Le coordinateur anti-terroriste de l’Union européenne : les outils de la coopération à renforcer (entretien de la Fondation Robert Schuman)

Dans un contexte de plus en plus pesant en matière de terrorisme, que ce soit en France, en Europe, et dans le monde, une question se pose : comment améliorer, concrètement et opérationnellement, la lutte contre le terrorisme ? Pour tenter de mieux saisir ces enjeux, la Fondation Robert Schuman a proposé (début mars, avant les attentats de Bruxelles) un entretien avec Gilles de Kerchove, ancien directeur de la section Justice et Affaires intérieures (JAI) au Secrétariat général du Conseil de l’Union européenne (de 1995 à 2007), et actuel coordinateur de l’Union européenne pour la lutte contre le terrorisme.

– – – – – – – – – – – – – – – – – – – – – – – – – – – – – –

La lutte contre le terrorisme s’inscrit, on le sait, dans la durée et se déploie sur plusieurs fronts. La prévention, la répression et l’action extérieure apparaissent comme les trois orientations principales tracées par les chefs d’Etat et de Gouvernement de l’Europe.

Mais d’abord et avant tout, il convient de mieux cerner et caractériser la menace terroriste : nous sommes en présence de personnes qui vivent en Europe, la menace s’avère donc, également, intérieure, elle cherche à répandre la peur sur le sol européen. De plus, « l’entraînement » qui a notamment lieu en Syrie, rend les combattants encore plus radicalisés lors de leur retour en Europe. Enfin, l’importante structuration d’une organisation comme Daesh fait d’elle un acteur menaçant, même si cette organisation a subi de sérieux revers, grâce aux opérations menées par la coalition internationale en Irak et en Syrie. La pression exercée sur Daesh a, selon Gilles de Kerchove, trois conséquences : « le déplacement du leadership en Libye, un nombre peut être plus élevé des retours des combattants partis en Syrie ou en Irak, la planification de nouveaux attentats spectaculaires en Europe », indiquait-il, avant les attentats de Bruxelles. Cette riposte apparaît comme un enjeu de communication pour Daech qui doit montrer sa puissance malgré un délitement de ses bases.

La menace terroriste, composée « d’une menace endogène, du  phénomène des ‘’combattants  étrangers’’ (foreign fighters) et des  franchises d’Al Qaida et de Daech » est donc très complexe, ne serait-ce qu’à cerner. Et qui dit menace complexe et diversifiée, dit réponse elle aussi diversifiée et qui doit être à la hauteur de ces enjeux.

« Une meilleure optimisation des outils informatiques »

Gilles de Kerchove en appelle à une meilleure utilisation du potentiel de certaines plateformes de lutte contre le terrorisme. Des plateformes, qui, selon lui, doivent être optimisées. La réponse est donc, forcément, européenne : on parle ici de mutualisation, de coopération européenne et de moyens communs pour le renseignement. Autrement dit, d’un cadre commun. Il s’agit, par exemple, de la plateforme SIS (Système d’Information Schengen), d’Europol ou encore du GAT, le Groupe Anti-terroriste. Mais au-delà de ces moyens communs pour le renseignement, il faudrait aussi assurer un contrôle systématique aux frontières, ce qui pose donc la question des moyens et « suppose que les Etats membres disposent, à leur frontière extérieure, de connexions rapides à internet, de lecteurs de documents de voyage, d’un accès centralisé aux bases de données pertinentes ».

A ce propos, la question d’Internet apparaît comme majeure, notamment vis-à-vis de ce qu’on appelle le « Djihad 2.0 », ce recrutement en ligne de jeunes européens qui deviennent djihadistes. Si l’on constate une certaine efficacité sur le web, via la suppression des sites, des comptes Twitter et des contenus illégaux, le contre-discours paraît lui moins impactant auprès des cibles concernées, eu égard à la rhétorique, à la viralité et au contenu de ce « Djihad 2.0 » qui s’est montré tristement attractif auprès de certains jeunes.

 « Mettre en commun les différentes intelligences pour procéder à des analyses fines de diverses menaces qui pèsent sur notre sécurité »

Face à l’ampleur de la menace, Gilles de Kerchove en appelle à une réponse, qui, sur le plan technique, soit proportionnelle à cette menace, en quittant « la logique d’une limitation des finalités » : concrètement, cela passe notamment par l’optimisation des outils informatiques, par l’accès à de multiples bases de données en une seule interrogation ou la possibilité de croiser les fichiers.

L’exemple d’Eurodac est utilisé : cette base de données d’empreintes digitales établie pour gérer les demandes d’asile devrait, selon Gilles de Kerchove, également pouvoir être utilisée pour le contrôle aux frontières extérieures. Toutefois, des réticences peuvent exister quant à ce type de pratiques qui pourraient « fragiliser la confidentialité des données ». L’actuel coordinateur de l’Union européenne pour la lutte contre le terrorisme souligne deux enjeux : « convaincre la communauté du renseignement d’utiliser davantage Europol et sa nouvelle plateforme intégrée ECTC, et identifier les freins techniques, juridiques, culturels ou psychologiques à l’alimentation des plateformes européennes (SIS, VIS, Eurodac, Europol, ECRIS…) ».

Le volontarisme de Gilles de Kerchove est combiné par un certain réalisme car, relève t-il, « on ne peut pas contrôler des milliers d’individus, il faut faire des choix et hiérarchiser les priorités (…) En l’état actuel des traités, l’Union n’est pas compétente en matière de renseignement. On peut le déplorer mais c’est comme ça. Cependant, cela ne signifie pas que les Etats ne coopèrent pas ». La coopération entre les Etats membres existe bel et bien, mais l’heure est à une meilleure structuration et accélération de cette dernière.

Prévention en amont, déradicalisation en aval

Quant à l’épineuse problématique du retour de Syrie ou d’Irak d’individus contre lesquels des preuves tangibles ne peuvent être avancées, « soit on les contrôle 24h/24 mais cela mobilise plus d’une vingtaine d’agents du renseignement par personne surveillée, soit on les met dans des programmes de réhabilitation » précise Gilles de Kerchove.

Pour lui, « si trois conditions sont réunies : pas de sang sur les mains, pas de preuve et volonté de l’individu de se réintégrer, il est souhaitable d’insérer un combattant étranger de retour au pays dans un programme de réhabilitation ». Si Daech pousse à l’amalgame entre la migration et le terrorisme, il est également bon de rappeler, comme le fait Gilles de Kerchove, que  « l’assimilation des terroristes aux étrangers est une grave erreur et ne correspond pas à la réalité ».

Bruno Cammalleri

(mars 2016)

►Retrouvez l’intégralité de l’entretien avec Gilles de Kerchove, réalisé par Pascale Joannin, pour la fondation Robert Schuman

►La sécurité en Europe : une urgence politique (par « Notre Europe », l’Institut Jacques Delors)

► Attentats de Bruxelles : l’Europe face à la terreur (Article du Point, source AFP)