François Miquet-Marty: « Le dilemne de l’isoloir »
François Miquet-Marty analyse les résultats de l’étude post-électorale menée par l’Institut Viavoice, dont il est le Directeur associé. Selon lui, la Présidentielle 2012 est fortement déterminée par un « phénomène de ciseaux », présent chez un grand nombre d’électeurs. « Dans leur majorité, les Français expriment des préoccupations sociales; mais, dans leur majorité également, ils se réfèrent à des valeurs de droite », affirme-t-il dans cet article publié par Libération le 25 avril et que nous reprenons sur notre site.
Cette élection présidentielle 2012 est plus complexe qu’il n’y paraît. Envisagée par beaucoup comme un «référendum pour ou contre Sarkozy» déterminé par la personnalité et le bilan du président sortant, elle ne saurait manifestement être réduite à cette équation. L’aspiration à la justice sociale, la contestation du système, les prises de position droitières du président de la République, la colère des «oubliés de la démocratie», tout cela peut avoir compté dans le vote du 22 avril, qui s’est traduit électoralement par un double phénomène : vote à gauche (43,76% pour l’ensemble des voix de gauche contre 36% en 2007) et vote antisystème (Le Pen et Mélenchon : 29,01%). L’enseignement qui s’en dégage est simple et décisif : le premier tour a été pour une large part déterminé par un «phénomène de ciseau». Dans leur majorité, les Français expriment des préoccupations sociales ; mais, dans leur majorité également, ils se réfèrent à des valeurs de droite. C’est cette tension qui gouverne, également, l’entre deux tours que nous connaissons aujourd’hui.
Le premier registre est manifeste. Il est frappant par son ampleur. Tout d’abord, les électeurs déclarent en priorité avoir fait leur choix électoral pour un projet (44%), puis pour changer de politique (29%) ou pour l’appartenance politique du candidat (28%). La volonté de «sanctionner Nicolas Sarkozy» n’apparaît qu’en cinquième position (18%). Dans cet esprit, les enjeux qui ont été les plus prépondérants sont des enjeux sociaux.
Pour effectuer leur choix en faveur d’un candidat, les électeurs affirment avoir été en priorité préoccupés par la réduction des «inégalités sociales» (30%), puis par la réduction du «chômage» (23%). Et ces inquiétudes ont manifestement incité à un vote à gauche : les électeurs de François Hollande ont été d’abord préoccupés par la réduction des inégalités sociales (53%), puis par la réduction du chômage (38%) ; de façon comparable, les électeurs de Jean-Luc Mélenchon ont été surtout préoccupés par la réduction des inégalités sociales (55%), puis par la lutte contre l’exclusion et la précarité (35%). En revanche, les électeurs de Nicolas Sarkozy affichent d’autres priorités : la préparation de l’Europe de demain (41%) et la réduction de la dette publique (38%). Et ceux de Marine Le Pen sont préoccupés par la lutte contre l’immigration (50%) et la lutte contre l’insécurité (36%). A ce titre, et pour synthétiser ces éléments, le positionnement des candidats de gauche est apparu plus en phase avec les préoccupations prioritaires des Français, et leur crédibilité est apparue supérieure sur ces enjeux. D’ailleurs, de façon assez frappante, les électeurs ayant clairement voulu «sanctionner Nicolas Sarkozy» (18%) affirment l’avoir fait parce qu’«il est le président des riches» (53%) et parce qu’«il n’a pas tenu ses promesses» (45%). La «personnalité» du président sortant est certes mise en cause, mais en quatrième position (36%).
En revanche, et ce constat est particulièrement singulier dans le contexte actuel, les Français sont majoritairement attachés à des solutions de droite. Tout d’abord, ils estiment que, «dans le contexte des crises actuelles», la France a surtout besoin de «force et de ténacité» (51%) davantage que de «rassemblement et d’apaisement» (44%). De même, ils pensent que, «pour faire face à ces crises», la France a surtout besoin «de valeur travail et de courage» (57%) plutôt que «de justice sociale et de solidarité» (41%). Au-delà, et cette fois l’enjeu des valeurs se prolonge sur celui des solutions, une majorité relative considère que, «face à la crise économique et financière que connaît la France depuis 2008», la «meilleure solution économique est à droite» (33 %), alors que 28% avancent qu’elle est «à gauche», et 32% «ni à gauche ni à droite». Ce résultat est frappant parce qu’il contrevient à l’hypothèse selon laquelle la progression du «bloc de gauche» se justifierait par un choix de plus en plus large en faveur de solutions économiques de gauche. Cette ambivalence (préoccupations sociales majoritaires, valeurs de droite majoritaires) explique assez bien la tension du scrutin et ses résultats : certes une dynamique en faveur de la gauche, mais également un socle des droites (UMP et Front national) établi à 45,08% (contre 41,62% en 2007). Par ailleurs, malgré ses différences essentielles, la puissance du bloc antisystème (Le Pen et Mélenchon) s’explique particulièrement par un sentiment d’oubli au sein de la société. Globalement, 48% des Français (contre 49%) ne s’estiment pas «pris en compte dans la société actuelle». Et ce sentiment a nourri les suffrages antisystème : 16% des «oubliés» ont voté Mélenchon (contre 6% des «non-oubliés»), et 25% ont voté Le Pen (contre 12%). En revanche, les «oubliés» sont minoritaires au sein des électorats Hollande (27% contre 30%) et Sarkozy (16% contre 37%).
François MIQUET-MARTY, Directeur associé de l’Institut Viavoice
(in Libération, 25 avril 2012)