Dans la Bretagne agricole, la Communauté de communes du Mené (Côte d’Armor) s’est distinguée, dès 2005, par une politique pionnière de gestion de l’énergie. Objectif : utiliser toutes les ressources disponibles. Usine de méthanisation (procédé naturel permettant la valorisation des matières organiques en biogaz), parc éolien, huilerie de colza, réseaux de chaleur à partir du bois… « Nous produisons aujourd’hui plus de 25 % de l’énergie nécessaire à notre territoire. L’objectif du 100 % en 2030 n’est absolument pas utopique » nous dit le Président de cette Communauté de communes, Jean-Pascal Guillouët. Pour lui, le terme « économie circulaire » a tout son sens : « ce modèle porte un espoir pour les territoires ruraux, l’espoir d’une nouvelle image moderne de la campagne ». Explication.
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La REVUE CIVIQUE : Quelles ont été les raisons et objectifs qui ont motivés la Communauté de communes du Mené à se lancer dans cette démarche quasiment unique en France en 2005 ?
Jean-Pascal GUILLOUËT : Le Mené se singularise par son enclavement en Bretagne intérieure. Loin des axes irrigants que sont les routes nationales, loin de la mer, loin des villes moyennes, le territoire manquait d’attractivité et se dévitalisait dans ses composantes sociales. Dans les années 2000, l’emploi repose sur un besoin de main d’œuvre pour l’agroalimentaire. Les élus nouvellement installés en 2001 souhaitent alors engager une réflexion sur un choix de développement économique alternatif. Objectif : ne pas déstabiliser le bassin de main d’œuvre existant, développer des activités économiques susceptibles d’apporter une offre d’emploi diversifiée et apporter de la richesse en local.
Le champ des énergies renouvelables, avec son gisement d’emplois potentiel basé sur la maîtrise de nouvelles technologies et de savoir-faire, avait été exploré par les associations locales. Des visites d’installations en Allemagne et dans les pays nordiques avaient réussi à convaincre des moteurs de la vie locale de l’intérêt à transposer chez nous des outils de production d’énergies renouvelables. Il restait à développer le modèle. Un cabinet d’études nous a fait en 2005 le diagnostic des ressources mobilisables avec une feuille de route pour que ce territoire soit capable de produire l’équivalent de ses besoins en énergie à l’horizon 2030. Ensuite, pour avancer, ont été noués des partenariats avec les différents acteurs locaux : organisme de recherches, chambre d’agriculture, mouvement CUMA(1), structure publique,…
Quelle a été la réaction première des habitants des communes et comment avez-vous réussi à les fédérer petit à petit autour de votre projet ?
Avant les habitants, il a fallu convaincre l’ensemble des élus (de la Communauté de communes) de la pertinence de cette voie alternative. Les schémas de développement traditionnels amenaient plutôt les collectivités à créer des espaces fonciers nouveaux dédiés aux entreprises et à rémunérer un « chasseur », un animateur économique local, chargé de convaincre des entrepreneurs à venir s’y installer. Le modèle proposé pour le Mené était, pour le coup, très singulier.
Convaincre les parties prenantes
En 2005, le Grenelle de l’Environnement n’avait pas encore touché les consciences… Et, pourtant, les élus du Mené, au-delà des clivages ont fait corps avec ce projet. Et c’est ce capital confiance qui nous a permis d’avancer. Parallèlement, la feuille de route a été déclinée avec des projets portés tantôt par une CUMA (coopérative agricole), tantôt par une collectivité, tantôt par un club d’investissement. Le crédo : servir l’intérêt de la population ; et c’est bien cette notion d’intérêt qui a été fédératrice.
Le projet de méthanisation (procédé naturel permettant la valorisation des matières organiques en biogaz) regroupait un collectif d’exploitants agricoles, soucieux de préserver un modèle qui ne les oblige pas à la concentration de leur élevage, tout en répondant aux enjeux agro-environnementaux, et ceci dans l’esprit des coopératives.
L’huilerie de colza autorise la production d’agrocarburants, la production de tourteaux de colza à destination de l’alimentation animale et rassemble une cinquantaine de producteurs locaux.
