Panorama de la «Civic Tech» participative (par la Fondapol)

Farid Gueham, de la FONDAPOL (Fondation pour l’innovation politique), définit et établit un panorama de la « Civic Tech », regroupant un ensemble d’initiatives qui, par la technologie et l’innovation  (numérique principalement), alimentent « la participation citoyenne et la démocratie ouverte ». Voici son texte.

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« La Civic Tech regroupe l’ensemble des technologies et innovations au service de la participation citoyenne et de la démocratie ouverte. Une technologie civique dont la finalité serait de renforcer le lien démocratique entre citoyens et gouvernements, afin de permettre, tantôt d’accroître le pouvoir des citoyens sur la vie politique, tantôt de rendre un gouvernement plus accessible et plus efficient. Là encore, il convient de distinguer d’une part les initiatives gouvernementales, le plus souvent axées sur l’ouverture du gouvernement, des initiatives citoyennes, concentrées autour de la participation et de l’inclusion.

De l’opengov à la e-concertation citoyenne, le mouvement de la Civic Tech englobe une multitude initiatives.

Un gouvernement engagé dans une démarche de Civic Tech parlera d’ouverture des données, de transparence, de facilitation du processus de vote, de cartographie de visualisation des données publiques, voire même de co-création des lois. L’exemple le plus récent est la concertation ouverte aux internautes autour du projet de loi  numérique. Du côté de la participation citoyenne, des réseaux se développent autour de communautés locales, sur le modèle du financement participatif, du partage des données.

Derrière l’innovation, une quête de sens et un désir profond de renouvellement politique.

Et si le véritable enjeu de la civic tech était, en fait, de trouver des réponses aux désirs d’alternatives politiques ? Car le mouvement dépasse déjà la simple tendance : la ville de Paris vient de lancer son espace de coopération citoyenne dédié à la civic tech, le « liberté living lab ». L’espace n’est pas seulement virtuel, il occupe également 1600 m2 en plein cœur de la capitale, pour matérialiser l’émergence d’un mouvement, porté par des startups, des ONG, des associations, des chercheurs, mais aussi des représentants des services publics du numérique. Le site héberge notamment « laprimaire.org », un collectif citoyen et indépendant, dont le but est de faire émerger des candidats à la présidentielle en fonction des attentes des internautes. « Fluicity », l’application interface de démocratie locale est également de la partie. On y trouve également Voxe.org, un site qui propose aux citoyens de comparer les programmes électoraux, et MaVoix, dont l’ambition est de donner aux électeurs un contrôle sur le vote de leur député pour raviver la démocratie directe.

Pour Loic Blondiaux, professeur de sciences politiques à Paris 1 et auteur du « Nouvel esprit de la démocratie », la Civic Tech est l’expression d’un vrai dynamisme, durable « ce qui se passe est fascinant, il n’y a pas une semaine, pas une seule journée, sans que l’on ne découvre une nouvelle application, qui vise à innover, à transformer, ou même à « hacker » la démocratie. Le vivier est très dynamique du fait de la multiplicité d’acteurs, des communautés ». Le phénomène est relativement récent. L’auteur reconnait que dans son ouvrage, rédigé il à 5 ans, ces communautés n’étaient pas citées, car beaucoup moins actives. Le citoyen veut participer, plus encore, il veut contribuer, concrètement et s’investir dans la fabrication des textes de loi et des politiques publiques. « C’est un schéma relativement nouveau, qui permet de débattre sur un mode horizontal, et d’une manière totalement localisée » ajoute Loic Blondiaux.

Les start-up investissent le champ de la civic tech.

« Tout le monde a le sentiment que la sphère politique va mal, le constat est partagé par tous. Mais nous pensons qu’il y a encore une chance pour que la démocratie représentative et les partis politiques puissent être sauvés. Nous essayons d’améliorer leur fonctionnement avec l’idée qu’ils sont condamnés soit à mourir, soit à se transformer. Nous pensons que nous pouvons les aider à se transformer ». C’est la profession de foi d’Arthur Muller,  cofondateur de Liegey Muller Pons. Pour la startup, la participation démocratique en ligne reste encore marginale. Le but serait donc d’aller vers la généralisation des pratiques dématérialisées, face à un état d’urgence démocratique « les élections présidentielles, demeurent aujourd’hui encore le temps fort de la démocratie dans notre pays. Cela ne sera peut être plus le cas dans 20 ans » s’inquiète Arthur Muller.

