respect des engagements financiers des alliés européens. Ses propos avaient fortement indisposés les États membres de l’UE qui se sentent menacés par leur proximité avec la Russie et avaient émus la plupart des États membres, notamment l’Allemagne, qui avait jusqu’à présent une grande confiance dans l’Alliance. Certes, le Président Trump est revenu (pour partie) sur ces propos, son entourage multiplie les déclarations rassurantes mais le caractère imprévisible de l’actuel Président des États-Unis pose une question de fond: jusqu’où les États-Unis accepteraient-ils d’aller pour assumer la défense de l’Europe ?
La priorité américaine se situe en Asie
Avant même l’accession de Trump à la Maison Blanche, le Président Obama avait très officiellement affiché que la priorité stratégique des États-Unis ne se situait plus en Europe mais bien en Asie Pacifique.
Il faut en outre être conscient des rapports de force au sein même de l’Alliance; l’effort de défense américain est trois fois plus élevé que celui de la totalité des États membres de l’UE. Au sein même de l’OTAN, la très grande majorité des équipements militaires les plus performants et des forces mettant en œuvre les techniques les plus avancées relèvent des États-Unis. Du fait de cette prépondérance opérationnelle et technologique, la politique de l’OTAN est fortement marquée par la volonté des États-Unis. Cela se traduit dans le fait que le Commandant Suprême de l’OTAN, au plan opérationnel, est toujours un Général américain, dont l’adjoint est actuellement un général britannique… Ce qui n’est pas un brevet d’européisme !
Dans le contexte international actuel, face à la montée en puissance de la Chine, de l’Inde, d’une Corée du Nord imprévisible, d’un Moyen Orient explosif, d’une Russie renaissante, d’une Afrique en détresse, comment imaginer que 300 millions d’Américains voleraient sans aucun état d’âme au secours de 500 millions d’Européens qui, depuis près de 70 ans, n’ont fait aucun effort réellement sérieux pour assumer leur propre défense… ? Certes, les Américains l’ont fait en d’autres circonstances et nous leur devons une immense reconnaissance. Nul ne saurait oublier ce qu’ont été Omaha Beach ou la bataille des Ardennes. Mais le monde a changé et ce qui a été fait dans un cadre géopolitique totalement différent n’a pas nécessairement vocation à être reconduit indéfiniment.
C’est pourquoi le temps semble venu de donner à l’Europe les moyens de sa propre défense, de lui permettre de disposer d’une autonomie de décision géopolitique et d’une capacité propre de défense à la mesure des menaces qui pèsent – et qui pèseront encore plus sur elle dans les décennies à venir. On ne construit pas une défense en quelques mois. L’horizon 2025 semble raisonnable si la Coopération Structurée Permanente tient ses promesses, c’est-à-dire si les États membres coopèrent sans arrière pensée nationale et font effectivement l’effort financier nécessaire.
Telle est en tous cas ma conviction. Elle ne traduit aucun antagonisme envers les États-Unis, ni l’OTAN. Mais on ne peut exclure le cas où les intérêts des États-Unis et ceux de l’Union Européenne seraient profondément divergents, et où l’Europe serait amenée à se défendre par elle-même. Une Europe dotée d’une autonomie de défense serait du reste un gage du renforcement de l’Alliance Atlantique, tandis que le fait de s’en remettre à notre grand allié américain et de dépendre à 75% de son bon vouloir peut nous réserver des surprises désagréables: une Europe démunie face au danger. »
T.L.
Pour aller + loin :
- Site web du Mouvement européen – France
- Site Web du Rassemblement pour l’Organisation de l’Unité Européenne (ROUE)
- Site Web de l’Hôtel de l’Industrie : Société d’Encouragement pour l’Industrie Nationale
- Article de La Revue Civique «Le coordinateur anti-terroriste de l’Union européenne : les outils de la coopération à renforcer (entretien de la Fondation Robert Schuman)»
- Article de La Revue Civique «La sécurité en Europe : une urgence politique (par Notre Europe, l’Institut Jacques Delors)»