Yonathan Arfi (devenu Psdt du CRIF): notre responsabilité est de « nous mettre en travers » des propos de Zemmour

Yonathan Arfi, alors vice-Président du Crif (Conseil représentatif des institutions juives de France, dont il deviendra le Président) s’élève en 2021 contre le danger de l’extrémisme d’Eric Zemmour dans un texte fort, titré « la double peine des Juifs français ». En voici de larges extraits. Un appel à la responsabilité des Juifs de France et à faire barrage à la propagation, par ce polémiste devenu candidat à la présidentielle, des thèses radicales d’extrême droite: « ce sont les provocations de Jean-Marie Le Pen avec le look de Bruno Mégret » dénonce Yonathan Arfi. Son texte ici:

« Eric Zemmour: la double peine des Juifs français »

« Eric Zemmour ne s’encombre pas de la nuance : tout ce qui dépasse, détonne, dissonne, doit être supprimé.  C’est la quête d’une France rabougrie et monochrome. Et malheureusement, les Juifs, ça ne rentre pas bien dans les cases… Certains disent même que nous avons été inventés pour ça.

Les Juifs sont d’ailleurs doublement victimes du discours d’Eric Zemmour : une fois victimes de ce qu’il dit, une autre du lieu d’où il s’exprime. Une fois, politiquement, une autre, symboliquement.

Sur le plan politique, ce qu’il propose a le goût et l’odeur des vieux classiques de l’extrême-droite. Eric Zemmour attaque à tous les temps. Au passé, d’abord : « Pétain a sauvé les Juifs français » (Octobre 2019), fantaisiste révision de l’Histoire. Au présent ensuite : « la Kippa est une sorte de selfie religieux » (Janvier 2016) ou hier matin en voulant « obliger à donner des prénoms français ». Les Eytan, Déborah, Ilan, Rivka, Amir, Shirel, Gad… et les Français qui portent la kippa apprécieront.

Yonathan Arfi : une voix qui s’élève contre les dérives actuelles du débat public, provoquée par Zemmour.

Au futur, enfin, puisque Eric Zemmour s’arroge même le droit de déterminer la légitimité de nos lieux de sépulture. Même morts, nous sommes coupables. Pour Eric Zemmour, se faire enterrer en Israël, c’est de l’évasion funéraire !    

Sur le fond, rien de bien nouveau. Eric Zemmour, ce sont les provocations de Jean-Marie Le Pen avec le look de Bruno Mégret. Mais le prix le plus élevé que les Juifs paient n’est pas seulement la remise sur le devant de la scène de ces vieilleries politiques. Non. Le plus insupportable vient du fait que ces provocations soient l’expression d’une personnalité largement identifiée comme juive.

« Qu’il le veuille ou non, Eric Zemmour contribue à apporter à l’extrême-droite ce que Marine Le Pen cherche depuis longtemps: un certificat « casher » dont elle espère qu’il lui apporte une légitimité nouvelle. »

Je ne cherche pas à analyser le rapport d’Eric Zemmour à son identité juive. Ce rapport intime lui appartient et je réclame pour chacun, et donc pour lui aussi, le droit d’échapper à toute assignation identitaire. Ce qui est certain, en revanche, c’est que ses propos ne trouveraient pas un tel écho s’ils n’étaient pas formulés par une personnalité perçue comme juive. Les linguistes et communicants le savent, l’identité du locuteur compte dans la réception du message. Et en l’espèce, qu’une personnalité portant un nom juif, fasse la promotion des discours d’exclusion visant notamment les juifs et les musulmans, donne une légitimité inédite au propos.

Qu’il le veuille ou non, Eric Zemmour contribue à apporter à l’extrême-droite ce que Marine Le Pen cherche depuis longtemps : un certificat « casher » dont elle espère qu’il lui apporte une légitimité nouvelle. Cette dimension là peut paraître secondaire par rapport aux propos de Zemmour, mais pour moi, elle est la plus inacceptable. Celle qui me fait le plus mal. En tant que Juifs, nous ne sommes bien entendu pas responsables des propos d’Eric Zemmour. Mais nous avons la responsabilité de nous mettre en travers de leur chemin« .

(17/09/21)

Yonathan Arfi, vice-Président du CRIF. Ici avec Robert Ejnes, directeur du CRIF (à droite), Francis Khalifat, actuel Président du CRIF (au centre) et Roger Cukierman, ancien Président du CRIF et Albert Roche, du CRIF-Bordeaux.

Sur Radio J, le Président du CRIF Francis Kalifat dénonce avec force ici Eric Zemmour, « fils spirituel de Jean-Marie Le Pen » et « juif utile, chef de file du révisionnisme » en France. Vidéo :

(12/10/21)