LaPrimaire.org : « rendre la politique plus inclusive et vertueuse »

La Revue Civique vous invite à découvrir les différents acteurs de la Civictech, ces start-up ou collectifs citoyens qui utilisent les outils numériques pour « améliorer la démocratie ». Voici l’interview de David Guez et Thibauld Favre, les deux fondateurs de LaPrimaire.org, une primaire ouverte qui présente la candidature d’un citoyen à l’élection présidentielle, en dehors des partis politiques traditionnels. Parmi les 215 candidats déclarés sur leur site, c’est finalement Charlotte Marchandise-Franquet qui avait été désignée candidate pour porter « la parole citoyenne ».

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La Revue Civique : La Civictech trouve son émergence dans un contexte de crise démocratique et de défiance (à l’égard du système politique comme des élus). Quelles sont les reproches que vous adressez au régime de la Ve République ? Concrètement, en quoi votre projet contribue-t-il à réduire la fracture civique ?

David Guez et Thibauld Favre : Nous ne formulons pas de reproches spécifiques à l’encontre de la Ve République. C’est davantage la manière dont est exercée la politique en France qui nous questionne et a motivé notre action. Il existe, à notre sens, une grande fracture entre le sphère politique et le reste de la société. Tout d’abord, en France, l’élection est quasi le seul temps où les citoyens sont invités à participer. Et encore, il leur est simplement demandé de se prononcer sur des candidats que les partis politiques leur imposent et sur le fondement de programmes élaborés en interne par ces partis sans concertation à grande échelle. Cela nous apparaît très réducteur et peu engageant. Il n’est plus possible de pratiquer la politique de cette manière alors même que les élus prennent des décisions qui impactent grandement notre vie. Cette fracture et la relative déconnexion de la plupart des élus ont créé au fil du temps ce sentiment de désintérêt, de méfiance voire de dégoût envers la globalité de la classe politique.

« Vouloir une politique plus inclusive en permettant au plus grand nombre de s’impliquer, librement »

C’est sans doute en partie injustifié car beaucoup d’élus, notamment locaux, font un travail remarquable mais le constat est là : abstention grandissante, sentiment de voter par défaut et non par adhésion sont autant de manifestation de cette crise de confiance. Ensuite, la politique est aujourd’hui principalement faite de « petites phrases », piques ou invectives et peu d’espace est offert à un vrai débat d’idées et de fond. Avec LaPrimaire.org, nous avons donc souhaité ré-enchanter la politique, la rendre plus inclusive et vertueuse. Replacer le citoyen au cœur de la démocratie. Vouloir une politique plus inclusive en permettant au plus grand nombre de s’impliquer, librement et sans contrainte, notamment en dehors du cadre des partis politiques, et cela selon ses envies et sa disponibilité : s’inscrire et suivre les campagnes électorales, faire valoir ses idées, rejoindre une équipe ou même être candidat. Espérer également une politique plus vertueuse, éthique, transparente et susciter non seulement un vrai débat d’idées mais aussi un débat extrait des logiques et contraintes partisanes. Enfin, attendre des élus qu’ils expliquent leurs actions et rendent des comptes. En résumé : restaurer la confiance et engager une révolution bienveillante d’un système obsolète. LaPrimaire.org consiste à proposer une méthode, un processus, au service de la participation du plus grand nombre afin de renouveler l’offre politique et trouver, ensemble, les solutions les plus appropriées aux défis auxquels notre pays est confronté aujourd’hui.

La Revue Civique : La Civictech utilise les outils du numérique pour permettre aux citoyens de collaborer avec les pouvoirs publics. Tout en améliorant le fonctionnement démocratique, n’y-a-t-il pas néanmoins le risque d’un défaut de représentativité de cette expression citoyenne, eu égard notamment à la fracture numérique (tous les citoyens ne sont pas égaux face aux usages du web) ? 

David Guez et Thibauld Favre : Le numérique reste un point d’entrée de l’engagement et ne peut dispenser d’aller à la rencontre de l’autre, ni se substituer à l’action terrain. Nous estimons que le numérique doit davantage s’analyser comme l’expression et le relais d’une action politique inclusive, citoyenne, plutôt que comme une nouvelle forme d’organisation ou de système. Néanmoins, le numérique étant un vecteur formidable d’engagement et d’inclusion, il nous appartient justement de faire en sorte que ne s’installe pas durablement de fracture et que le plus grand nombre puisse se saisir des outils développés, apprennent à les utiliser et puisse s’engager aisément et en pleine conscience.

