Seidik Abba : « Il faut en finir avec Boko Haram »

Seidik Abba, capture d'écran

Rebond LCPSeidik Abba, rédacteur en chef du magazine Jeune Afrique, était l’un des invités d’Arnaud Ardoin sur le plateau de « Ça vous regarde » (le 16 mai) sur La Chaîne Parlementaire. Suite à sa participation à cette émission, qui portait sur la secte Boko Haram qui sévit au Nigeria, la Revue Civique lui a posé plusieurs questions. Ses réponses font « rebond » sur les difficultés que rencontre l’État nigerian à vaincre ce mouvement islamiste et sur les enjeux de l’aide internationale dans cette affaire.

La REVUE CIVIQUE : Comment expliquer l’impuissance du Nigeria devant les exactions de Boko Haram tout en sachant que le Nigeria est le pays le plus riche d’Afrique ?
Seidik ABBA
: Cela peut paraître surprenant en effet. On pourrait penser que c’est le combat du pot de terre contre le pot de fer, puisque la secte de Boko Haram ne représente pas grand chose en face du Nigeria qui est non seulement la première puissance économique d’Afrique, mais qui dispose en plus d’une armée de près de 30000 hommes. Mais, dans les faits, on voit que l’armée du Nigeria peine beaucoup à prendre le dessus sur Boko Haram pour un certain nombre de raisons. Il y a tout d’abord le dysfonctionnement de l’armée nigériane elle-même et, de manière générale, les difficultés de l’État à avoir une organisation efficace. A cela s’ajoute également un très faible maillage administratif, surtout dans la zone où Boko Haram mène ses activités, à savoir les États du Nord du Nigeria que sont Adamawa, Yobe et l’État du Borno qui est le berceau même de Boko Haram. Donc, il y a un certain maillage administratif qui fait que d’un lieu à un autre du Nigeria, il y a 200 kilomètres où vous n’avez pas de caserne, pas de force de défense ou de sécurité capable d’apporter une réponse rapide ; et c’est ce qui s’est passé à Chibok, entre le moment où les jeunes filles ont été enlevées et le moment où les troupes nigérianes sont arrivées : il s’est passé 4 heures.

Un gagne-pain pour des jeunes
dans la misère

Il y a aussi la stratégie qui a été développée par Boko Haram. Une stratégie d’infiltration de la population, de camouflage, mais également une stratégie de terreur qui amène une sorte d’omerta imposée dans toute cette région. Cela fait que les populations, même si elles ont connaissance de qui sont les combattants de Boko Haram, elles ne les dénoncent pas de crainte de représailles. Un autre facteur est la misère dans laquelle vivent les populations de cette partie du Nigeria. Elle est très différente du sud pétrolier, car dans le Nord il y a une situation de misère et c’est un terreau favorable au recrutement. Des jeunes se revendiquent de Boko Haram en disant que c’est devenu leur gagne-pain. Tout cela explique la montée en puissance de Boko Haram, qui en est arrivée à un tel point que la communauté internationale vient au chevet du Nigeria pour l’aider à combattre Boko Haram.

Pensez-vous que le refus du chef de l’État nigérian Goodluck Jonathan d’échanger des prisonniers contre les otages soit justifié ?
Il y a des difficultés à négocier, on peut comprendre sans le justifier le refus d’ouvrir le dialogue parce que Boko Haram n’est pas un mouvement crédible avec des orientations claires. On ne sait pas ce qu’ils veulent et le fait qu’on libère ces prisonniers peut les conforter. Si on considère que l’essentiel c’est de récupérer ces jeunes filles vivantes, on peut trouver le moyen de le faire sans nécessairement céder aux exigences de Boko Haram car, dans ces affaires de terrorisme, c’est la surenchère permanente et cela ne peut que leur profiter.

Croyez vous que la médiatisation de cette affaire puisse être contre-productive ? Celle-ci n’aurait-elle pas pour effet de faire monter les enchères des négociations ? (Lire l’entretien de la Revue Civique avec l’ancien otage et journaliste Georges Malbrunot, qui évoque les risques d’une surmédiatisation)
Non. A mon avis, sans être cynique, Boko Haram a fait le coup de trop. Pendant longtemps, on a laissé le Nigeria seul face à ce mouvement, sans stratégie de contre-attaque. Avec la médiatisation et la mobilisation qu’il y a, on peut espérer en finir pour de bon avec cette secte. Si on s’y prend bien, on peut non seulement récupérer ces jeunes otages vivantes mais aussi définir une stratégie pour démanteler toutes les particules autour de cette infrastructure qu’est Boko Haram. Le simple fait de libérer ces jeunes filles ne suffira pas car il a mis à profit ses activités pour récupérer du matériel, des engins militaires, des forces de l’armée du Nigeria. Toute la frontière avec le Tchad, le Niger et le Cameroun est infectée par les militants de Boko Haram, donc il faut profiter de cette mobilisation internationale pour en finir.

La mobilisation internationale
redonne confiance aux populations locales

L’aide occidentale peut-elle vraiment jouer un rôle dans la libération des otages ?
Je suis tout à fait optimiste, à condition qu’elle soit coordonnée. Si on entre dans une concurrence comme on est en train de le voir entre les États-Unis, la France et la Grande-Bretagne, cela peut être contre-productif. Mais si on coordonne et mutualise l’ensemble des moyens, on peut y arriver. D’autant plus que cette mobilisation va rassurer les populations locales qui, jusqu’ici, ne coopéraient pas avec les forces de défenses et de sécurité du Nigeria. Avec la force internationale, elles vont reprendre confiance et vont pouvoir fournir des informations, du renseignement technique et humain qui va permettre de démanteler Boko Haram et arrêter ses principaux leaders, à commencer par Abubakar Shekau et ses lieutenants, puis le mouvement dans sa totalité.

Ces derniers temps l’actualité du Continent n’est pas au beau fixe. Une journaliste française a été tuée en Centrafrique et au Soudan, une jeune femme est désormais condamnée à mort pour apostasie. Que répondre à ceux qui, avec cette actualité, n’associent l’Afrique qu’à la pauvreté, le terrorisme, l’islamisme et la corruption ?
C’est une erreur, l’Afrique est composée de 54 pays. On ne peut, en se basant sur ce qu’il se passe dans 2 ou 3 pays, faire une extrapolation. Je n’ai pas vu des gens désespérer de l’Europe parce qu’il y a des problèmes en Roumanie ou en Bulgarie. En Afrique, il y a des pays qui fonctionnent très bien. Je pense à l’île Maurice, au Cap Vert qui est passé du statut de pays le moins avancé à celui de pays intermédiaire alors qu’il n’a ni pétrole ni gaz, mais qui a le travail de ses habitants, ses ressources humaines. Il ne faut pas que ces événements amènent à désespérer de ce continent où la jeunesse est dynamique, où il y a un vrai potentiel de développement. C’est clair que si ces événements n’existaient pas, la progression de l’Afrique serait plus rapide, mais il n’y a aucune raison de céder au pessimisme. Je crois qu’en dépit de toutes ces difficultés conjoncturelles, et non structurelles, l’Afrique va avancer et sera le continent du 21ème siècle, je n’ai pas le moindre doute.

Propos recueillis par Emilie Gougache
En partenariat avec LCP

► Voir sur LCP l’émission « Ça vous regarde » du  16 mai 2014

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