Les réseaux de chaleur à partir du bois énergie (chauffage au bois) permettent de réduire les factures d’énergie des collectivités et des particuliers raccordés.
Le projet de parc éolien a fédéré de manière participative plus de 140 investisseurs locaux dans des cigales(2).
Les obstacles administratifs
Dans tous ces projets sur les énergies renouvelables, la notion d’intérêt personnel et collectif est capitale. la dimension de démarche vertueuse a fini par convaincre les plus réticents. Et puis notre territoire est modeste (160 km²), il est assis sur des valeurs solidaires. Les seuls obstacles d’aujourd’hui sont de nature administrative.
Il a fallu onze ans pour développer le projet de l’usine de méthanisation, avec une législation inadaptée, non préparée aux nécessaires évolutions normatives, avec l’obligation de se confronter à des recours administratifs de tiers qui plongent trop souvent leur raison d’être dans l’inertie. Pour autant, les fonctionnaires chargés d’appliquer les textes peuvent être de formidables accompagnateurs de projets.
Il a fallu cinq ans pour développer le parc éolien, un véritable marathon juridico-administratif pour faire asseoir un modèle participatif dans cette économie sociale et solidaire dont les politiques se font les chantres. Les forces vives de ce projet, « les meneurs », des habitants volontaires, séduits par l’idée même de redistribuer localement les retombées de l’éolien ont dû acquérir personnellement des compétences juridiques, financières et technologiques. Le dossier, pris en main localement ne manquait pas d’arguments : un retour financier au-dessus du taux de rémunération habituelle de l’épargne bancaire et une implication locale qui laisse ouvert la possibilité de sauver demain le dernier commerce de sa commune. Les « cigales » sont nées ainsi, constituées autour de groupes d’habitants convaincus de la démarche.
Aujourd’hui, quels premiers bilans et enseignements pouvez-vous tirer ? Comment votre modèle et votre expérience pourraient-ils être utilisés par d’autres communes ?
Cela fait à peu près une quinzaine d’années que les premières réflexions ont été engagées sur le Mené. Nous sommes toujours dans l’action et l’innovation avec de nouvelles expérimentations pour conjuguer tous les modes de production imaginables dans notre campagne.
Une image moderne de la campagne
Nous produisons aujourd’hui plus de 25 % de l’énergie nécessaire à notre territoire. L’objectif du 100 % en 2030 n’est absolument pas utopique. Le terme « économie circulaire » commence à faire sens chez nous. S’il fallait tirer des enseignements de l’expérience du Mené, je dirais que ce modèle porte un espoir pour les territoires ruraux, l’espoir d’une nouvelle image moderne de la campagne.
Le Mené est un laboratoire… parce que les acteurs s’en sont donnés les moyens, mais aussi parce que les pouvoirs publics ont apporté leur soutien. Nous avons toujours eu une écoute favorable et ce soutien sert de « carburant » à nos projets.
Au-delà des enjeux liés à la transition énergétique, le Mené, par l’exemple, peut faire comprendre à d’autres territoires que les ressources naturelles d’un territoire quel qu’il soit, tout comme la biomasse issue des activités agricoles et humaines sont des richesses à exploiter, et à conserver localement. Le champ des possibles est ouvert à l’audace des initiateurs et je pense que l’on peut aller plus loin.
Que faire de l’énergie thermique latente disponible sur les sites de méthanisation ? À partir d’elle, pouvons-nous engager un cycle de production de protéines à base de végétal, de production d’algues pour les biotechnologies ?…
Le modèle du Mené est transposable sur d’autres territoires et si nous nous attachons à conserver la valeur ajoutée de nos projets localement, nous savons partager nos expériences. L’aventure doit continuer ailleurs avec les soutiens du réseau TEPOS et bientôt avec le soutien des régions qui vont prochainement avoir la lettre de mission du Président de la République pour mettre en œuvre cette « transition heureuse ».
Propos recueillis par Marie-Cécile QUENTIN
(In La Revue Civique n°12, Automne 2013)
► Se procurer la revue
1) CUMA : Coopératives d’Utilisation du Matériel Agricole.
2) Cigales : Clubs d’Investisseurs pour une Gestion Alternative et Locale de l’Épargne Solidaire.