Data et politique : une meilleure exploitation des données électorales permettra des campagnes plus efficaces. Mais est-ce vraiment souhaitable ?

Voilà près de 5 ans, que le gouvernement français a choisi d’ouvrir une série de données qui permettent, par exemple, de connaitre les résultats d’une élection à l’échelle d’un bureau de vote. Depuis 2007, les données issues des recensements, les indicateurs sociaux démographiques tels que  l’âge, le revenu, sont disponibles. De l’information précise, à une échelle relativement fine,  qui permet de construire des algorithmes et modèles prédictifs, afin de cibler les quartiers, de comprendre les comportements électoraux, à la manière d’un institut de sondage, mais sans les milliers  d’appels téléphoniques et la main d’œuvre dédiée. Aux Etats-Unis, la cartographie électorale permet d’aller encore plus loin : la data permet de cibler une rue, un immeuble et ce, notamment grâce à la précision de la data collectée par le Census, le Bureau du recensement américain. Une arme redoutable pour les équipes de campagnes, qui n’est pas sans risque selon Arthur Muller « heureusement pour les citoyens français et malheureusement pour mon entreprise, en France, nous n’avons pas accès à de telles données individuelles. Aux Etats-Unis, on peut savoir si vous êtes  démocrate ou républicain. En France, les données  sont disponibles à l’échelle d’un quartier, une analyse suffisamment fine, mais qui respecte la protection de la vie privée ». Pour Liegey Muller Pons, les outils numériques sont précieux mais plus efficaces lorsqu’ils sont couplés avec une stratégie électorale plus classique, comme le porte à porte par exemple.

La civic tech sonde les citoyens et les électeurs mais la classe politique est, elle aussi,  dans le viseur

Pour Bobby Demri, fondateur de l’application « Gov », la Civic Tech, chamboule le sens du débat politique. « Chez Gov, nous sommes parmi les premiers à avoir clairement dit que le dernier bastion qui n’ait pas été « disrupté », était la politique. C’est déjà le cas pour l’hôtellerie, le commerce, les services, tous ubérisés ». L’application Gov  compte près de 100 000 utilisateurs, 4 millions d’opinions exprimées, tous les jours, et les députés s’y invitent pour  faire des propositions et prendre le pouls de l’opinion. En ce moment, c’est le défilé des candidats pour la primaire de la droite et du centre qui viennent sur la plate-forme afin de confronter leurs propositions aux français. L’outil a déjà fait ses preuves lors de la révolution de jasmin en Tunisie, avec près de 800 000 opinions exprimées. « Des solutions existent, fonctionnent et vivent. Gov est  donc un moyen  d’initier des débats, de recevoir les questions du public et de noter le personnel politique. Notre véritable position c’est d’inverser le sens du pouvoir. Faire en sorte qu’il ne soit plus descendant mais ascendant » affirme Bobby Demri.

En France, les partis politiques ne représentent que 0,58% de la population – 387.000 adhérents, une goutte d’eau dans un océan démocratique, chaque jour de plus en plus proche du désert. On ne compte plus aujourd’hui les initiatives de la Civic Tech : de la pétition en ligne change.org et Avaaz en passant par Civocracy, une start-up née à Berlin pour favoriser le débat citoyen ou encore DemocracyOS, né à Buenos Aires et incarné par Pia Mancini, la pratique classique de la politique est bousculée. Autant d’assauts qui encouragent la classe politique à prendre le chemin d’une évolution naturelle et simplifiée, déjà généralisée à la majorité des secteurs économiques ».

Farid GHEHAM

de la FONDAPOL

 ► La « civic tech » attire de plus en plus de jeunes (par LeMonde.fr)