Jean-Philippe Moinet, fondateur de la Revue Civique et chroniqueur, était présent sur le plateau de LCI, qui a suivi la retransmission du discours d’Eric Zemmour à la « convention de la droite » organisée par les amis de Marion Maréchal-Le Pen. Il estime que de plus en plus d’observateurs voient désormais, dans les propos provocateurs du polémiste « la grosseur de sa ficelle, tressée de marketing et de xénophobie ». Voici son texte, initialement publié dans L’Obs.
C’était spectaculaire et, finalement, relativement réjouissant. Samedi, j’étais des quatre co-invités de la chaîne LCI pour “suivre” en direct, et commenter ensuite, le discours de Zemmour au meeting de Marion Maréchal-Le Pen (où Raphaël Enthoven était venu pour porter la contradiction et être sifflé).
Le “live Zemmour” était contestable, c’était une erreur (surtout sans “live” identique pour Enthoven), et cela a fait polémique. Mais nous avions aussi plus d’une heure et demie pour déconstruire le propos, et j’acceptais. Dans ces très spécieuses conditions, je ne le referai pas. C’est le passé.
Le spectacle était en tout cas à la fois dans la salle maréchaliste et sur le plateau de la chaîne. Gêne perceptible et applaudissements faiblement nourris dans le public, pourtant acquis d’avance, de cette branche du lepénisme en quête de respectabilité. Et sidération unanime chez les invités (et journalistes) de LCI, aux sensibilités pourtant bien contrastées. Même le très peu gauchiste Dominique Jamet, qu’on a connu compagnon de route de Nicolas Dupont-Aignan, a parlé à l’antenne d’un propos “presque dément”. Presque ? Au fur et à mesure que le polémiste déversait son venin, les mines, sur ce plateau télé, se défaisaient.
Avant même le discours de Zemmour, et toujours sur l’antenne de LCI, j’avais d’ailleurs d’emblée tenu à rappeler, devant la caméra, les termes de la condamnation de justice prononcée contre lui par la plus haute juridiction française, la Cour de Cassation : rien que des faits et principes juridiques rappelés.
Dans le débat ouvert ensuite, j’ai pour ma part relevé la maladive radicalité du polémiste, qui a parlé de “la dictature” et du “totalitarisme” qui oppresseraient les Français, qui doivent s’attendre à “l’extermination des hommes blancs, hétérosexuels, catholiques”, liée à une irrépressible et sauvage “colonisation” musulmane : “Les Indiens et les esclaves, c’est vous !!!” a-t-il même lancé à la salle, jetant un froid supplémentaire. Dément !
Ne jamais entrer dans le piège insensé de la racialisation du débat public
M’employant depuis toujours à ne jamais entrer dans le piège insensé de la “racialisation” du débat public – qui le lie d’ailleurs, lui Zemmour, aux Indigènes de la République et leur “Kiffe ta race” – j’ai naturellement, comme je l’ai fait depuis plus de dix ans à propos de ce personnage, dénoncé cette dangereuse dérive qui consiste à déborder les Le Pen (Marine et même Marion) sur leur extrême droite “identitaire” la plus radicale et violente.
Evidemment, moi-même échantillon représentatif du mâle blanc, hétérosexuel et (d’éducation) catholique, non seulement je ne me sens en rien menacé d’« exterminatiomyfn » mais je sais la France républicaine, forte de sa tradition et d’un arsenal juridique puissant, en situation de protéger les atteintes aux personnes, celles qui portent précisément sur les origines et les croyances. C’est même l’un des principes clés, énoncé dès l’article 1er de notre Constitution, avec la Laïcité : l’Egalité devant la Loi, “sans distinction de race ou de religion”.
Le buzz de la haine et les pires thèses complotistes sont ainsi sciemment légitimées
Alors, le sinistre Zemmour a beau s’agiter lamentablement derrière sa petite tribune, il a beau tenter une énième et énorme provocation oratoire, de plus en plus d’observateurs voient aujourd’hui la grosseur de la ficelle, tressée de marketing et de xénophobie, et les dangers que cela représente à l’heure des nationaux-populismes flamboyants. Bien sûr, restent quelques médias, qui cherchent et chercheront le spectacle et le buzz de la haine, et d’autres qui, avec quelques sondeurs, continueront d’expliquer qu’il faut quand même “correspondre” à une partie de l’opinion publique et rejeter le fameux “politiquement correct”.
Ce rejet a bon dos, il permet de couvrir les pires thèses complotistes et apocalyptiques. Exemple, la théorie du “grand remplacement”, prétendument imposé par “ceux qui nous gouvernent” : vous savez ces “mondialistes” que dénoncent depuis trente ans tous les bataillons et toutes les générations du lepénisme militant, de Jean-Marie à la petite-fille Marion, la préférée du grand-père qui offrait samedi sa tribune à Zemmour.
Mais l’évidence finit toujours par s’imposer, comme la vérité historique. Colporteur professionnel d’une haine ethnique et religieuse, Zemmour et ses complices, politiques comme médiatiques, ont fait semblant de ne pas savoir que le racisme et l’antisémitisme ne sont pas des opinions mais un délit. Des hommes et des femmes se sont battus, depuis deux siècles, certains sont même morts pour notre liberté d’aujourd’hui, justement pour que la République française puisse exclure toute discrimination, notamment celles qui se fondent sur les origines et les religions.
Comme pour Patrick Balkany en matière de corruption financière, cela a mis un certain temps pour que la Justice condamne la corruption de la parole Zemmour, qui a manié ses provocations comme des outils du scandale et, accessoirement, de promotion pour ses livres. Les 3 000 euros d’amende ne sont pas grand-chose comparés aux énormes droits d’auteur qu’il a pu percevoir sur le marché éditorial (et télévisuel) de la haine.
Alors, ce petit personnage aura toujours une porte de sortie : politique chez les maréchalistes, médiatique peut-être, dans certaines télés et magazines, qui cherchent à capter un public, celui de l’extrême droite « identitaire » et racialiste. Mais à l’heure où la mémoire de Chirac nous renvoie au rempart républicain que cette figure de la droite républicaine n’avait eu de cesse de consolider, la dernière saillie xénophobe de Zemmour retentira peut-être comme un vieux chant, dissonant, d’un cygne noir : celui d’un manipulateur d’opinions sombres, celui d’un condamné dont les jugements le poursuivront. Il les manipule déjà comme des décorations d’extrême droite. Ils sont surtout, en vérité, un déshonneur pour lui et une honte pour la République française.
Jean-Philippe MOINET, a été grand reporter au Figaro (sous direction de FO Giesbert), chargé d’émissions à LCP; chroniqueur, et fondateur de la Revue Civique, ancien Président de l’Observatoire de l’extrémisme, il intervient en analyses et débats sur quelques chaînes, dont LCI, BFMTV, France 24 et les chaînes parlementaires, Public-Sénat et LCP.
(octobre 2019)