Georges-Marc Benamou, la résistance sort du marbre

Georges-Marc Benamou

Producteur du film « Alias Caracalla », le journaliste et écrivain Georges-Marc Benamou revient sur cette fiction qui a mis en scène l’épopée de Daniel Cordier, secrétaire de Jean Moulin pendant la Résistance. Il évoque la « nouvelle approche » que représente ce beau film diffusé sur France 3 : « Nous avions vécu le temps de l’abstraction, de la panthéonisation. Les grands Résistants étaient des héros, des statues de marbre indéboulonnables. Au moment où ils sont en train de mourir (car dans peu de temps, malheureusement, le dernier Résistant mourra), il y a chez des générations plus jeunes, comme la mienne, le goût d’aller retrouver de la vie et de la singularité derrière le marbre ». Entretien.

LA REVUE CIVIQUE : Le film « Alias Caracalla », qui met en scène l’engagement dans la Résistance de Daniel Cordier, jeune homme maurrassien de 20 ans, n’est-il pas représentatif d’une nouvelle vision de cette époque ? L’impression qui domine est celle d’une aventure humaine d’abord, très vivante, celle de jeunes gens presque inconscients des dangers qu’ils courraient, d’un engagement et d’un courage aussi qui dépassaient tous les clivages idéologiques.
Georges-Marc BENAMOU : Oui, nous avons connu une sorte de mouvement dialectique sur l’Occupation et la Résistance. Jusque dans les années 70 dominait une vision « communisto-gaulliste » : « tous héros ! » Puis, est arrivée une vision beaucoup plus sombre, à la fin des années 70, induite notamment par les travaux de Robert Paxton : « tous vichystes, tous collabos ! » Après ce mouvement de balancier, on en arrive à une vision plus nuancée, plus complexe, sur la France et les Français pendant cette période.

La ligne n’est pas gauche-droite

L’approche du film est, en cela, nouvelle. Nous avions vécu le temps de l’abstraction, de la panthéonisation. Les grands Résistants étaient des héros, des statues de marbre indéboulonnables. Cette vision iconographique dure tant que les héros sont vivants, l’histoire est gelée. Et au moment où ils sont en train de mourir (car dans peu de temps, malheureusement, le dernier Résistant mourra), il y a chez des générations plus jeunes, comme la mienne, le goût d’aller retrouver de la vie et de la singularité derrière le marbre. Au moment où ils meurent, nous voulons les retrouver vivants, connaître leurs rires, leurs pleurs. Nous sortons du marbre pour entrer dans le vivant.

Vie, mort, pleurs, joies, la contradiction ou les paradoxes apparents, d’ordre idéologique aussi, sont la marque de fabrique de ce film. Daniel Cordier venait de l’ultra-droite, maurrassienne et antisémite, il a néanmoins refusé le discours d’armistice de Pétain et basculé dans la Résistance très active. Cette trajectoire ne correspond pas à l’iconographie de marbre que nous avions traditionnellement. Cela ne montre-t-il pas aussi que la force des caractères et des convictions, une certaine idée de l’honneur, ont pris largement le dessus sur les étiquettes politiques ?
Les caractères, d’une certaine manière, tracent une ligne de clivage entre les réguliers et les irréguliers. Certains sont des monarchistes, d’autres des communistes, des socialistes, des démocrates-chrétiens, tous dans la Résistance deviennent des dissidents, des irréguliers. La ligne n’est pas gauche-droite mais conformistes contre irréguliers.

Une histoire de jeunes

Chez ces irréguliers, qui étaient ultra-minoritaires, il y a du génie et le sel de la terre. J’ai personnellement rencontré des dizaines de ces tout- premiers irréguliers, engagés dans la Résistance, partis pour l’Angleterre aux premières heures. Ils sont, chacun d’eux, un étranger condensé d’une humanité inoxydable.

