Frédéric Potier est délégué interministériel à la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la haine anti-LGBT (DILCRAH). Il plaide, dans le livre « La matrice de la haine », en faveur d’une République « forte et généreuse » pour endiguer diverses formes d’intolérance. Recension ici, par Philippe Foussier.
Le préfet Potier est un praticien de l’action publique. Il ne néglige pas pour autant la réflexion qui, elle-même, découle de convictions solides. Sa boussole, ce sont les idéaux des Lumières, au centre desquels il place l’universalisme. Il le définit d’abord comme renvoyant « à l’idée d’une unité du genre humain dépassant les spécificités culturelles ou catégorielles » tout comme une philosophie « ayant pour finalité d’accorder à tous les citoyens des droits reposant sur des principes communs ».
C’est dans la contestation de ces idéaux que naissent et prospèrent le racisme et les préjugés : « A l’opposé des principes d’universalisme républicain et de citoyenneté se développent les visions communautaristes de la société qui portent en elles le danger d’une fragmentation à l’infini de la société tout en enfermant les individus dans une identité essentialisée ».
Le numérique a donné un second souffle à des mouvements, plus ou moins structurés, chassés en raison de leurs discours extrémistes », observe Frédéric Potier.
En évoquant la « cyberhaine », Frédéric Potier observe que « le numérique a donné un second souffle à des mouvements, plus ou moins structurés, chassés des espaces médiatiques traditionnels en raison de leurs discours extrémistes ». En effet, des courants qui autrefois s’adressaient à quelques milliers d’individus fanatisés peuvent désormais disposer d’un impact potentiel sur des millions de personnes.
« Les défenseurs d’une conception universaliste de la société, attachés au débat d’idées et au partage de la connaissance et de l’information, ont sans doute tardé à prendre conscience que l’opinion se faisait désormais aussi ailleurs et qu’un contre-système de valeurs s’était structuré et avait prospéré sur internet ». Pour répondre à cette réalité, l’auteur estime que nos moyens sont actuellement inadaptés et c’est la raison pour laquelle il a soutenu la proposition législative « visant à lutter contre les contenus haineux sur internet », adoptée par le Parlement en mai dernier.
Le vieil antisémitisme alimente le nouveau
Frédéric Potier consacre aussi un développement spécifique à la haine anti LGBT et dresse un panorama historique qui permet d’apprécier le caractère somme toute récent de la lutte contre les préjugés visant l’homosexualité. L’arrêt du fichage des homosexuels, le retrait de l’homosexualité des maladies mentales, l’abrogation de l’article du Code pénal sur la différence de majorité sexuelle pour les homosexuels ou encore l’abrogation du délit d’homosexualité, par exemple, n’ont été actés qu’en 1981-82. Et d’ailleurs, si on a pu croire un moment en France que la haine contre les personnes LGBT reculait, démonstration est hélas faite qu’elle semble dorénavant en hausse, probablement partiellement corrélée à la montée de l’intégrisme religieux.
Ne pas défendre des combats de prétendus minorités pour elles-mêmes mais toujours au nom de l’accès à l’égalité des droits »
On lira aussi avec intérêt la manière dont le préfet Potier s’est insurgé contre la commémoration de Charles Maurras envisagée en 2018, soulignant comment « le vieil antisémitisme alimente le nouveau » et comment « les haines d’aujourd’hui vont puiser dans des croyances anciennes ». Convaincantes aussi, ses réflexions sur « l’Orbanisation » du monde, en référence au dirigeant hongrois.
En conclusion, l’auteur met en garde contre les « entrepreneurs identitaires » qui prospèrent sur la fragmentation de nos sociétés : « Il ne faut jamais défendre des combats de prétendus minorités pour elles-mêmes mais toujours au nom de l’accès à l’égalité des droits ».
Philippe FOUSSIER
(05/06/20)