Denis Gancel et François Miquet-Marty: la Marque France en débat

Denis Gancel, François Miquet-Marty

Analysant les raisons du pessimisme français – mesuré encore à la hausse par la dernière édition du baromètre de « La marque France », réalisé par l’institut d’étude Viavoice pour l’agence W&Cie – François Miquet-Marty et Denis Gancel, leur Président respectif, évoquent les tendances françaises à l’auto-dénigrement et l’effet corrosif d’un rire cynique et désabusé.

Comment analysez-vous l’ampleur du pessimisme français ?
François MIQUET-MARTY :
Le pessimisme est profond. A titre indicatif, 84 % des Français estiment que la France est de moins en moins performante dans le domaine économique. Et ces perceptions se dégradent puisque le score obtenu à cette même question, il y a deux ans, s’établissait à 64 %.

Un premier élément d’explication concerne la situation objective de l’économie : un taux de chômage qui avoisine les 10 %, un déficit extérieur supérieur à 75 milliards d’euros, sans que la campagne présidentielle soit parvenue à convaincre les Français d’une amélioration significative à venir. Un second élément relève de la psychologie collective et se décline en trois attitudes : doute, défiance et dérision à l’égard de la France. Il fédère ces visions désenchantées qui installent les Français parmi les peuples les plus inquiets, en dépit des atouts majeurs de leur pays.

Il englobe une « France du rire », un rire cynique et désabusé, enclin à dénigrer avec constance et délectation. Ce rire critique est fondamental car il constitue une force de corrosion. Encore trop méconnu, il s’inscrit dans le contexte d’une France dépossédée d’une part de sa puissance et de ses ambitions, et qui par défaut s’attarde dans les refuges d’une autre puissance, moins haute en couleur et plus accessible, celle de la critique.

Denis GANCEL : La dérision est le poison de toute œuvre collective. Aucune marque au monde ne supporterait le régime de dénigrement que s’impose la France à elle même. À cette autodérision mortifère, les Français, et en particulier les cadres, ajoutent la bonne conscience. Nous serions plus pessimistes que les autres, pensons-nous, parce que plus lucides ! Héritiers de Descartes, Voltaire et Diderot, l’héritage des Lumières nous interdirait de défendre nos atouts de façon aussi primaires que beaucoup d’autres pays…

Le siècle qui s’ouvre, ne fera pas de quartier aux désabusés ! Il offrira en revanche de vraies opportunités aux enthousiastes et aux conquérants.

Les Français sont saturés de défaitisme

Comment expliquer autrement l’émergence des pays à croissance rapide, qui ont compris que la valorisation de leur actif immatériel, leur marque notamment, était un investissement rentable ? Ainsi, on voit se développer des stratégies de marques ambitieuses, qui font entrer en résonance « les » marques phares du pays avec la « marque pays » qui leur a données naissance. La Corée du Sud est sans doute le meilleur exemple. LG, Samsung, Hyundai et Daewoo après avoir été pendant des décennies sous-traitantes de marques japonaises, sont devenues les porte-drapeaux du pays à travers le monde et incarnent la Corée du Sud qui, elle-même, est gérée comme une marque à part entière.

Mais comment la France peut-elle sortir du pessimisme ?
Denis GANCEL :
Rien n’est perdu à condition que la France prenne conscience de ses atouts. Nous sommes le pays au monde qui dispose du plus fort gisement d’actifs immatériels, du fait de notre histoire, de notre culture, de notre géographie, et de notre démographie. Constatant que ces atouts étaient méconnus et inaccessibles, j’ai réalisé un travail de synthèse de nos atouts dans la mondialisation. Les Français sont saturés de défaitisme (un Français sur deux le pense ; +6 % en trois ans). Ceux-là souhaitent visiblement transmettre aux générations futures autre chose que de la dette et des larmes !

Il faut créer d’urgence une marque ombrelle qui fédère l’ensemble des initiatives sectorielles. La dispersion des labels et appellations empêche l’appropriation par les Français et nuit à l’efficacité. Trop de labels tuent le label !

Il faut par ailleurs éviter que le concept de « marque France » soit cantonné dans un protectionnisme d’un autre âge. La « marque France » doit être au contraire une arme offensive que tous les acteurs économiques du pays pourraient s’approprier. Les Français s’approprieront enfin la French touch que le monde entier leur envie !

