La cérémonie d’hommage national aux victimes des attentats du 13 novembre, organisée solennellement aux Invalides à Paris deux semaines après les attaques terroristes, était accompagné d’un appel à porter le drapeau à sa fenêtre, ce jour-là. Voici la réflexion qu’a inspiré cette symbolique du drapeau à Jean-Philippe Moinet, fondateur de la Revue Civique.
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La difficulté est relative, elle n’est pas bien grave, mais elle est réelle et significative : se procurer un drapeau Français n’est pas une chose simple, ni immédiate en France.
On peut bien sûr se débrouiller, imprimer un drapeau à partir de son ordinateur, ce que j’ai fini par faire: une demie douzaine de drapeaux tricolores, en format A4 et collés les uns aux autres, ont formé une sorte de guirlande. J’avais bien un petit drapeau national dans mon bureau mais il n’était pas à la hauteur de l’événement, en ce jour d’hommage national aux 130 morts victimes du terrorisme, ciblés sur nos terrasses ou salles de concert. Ma fille de 9 ans était bien ennuyée, elle aussi, mais elle a vite trouvé l’astuce, avant de partir à l’école: elle a découpé trois chemises cartonnés, aux couleurs désirées, et fabriqué à coups de ciseaux et de scotchs un solide drapeau. Trois bouts de ficelles à la fenêtre, et le tour était joué ! Des voisins, eux, avaient joliment arboré trois ballons gonflables aux couleurs de la République.
Ces bricolages citoyens ont fait que les balcons parisiens n’étaient pas vraiment pavoisés, malgré les bonnes volontés, en ce jour symbolique où la Nation semblait unie, dans la Cour d’honneur des Invalides. Le dernier souvenir d’une liesse tricolore, où les drapeaux avaient été, en quelques jours, portés par une foule parisienne remonte au 14 juillet 2008, qui célébrait une joie cette fois : les Français devenaient champion du monde de football. Depuis, on ne peut pas dire que le drapeau ait vraiment servi, ni même qu’il ait fait l’objet d’une emblématique sacralisation nationale. Personne n’y pense vraiment, en notre culture où l’individu a remplacé, depuis très longtemps, le Roi.
La patriotisme citoyen prend une forme nouvelle, rajeunie
La sauvage et lâche agression terroriste du 13 novembre constitue-t-elle, de ce point de vue – l’emblématique, le symbole culturel – un vrai tournant, ou les filtres tricolores des photos de profil Facebook, et l’impressionnant succès immédiatement (et mondialement) remporté par nos trois couleurs, ne seront-elles qu’un éphémère reflet d’une émotion, aussi forte et partagée que passagère ? Il est sans doute trop tôt pour répondre avec certitude à cette question, mais tout événement historique de cette force – et l’impact terroriste sur la France a été naturellement immense – produit des effets en tous domaines, y compris en ce domaine de la symbolique, des références auxquelles un peuple cherche à se raccrocher. Pour se serrer les coudes, rester debout et regarder l’avenir.
La tricolorisation symbolique des profils Facebook, massive pendant plus d’une semaine en particulier chez les jeunes, comme la tricolorisation appréciée des bâtiments publics, n’est donc pas anecdotique. Le patriotisme citoyen prend ainsi une forme nouvelle, en l’occurrence trois couleurs, qui en disent long, contrairement à tous les discours passéistes et convenus sur le « suicide français », sur notre vitalité républicaine et nationale. Un sondage indiquait dimanche dernier (Odoxa pour Aujourd’hui en France) qu’une écrasante majorité – 83% – des Français estimaient que les utilisateurs des réseaux sociaux « ont eu raison » « à la suite des attentats de Paris, d’afficher le drapeau français sur leur photo de profil ». Preuve est ainsi faite qu’un élan patriotique, certes symbolique et sans doute éphémère, a traversé toutes les couches de la population, les jeunes ayant été particulièrement à l’avant-garde dans cet usage « viral » de nos couleurs nationales.