Il est important que les outils soient diffusés et utilisés à grande échelle pour assurer une représentativité réelle des citoyens et légitimer les actions menées. Il est important de faire comprendre qu’il est l’intérêt de tous de se saisir de ces outils. Bien sûr, nous sommes au début de ce chemin de renouveau démocratique et il appartient à chacun de faire sa part. Un accompagnement pour les personnes les moins à l’aise doit être proposé mais il nous semble que le vrai sujet se situe avant tout dans la nécessaire compréhension par tous des institutions, de leurs rôles et de l’intérêt de participer à l’action politique de son pays. Autrement dit, il est important de renforcer l’éducation civique et le sentiment d’être partie prenante de la Nation. Avant de s’engager, et d’ailleurs avant même de vouloir s’engager, encore faut-il, en effet, disposer des clés de compréhension. C’est ce travail qui doit être adressé en premier lieu, avec le numérique en accompagnement. Le numérique doit s’apprécier comme un moyen au service de cette action d’inclusion et de compréhension et non comme une fin en soi.

Aucune subvention publique, ni financement d’entité privée

La Revue Civique : Pour le moment, la Civictech est une nébuleuse constituée de start-up et de collectifs citoyens agissant généralement en tant que bénévole. Sur quoi repose votre business model ? Quelles sont les difficultés rencontrées ? 

David Guez et Thibauld Favre : Il n’y a clairement pas de business model en tant que tel et, à ce jour, il semble difficile en tout état de cause de vouloir générer des revenus au travers d’un projet d’intérêt général et destiné à améliorer notre démocratie. Notre action a ainsi été portée originellement par une association Loi 1901 (democratech) que nous gérons effectivement à titre bénévole. C’est là une première difficulté car cela suppose d’avoir une activité professionnelle en parallèle afin de se rémunérer tout en disposant de suffisamment de temps afin de faire avancer le projet. La vraie contrainte est donc celle du temps disponible à l’action bénévole au regard du temps à consacrer à son activité professionnelle pour pouvoir vivre. D’un point de vue opérationnel, les divers coûts (services et outils techniques, dépenses de communication, événementiel, logistique etc.) ont pu être réglés grâce à la générosité des citoyens.

Nous avons en effet organisé en 2015 une première campagne de financement participatif, qui nous a permis de collecter 60.000,00 € environ, ce qui a couvert les dépenses de l’association de fin 2014 à mi-2016. Ensuite, pour les besoins de LaPrimaire.org et compte tenu des contraintes légales liées au financement des activités politiques, nous avons créé au second semestre 2016 un parti politique et à nouveau fait appel à la générosité des citoyens. Nous avons collecté 75.000,00 € environ, lesquels ont permis de payer les nombreux frais de primaire, défrayer les candidats qualifiés et finalistes d’une partie de leurs frais, nous verser une rémunération symbolique au titre de l’ensemble du travail accompli et réaliser une contribution financière à l’association de financement électoral du vainqueur de LaPrimaire.org. Il est important de préciser que nous ne disposons d’aucune subvention publique et n’acceptons aucune aide d’entité privée afin de préserver notre indépendance. Le financement citoyen est donc gage de notre indépendance et liberté. L’un des intérêts du parti politique est aussi qu’il permet d’offrir une déduction fiscale aux donateurs imposables (réduction d’impôts à hauteur de 66% du montant du don et dans les limites légales).

« Les civic tech sont au début d’un chemin »

La difficulté principale reste donc toujours le financement du projet et la récurrence des rentrées de fonds : comme LaPrimaire.org est entièrement gratuite pour les citoyens afin de permettre la participation du plus grand nombre, la seule entrée financière résulte des dons. Il faut donc parvenir à toujours avoir suffisamment de dons pour couvrir les frais sinon tout s’arrête. Sur cet aspect également, les civic tech sont au début d’un chemin et il nous semble que si les divers acteurs avancent et trouvent de l’écho auprès des citoyens, des business models, permettant à minima de pouvoir faire vivre les porteurs de projets qui veulent changer les choses positivement, devraient pouvoir émerger.

Propos recueillis par Sarah Pinard

(mars 2017)

► La Civic Tech : paysage et perspectives

► Faire participer à l’élaboration de la loi (par Cyril Lage, Parlement & Citoyens)

► Civic Tech: « Pour que les citoyens participent activement » (Jeremie Paret, co-fondateur de l’appli Stig)