François MIQUET-MARTY : La France peut s’affranchir des visions pessimistes en premier lieu par une amélioration économique objective de la situation du pays : croissance, innovation, exportations, développement de secteurs économiques d’avenir.

Mais elle peut également sortir du pessimisme par des vecteurs susceptibles d’accompagner un réveil psychologique. Parmi ces vecteurs, une « marque France » serait en effet féconde car elle irait à contre-courant des tentations mélancoliques et assurerait la promotion des atouts économiques de la France.

Parmi les ambassadeurs potentiels de cette « marque France », les Français interrogés citent en priorité Renault, PSA et France Télécom- Orange. Ces trois enseignes présentent des caractéristiques communes au fondement de leur succès : racines nationales et rayonnement mondial, héritages et modernisations (le véhicule électrique et les produits Orange), maillage territorial (concessions et agences) et maillage immatériel (les voitures et les téléphones mobiles).

En dehors du champ politique

Très majoritairement favorables à un label ou à une marque France, les Français se tournent davantage, pour sa mise en œuvre et sa promotion, vers les acteurs de la société civile et eux-mêmes plutôt que vers les politiques. Encore un indice de « fracture civique ». Comment analysez-vous cela ?
François MIQUET-MARTY :
Cette distanciation à l’égard des politiques est essentielle et, de façon apparemment paradoxale, elle constitue une bonne nouvelle. Certes, elle relève bien évidemment du discrédit qui frappe le politique en général, et de la faiblesse perçue des « marges de manœuvre » du politique. Mais elle traduit également une lecture non-politique de la « marque France ». Et de fait, l’idée de « marque France » serait dévoyée si elle s’égarait en clivages politiques, en tentatives de réappropriations partisanes : la « marque France » ne doit être ni de gauche, ni de droite, mais se situer en dehors du champ politique. Qui plus est, la « marque France » n’a pas vocation à porter l’identité historique de la France : elle ne saurait être la « mise en marque » de la France de Voltaire, de Michelet ou de Hugo… Cette confusion des registres serait dépourvue de sens. Pour ces raisons, cette lecture non politique de la « marque France » apparaît salutaire, en lui permettant de croiser, demain, au large des écueils qui pourraient la menacer.

Denis GANCEL : Depuis trois ans, dans le baromètre que nous avons conçu, les Français se placent en tête des ambassadeurs de la marque France avec les dirigeants de PME, loin devant les grandes entreprises et les politiques. Si la France est bien « un pays où l’État est né avant la Nation » (Stéphane Rozès), il semblerait qu’en matière économique, la Nation entende reprendre ses droits. Les Français ont bien compris que la marque c’est l’emploi. C’est sans doute une des raisons pour laquelle ils plébiscitent la création d’une marque France, à près de 90 %. Cette prise de conscience est encourageante et annonce sans doute un vent d’entrepreneuriat comparable à celui que connaît la Grande-Bretagne qui sauve par ce biais des villes industrielles telles que Manchester, Liverpool, ou Leeds.

Les grandes marques mondiales savent qu’elles doivent travailler à leur acceptabilité à l’égard de consommateurs et de salariés de plus en plus exigeants à l’égard de leur implication sociétale, et du sens qu’elles donnent à leur développement. Le monde des marques se séparera entre les marques « éthiques », qui sauront s’impliquer avec justesse dans les problématiques de la société, et les marques « cyniques », qui chercheront à conquérir toujours plus d’espaces en tournant le dos à leurs responsabilités sociales et environnementales. Il n’y a plus de marques mondiales apatrides. Paradoxe de la mondialisation : l’origine n’a jamais eu autant de valeur. Ainsi, marques pays et marques commerciales se retrouvent réunies, au service d’une même noble cause : la valorisation des talents et du savoir-faire au service du développement économique d’un territoire.

Denis GANCEL, Président de l’agence W&cie, est auteur de : La France est une chance (Denis Gancel Ed. W/Atelier d’Éditions) et co-auteur de Ecce Logo, les marques, anges et démon du XXIe siècle.

François MIQUET-MARTY, Président de Viavoice Études&Conseil, est auteur de : Les oubliés de la démocratie (Michalon).

(In La Revue Civique 8, Printemps-Été 2012)
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