Le choc a été tel, qu’il vaut bien le réflexe unitaire du drapeau : pas besoin de mots, pas besoin de discours, les couleurs incarnent l’unité silencieuse, recueillie, le désir de se retrouver, une fraternité active, portée à la hauteur de la sauvagerie terroriste et des peurs qu’elle a pu, malheureusement, colporter durablement. Ces peurs que, bien sûr, en ce genre de circonstances dramatiques, les plus cyniques cherchent politiquement non seulement à récupérer, mais à instrumentaliser. C’est le très actuel danger, qui parcoure toutes les régions françaises, à moins de dix jours d’élections qu’une large majorité d’électeurs s’apprêtait à bouder. Le premier mouvement d’extrême droite en Europe, le FN, surfe à l’évidence sur la vague des peurs. Le 11 septembre 2001 avait pour partie produit, sept mois plus tard, le 21 avril 2002, avec Jean-Marie Le Pen mis en selle pour le 2ème tour de la présidentielle. Cette fois-ci, c’est son héritière politique, formé durant 30 ans à l’école idéologique du père, qui s’apprête à prendre la présidence d’une des plus importantes régions françaises, le Nord-Picardie. Tandis qu’au Sud, la petite fille du même Le Pen se pourlèche les babines identitaires, en lorgnant sur la présidence de la région Provence, autre grande région qui peut tomber dans l’escarcelle du parti d’extrême droite. Un autre choc, politique, surviendra-t-il le 12 décembre prochain ?
Le drapeau républicain face
au drapeau des « identitaires » FN
Les choses se simplifient fortement, en tout cas, dans toutes les tensions liées aux épreuves, et nous en traversons une, majeure. D’ici le deuxième tour des régionales, le 12 décembre, il va y avoir l’affrontement progressif de deux logiques. D’un côté, les couleurs nationales d’un bloc républicain, qui est apparu dans toute son unité dans la Cour d’honneur des Invalides, réunissant les responsables du pouvoir socialiste et les responsables de la droite ou du centre. De l’autre, les « BBR », du nom (Bleu-Blanc-Rouge) de la fête annuelle du Front National, qui racole les peurs liées au terrorisme djihadiste et fait, avec une cynique délectation, l’amalgame le plus grossier avec l’immigration-invasion: « immigration bactérienne » a même osé dire Marine Le Pen, récemment dans le Nord, en exploitant politiquement les maladies contractées par certains migrants à Calais.
On voit bien que les couleurs nationales, utilisées depuis plus de 30 ans par le parti d’extrême droite, n’ont pas du tout le même sens du côté lépeniste. Le FN, de tous temps et aujourd’hui encore – quoiqu’en ai pu en dire les théoriciens du changement mariniste du FN – récupère les plus bas instincts, dont les peurs bleues font partie, pour chercher et trouver des bouc-émissaires faciles, et faire de l’identité ou de la priorité soit disant « nationale » un instrument de division nationale, de discrimination à la fois ethnique, sociale et religieuse. C’est ainsi qu’un militant extrémiste du mouvement dit « identitaire » (autre masque sémantique trouvé, et repris médiatiquement, qui cache une véritable violence raciste et antisémite) se retrouve, en novembre 2015, en place éligible sur la liste d’une Marion Maréchal-Le Pen, cette jeune et jolie candidate qu’apprécie les médias, et qui fréquente toujours avec gentillesse son grand père, l’homme du « point de détail de la deuxième guerre mondiale » qu’elle n’a jamais voulu vraiment condamner… Elle s’est même arrangée avec lui pour constituer sa liste, dans un esprit de consensus, réunissant tous les courants de l’extrême droite, des intégristes catholiques aux « identitaires » païens. Elle ratisse très large, en matière de xéophobie, la Marion ! Qui a dit que Marine Le Pen « tenait » son parti, depuis que son père en était exclu ?!
On voit bien aussi que les choses ne seront pas simples en France, dans les semaines qui viennent. Et qu’il est sans doute grand temps, pour tous les démocrates et républicains, de gauche, de droite, du centre et de l’ailleurs société civile dépité par la politique, d’avoir accès beaucoup plus facilement et ardemment au drapeau national, comme cela est d’ailleurs d’usage aux Etats-Unis, où le patriotisme n’est pas une honte mais une fierté : quasiment chaque maison, chaque foyer, est prêt à brandir, quand il le faut, sa bannière étoilée.
Pour les Français, le chemin, autant symbolique que culturel, sera sans doute plus long, chaotique même, avant que le drapeau tricolore puisse enfin être porté dans une authentique unité et un même élan. Le choc du 13 novembre amène aussi à cette réflexion, qui renvoie non seulement à l’apparence des symboles mais, par là, aux fondements de la République et aux manières de les défendre.
Jean-Philippe MOINET,
auteur, fondateur de la Revue Civique et directeur conseil à l’institut Viavoice.