Quel a été l’impact du film, et sa vie après sa diffusion à la télévision ?
Le film, par sa diffusion à la télévision (en deux volets, en soirées de week-end sur France 3), a eu un écho important, touchant plusieurs millions de personnes. Cela a beaucoup marqué et il continue sa vie, selon le précepte de la longue traîne ; il tourne beaucoup dans les lycées et les collèges. Nous avons constaté qu’il y a une vraie appropriation du film par les jeunes, en partie parce que les gamins qui sont à l’écran, cette bande de héros, ont leur âge, 16-17 ans. Ce n’est plus une histoire de vieux, comme nous le voyions sur nos écrans du temps de l’ORTF, c’est une histoire de jeunes, d’une vivacité exceptionnelle, cela les questionne et les interroge sur ce qu’eux auraient fait. Je suis bouleversé par la capacité d’attention des jeunes d’aujourd’hui, leur sérieux et leur questionnement que j’ai vu partout où j’ai présenté le film. Ce film est une histoire de vie et une histoire de jeunes.

Un manque de fierté nationale

La perception de cette période par les jeunes n’est pourtant pas évidente. Un sondage alarmistes, de l’institut CSA en 2012, montrait par exemple que le terme « rafle du Vel’ d’Hiv’ » n’était pas connu par une large majorité (67 %) des 15-17 ans, malgré les films, commémorations, livres ou articles sur le sujet. Cette période s’éloigne des jeunes avec le temps, risquant à terme de tomber dans un trou noir de la mémoire collective. De nouveaux efforts pédagogiques ne sont-ils pas nécessaires ?
Je suis un enfant de l’école de la Ve République, qui était encore influencée par la IIIème. Je ne vois pas de contradiction, bien au contraire, entre un fort récit national et des cours d’histoire bien charpentés. Or, j’ai l’impression qu’aujourd’hui, à l’école, il n’y a plus autant l’envie d’histoire et que nous avons honte du récit national. Quand il s’agît de commémorer la Résistance ou la mort de Mohammed Merah, une sensible tendance non-républicaine se fait jour au sein de l’Éducation nationale. Je vois qu’il y a des professeurs admirables mais d’autres ont baissé les bras et tendent à ne plus parler de Vichy, de la Shoah, de la décolonisation… Il y a un manque de foi chez certains hussards de la République, qui ne sont plus du tout des hussards. Il y a l’astreinte des programmes, leur complexité, cette histoire transversale et déstructurée où on apprend l’agriculture dans le monde entier avant d’enseigner la géographie de la France. Tout cela participe d’un manque de fierté nationale et d’ardeur républicaine. Ce phénomène est inquiétant.

Comment réformer cela ? L’outil pédagogique que représente le film « Alias Caracalla » est-il quand même utilisé dans les écoles et permet-il, malgré tout, d’aborder cette période ?
Oui, il est largement utilisé par le CNDP1, qui a fait un travail admirable en créant six fiches pédagogiques à destination des classes de Première et de Terminale, cela représente un vrai maillage territorial. L’Éducation nationale a fait son travail avec un dynamisme renouvelé du CNDP mais il y a une disponibilité chez les profs, qui n’est pas toujours exploité par leur hiérarchie. Il est à noter que le service public a joué son rôle à cette occasion, comme il l’a joué dans mon enfance pour créer à l’école un récit national. Mais le pouvoir politique doit être vigilant. François Hollande, comme l’était Nicolas Sarkozy, semble être soucieux de cette transmission.

Aiguiser la vigilance

Faut-il faire de la promotion de la Mémoire, par l’histoire, l’une des missions fondamentales de l’Éducation ?
Oui et avec une valeur ajoutée. Car que disent les jeunes aujourd’hui : donnez-nous des leçons, contre quoi devons-nous nous battre aujourd’hui ? 1) Centre National de Documentation Pédagogique Donnez-nous les chemins de notre dissidence, comment appliquer les leçons des résistants ? Pour quelles causes essentielles devons-nous nous engager, contre quoi faut-il s’élever ?

Et votre réponse ?
Elle n’est pas facile, car heureusement nous ne vivons pas l’époque de la Résistance, où toutes les valeurs démocratiques et humanistes étaient mises à mal. Mais des dangers persistent, en Europe comme dans le monde. Il faut donc aiguiser la vigilance, avoir la capacité à dire « non », sur tous les modes et tous les registres possibles, quand c’est nécessaire.

Propos recueillis par Paul TEMOIN
(In La Revue Civique n°12, Automne 2013) 

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