Laïcité française et Judaïsme

Gérard Fellous, expert auprès des Nations Unies et de l’Union européenne, a consacré une étude du Conseil Représentatif des Institutions juives de France (CRIF) à l’attachement du judaïsme à la Laïcité française. Il y analyse notamment une « vision juive de la Laïcité », mettant en perspective l’ensemble des problématiques relatives à la place des communautés religieuses dans la République. Il revient sur l’incompréhension du principe de Laïcité par les citoyens, incompréhension ou confusion qui est aussi le fait de l’instrumentalisation politique de ce grand principe républicain. Qui, selon lui, devrait s’ajouter aux trois termes de la devise nationale. Extraits de cette étude.

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La République « Une et indivisible »

L’auteur évoque la notion de communautarisme, rappelant que la République française, constitutionnellement « Une et indivisible », protège les citoyens par l’impossibilité d’opérer un traitement spécifique en fonction de l’origine. Il n’évoque pas moins la crainte du philosophe Gérard Israël de voir apparaître un jour une « France des communautés », par l’émergence de groupes considérés comme des sous-ensembles, auto-organisés, de la Nation. Il en vient à la notion de Laïcité, telle que défendue par l’ancien Grand Rabbin de France, Gilles Bernheim : « Si la religion est vécue par certains comme une valeur refuge, la République, elle, ne peut se contenter d’offrir une Laïcité-refuge, simple valeur en creux, pour ne pas dire creuse (…) Faute de sens et de contenu, cette Laïcité serait incapable de résister à la communautarisation opposant des groupes définis par des origines allogènes. » Gérard Fellous résume : «il prend ainsi position dans le débat sur le droit à la différence, qui ne doit pas induire la différence des droits. »

Problématiques actuelles de la Laïcité

Ces problématiques, selon Gérard Fellous, se recentrent autour de quatre considérants, qui expliquent chacun l’effacement progressif du modèle laïc français. Il s’agit d’une part de la modification du paysage religieux au cours du XXe siècle avec l’émergence progressive de nouvelles religions. Changement qui s’accompagne, d’autre part, d’une « multiplication incontrôlée » des revendications religieuses parfois au sein même des institutions républicaines. De plus, relève-t-il, chacune des religions s’approprie une interprétation spécifique de la Laïcité, créant ainsi des pressions sur les pouvoirs publics et la société civile. Enfin, le pouvoir étatique ou politique a lui aussi sa part de responsabilité dans l’incompréhension générale de la Laïcité, en instrumentalisant parfois les débats liés à la religion ou « en acceptant de légiférer sous la pression de l’opinion publique ». Résultat, selon lui : au lieu de clarifier, il instaure un climat pesant autour des notions se rapportant au fait religieux.

Une définition juive de la Laïcité

En se livrant une définition juive de la Laïcité, cet auteur reprend les propos de l’ancien Grand Rabbin Gilles Bernheim, qui rejette le laïcisme militant, antireligieux ou anticlérical : « On a beaucoup parlé en France de “laïcité active”, “positive”. La Laïcité ne se réduit pas à assurer que l’État garantit une société sans problème, où les différences ne doivent pas s’afficher, ne fassent pas souci. La Laïcité, c’est autre chose ». Il précise : « Lorsqu’on parle de liberté, d’égalité, de fraternité, que signifient ces concepts, socle de la République ? » Il répond : « La liberté, c’est par exemple le droit de quitter sa religion […]. L’égalité hommes-femmes, […] c’est accepter l’idée de résister au principe du patriarcat, c’est donner à la femme toute sa dignité, ses chances. La fraternité, c’est l’appartenance à une même Mémoire, à une même Histoire (…) » D’où cet objectif : « vivre ensemble en respectant nos origines respectives et en essayant de construire un avenir, où des religions différentes sauront cohabiter en bonne intelligence et avec cœur. » Face à la montée des extrémismes, on voit bien que cette conception est mise à mal…

Face à la montée des revendications religieuses, notamment dans les services sanitaires et sociaux où la Laïcité est parfois bafouée aux dépens du bon fonctionnement des services médicaux, le CRIF en 2011, par la voix de Richard Prasquier son Président de l’époque, rappelait néanmoins sa confiance en la loi de 1905, il se posait en défenseur du principe de communauté, qui permet à chacun de s’émanciper en se tournant d’abord vers la « communauté nationale ». Pour Gérard Fellous, cette conception ne laisse en aucun cas la place au communautarisme, le vieil adage juif le rappelle: « la loi du pays est notre loi ».

Le cas exemplaire de la circoncision

Gérard Fellous relève que « le judaïsme français, au-delà des différents courants qui l’animent, a été fortement troublé, en octobre 2013, par un débat européen portant sur l’interdiction de la circoncision, à la suite d’une résolution de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe (…) »

« En droit français, la pratique de la circoncision religieuse bénéficie à ce jour d’une large tolérance du fait, d’une part, qu’elle ne peut recevoir de qualification pénale, d’autre part, qu’elle a reçu la consécration de la loi coutumière. Il n’existe aucune jurisprudence des tribunaux français l’ayant remise en cause. Dans son rapport de 2004 intitulé « Un siècle de laïcité », le Conseil d’État soulignait que la circoncision rituelle « pratique religieuse admise […] ne fait l’objet d’aucun texte, si ce n’est en Alsace-Moselle ».

« Du point de vue de la Laïcité, en vertu du principe de séparation des Églises et de l’État, il est fait une claire dissociation entre l’espace politique et civil, qui procède de l’universel, et le domaine privé, lieu privilégié de la conscience et des croyances religieuses, pour l’individu comme pour les groupes. Il est clair, conclut-il, que la pratique du rite religieux de la circoncision relève du domaine privé, dans lequel la Laïcité n’intervient pas. »

Paul HALLUIN
(juillet 2014)

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L’intervention de Roger Cukierman pour le 70ème anniversaire du Crif