Civic Tech: « Pour que les citoyens participent activement » (Jeremie Paret, co-fondateur de l’appli Stig)

Stig est une application permettant à des citoyens de proposer des idées, des amendements ou de voter en faveur d’une proposition. Son ambition : moderniser le débat public et assurer la remontée d’informations de la « base » jusqu’aux élus afin que la volonté générale soit mieux représentée. La Revue Civique a posé 3 questions à Jeremie Paret, co-fondateur de Stig.

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La Revue Civique : La Civictech trouve son émergence dans un contexte de crise démocratique et de défiances (à l’égard du système politique comme des élus). Quelles sont les reproches que vous adressez au système politique actuel ? Concrètement, en quoi votre application contribue-t-elle à réduire la fracture civique ?

Jeremie Paret : Il convient de se poser la question des origines de cette défiance. Il y a des « affaires » en politique, et il y en a toujours eu, partout. Pourtant, nous ressentons la montée du mécontentement des citoyens envers les élus, très majoritairement nationaux, et surtout une déconnexion par rapport à eux, que certains élus ne manquent d’ailleurs pas d’illustrer de temps à autre. Je pense qu’Internet a sa part dans ce sentiment. Il n’y a sans doute pas plus d’affaires qu’avant mais simplement nous en connaissons un plus grand nombre car l’information se multiplie désormais à une vitesse insensée. Les médias ont également leur part, communiquant trop sur les personnes et pas assez sur les idées, alors que voter pour un candidat c’est avant tout choisir un programme et une idéologie particulière. D’ailleurs, notre nom Stig vient du mot « stigmergie », qui désigne une forme d’intelligence collective, où les projets sont conduits par les idées plutôt que par des personnes.

« Connaître la volonté générale nous permettrait de renforcer le travail des élus »

Pour autant, nous ne trouvons pas notre émergence dans cette défiance mais dans la découverte d’un « trou démocratique » dans notre système, plus discret car présent depuis le début, mais qu’il faut absolument combler. L’article 6 de la Déclaration des Droits de l’Homme, dont la valeur constitutionnelle est bien sûr reconnue, précise que « la Loi est l’expression de la volonté générale ». Mais quelle volonté générale ? Vous la connaissez, vous ? Ni les citoyens, ni les élus ne la connaissent, et ces derniers ne peuvent donc légiférer qu’en s’appuyant sur autre chose. Connaître la volonté générale nous permettrait donc de renforcer le travail des élus, et également de vérifier que leurs actions sont en accord avec elle, ce qui limiterait fortement l’influence extérieure. Jusqu’à l’arrivée d’Internet, il nous avait toujours manqué un moyen de communication symétrique et instantané. Jusqu’à récemment, il ne nous manquait plus qu’une chose : sa démocratisation, qui arriva finalement grâce aux smartphones. Aujourd’hui, les citoyens sont prêts à utiliser Internet pour enfin créer cette volonté générale et ils veulent qu’elle soit entendue. C’est ce que nous proposons avec notre application Stig (sur mobile, ordinateur et tablette), à l’échelle de la France et dans chaque ville.

La Civic tech utilise les outils du numérique pour permettre aux citoyens de collaborer avec les pouvoirs publics. Avec votre plateforme participative, vous souhaitez mieux représenter la volonté générale, en permettant à un plus grand nombre de citoyen de s’exprimer. Néanmoins, n’y a-t-il pas un défaut de représentativité, eu égard notamment à la fracture numérique (tous les citoyens n’étant pas égaux face aux usages du web) ?

L’accès à Stig via Internet va de soi puisque c’est sur ce moyen de communication que repose la possibilité d’interagir en temps réel. Le sujet de l’accessibilité à Internet ne se posera plus d’ici quelques années et je pense qu’il faut avoir une vision à long terme si l’on veut résoudre des problèmes de cette ampleur, laissant par la même occasion aux citoyens du temps pour se réapproprier des savoirs sur le fonctionnement de nos institutions et de nos processus législatifs. Former les Français à être des citoyens qui participent activement à la vie publique est une condition importante à la réussite de la civic tech.

La force du nombre, garant de représentativité

Concernant la représentativité, elle va de pair avec l’accessibilité dans ce cas-ci, la force du nombre devenant un garant de la représentativité. Avec 55 millions d’internautes en 2016, 86% des français sont déjà connectés, et 82% utilisent Internet tous les jours.

Pour le moment, la Civic tech est une nébuleuse constituée de start-up et de collectifs citoyens agissant généralement en tant que bénévole. Sur quoi repose votre business model ? Quelles ont été les difficultés rencontrées ?

Nous nous sommes orientés au départ comme la plupart des civic techs : vers les collectivités. Après plusieurs rendez-vous avec des élus de différentes villes, nous ne sommes rendus compte que ce modèle ne nous convenait pas pour plusieurs raisons. Tout d’abord, l’indépendance financière : signer des contrats avec de grosses villes qui pèsent dans votre chiffre d’affaire peut être dangereux. Ensuite, l’accessibilité : en facturant les collectivités, seuls les citoyens des villes clientes ont accès à Stig à l’échelle locale, alors que nous voulons permettre à chacun d’y accéder. Enfin, mais non des moindres, le côté démocratique : proposer des services aux collectivités, c’est proposer des services aux élus majoritaires. Or, les élus minoritaires ont les mêmes droits d’expression.

Pour résoudre ces trois problèmes, nous avons donc décidé de proposer nos services aux élus individuellement plutôt qu’aux collectivités et d’ouvrir Stig à toutes les villes gratuitement. C’est pourquoi, si vous vous inscrivez sur Stig dès maintenant, votre ville est déjà présente et vous pouvez échanger avec vos concitoyens et les y inviter. Notre travail consiste maintenant à faire venir vos élus sur Stig pour échanger avec vous. Pour cela, nous leur proposons d’officialiser leur présence sur notre application par l’ajout d’une écharpe d’élu sur leur profil et leurs idées. Les comptes élus sont également fournis avec un tableau de bord de statistiques permettant de suivre l’évolution dans le temps de la volonté générale dans leur collectivité (aucunes données personnelles) ainsi que le succès de leurs idées. Nous leur offrons enfin un kit de promotion avec un plan de communication précis permettant d’informer les citoyens de leur présence sur Stig.

Un second canal de distribution s’est également présenté à nous : le B2B. En effet, dès la version beta de Stig en 2016, des entreprises ont commencé à nous contacter, spontanément, après avoir découvert notre outil d’intelligence collective. Elles avaient imaginé des usages internes de Stig. C’est ainsi qu’est né Stig Pro. Stig Pro permet à chaque organisation d’avoir son propre Stig personnalisé pour de nombreux usages : remontée de best practices, gouvernance collective, budget participatif, événementiel, co-construction de contenu, etc.

(mars 2017)

► LaPrimaire.org : « rendre la politique plus inclusive et vertueuse »

► Faire participer à l’élaboration de la Loi (par Cyril Lage, Parlement & Citoyens)

► La « Civic Tech » : paysage et perspectives