Marc Knobel, historien et essayiste, auteur de « L’Internet de la haine » (Ed Berg international), membre du conseil éditorial de La Revue Civique, nous fait ici le compte rendu d’une audience houleuse du Tribunal de grande instance de Paris, où comparaissait l’idéologue et le militant extrémiste Alain Soral. Mis en accusation: le photomontage publié par son site, mettant en scène Emmanuel Macron et des personnalités juives, qui colporte à la fois la théorie d’un « complot mondial » et la haine antisémite.
…………………………………………………………………………..
Ces dernières années, Alain Bonnet dit Soral a été régulièrement cité devant le Tribunal de Grande Instance de Paris, pour avoir à Paris et en tout cas sur le territoire national, le 12 février 2017, par un moyen de communication au public et par voie électronique, directement provoqué à la haine ou à la violence à l’égard d’une personne ou d’un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée, notamment les Juifs. A la date d’aujourd’hui, les condamnations se sont multipliées (1).
Alain Soral, en sa qualité de directeur de la publication, a publié le 12 février 2017 sur le site Egalité et Réconciliation, à la rubrique « Dessins de la semaine », une image caractérisée. Soulignons ici le fait qu’Alain Bonnet est de droit le directeur de la publication du site Egalité et Réconciliation ainsi qu’il l’a été jugé à plusieurs reprises, en dernier lieu par un arrêt confirmatif de la Cour d’appel de Paris, en date du 18 janvier 2018, ayant condamné le prévenu à une peine de 3 mois d’emprisonnement avec sursis sur le fondement des dispositions de l’article 6.I.7 de la Loi pour la Confiance pour l’Economie numérique (LCEN).
Le photomontage qui colporte les pires théories complotistes
De quelle image s’agit-il ? D’un photomontage représentant Emmanuel Macron, alors candidat à l’élection présidentielle, les bras ouverts, porteur d’un brassard évoquant ouvertement celui des nazis mais où la croix gammée est remplacée par le signe du dollar avec, devant lui, le globe terrestre et derrière lui les photographies de Messieurs Patrick Drahi, Jacob Rothschild et Jacques Attali, les drapeaux israélien et américain, la légende inscrite sur ce photomontage étant: « En Marche vers le chaos mondial ». La cible de la provocation qui est poursuivie résulte objectivement de l’association en arrière-plan de l’image incriminée (2) :
– de trois personnalités juives du monde des affaires, de la finance et de la politique, habituellement associées au « complot juif » dont la dénonciation est récurrente sur internet : Patrick Drahi, Jacob Rothschild, Jacques Attali (Georges Soros, personnalité du monde des affaires, étant cité dans l’url mais non représenté à l’image…).
– de l’étoile de David, représentée en arrière-plan sur le drapeau de l’état hébreu et du drapeau des Etats-Unis d’Amérique, comme autant de bastions juifs.
– de billets de banque européens et américains constituant l’instrument du « pouvoir juif ».
Les photographies des trois personnalités choisies comme juives, volontairement reléguées au dernier plan de l’image, se trouvent légèrement sous exposées afin de mettre en image l’influence occulte exercée sur le candidat officiel qui avance, lui, en pleine lumière. La mention « En marche vers le chaos » -ce dernier terme étant synonyme de « destruction, ruine, désordre » selon la définition du Robert- marque l’objectif poursuivi par « l’attelage » composé de MM. Patrick Drahi, Jacob Rothschild, Jacques Attali et de Monsieur Emmanuel Macron (3).
Sur signalement de l’UEJF et de l’association « J’accuse » que je préside, et conformément au procès-verbal de constat d’huissier transmis par la LICRA, le Parquet a diligenté une enquête préliminaire ayant donné lieu à la citation du prévenu devant le Tribunal. Le mercredi 24 janvier 2017, Soral comparaissait devant la 17ème Chambre du Tribunal de Grande Instance de Paris. Il est accompagné d’une cinquantaine de militants. Cette petite troupe de militants – blousons de cuir et barbes taillées – l’accompagne pendant qu’un « reporter » d’E&R filme les avocats…
Il se définit comme un « national-socialiste français »
L’audience commence. Le Juge rappelle les faits et invite Alain Bonnet dit Soral à se présenter et à répondre à quelques questions. Il explique à l’audience qu’il est « président à vie » du groupuscule d’extrême droite intitulé « Egalité et réconciliation ». Ce qui fait sourire la partie civile. Très agité, Alain Soral nie être le directeur de publication du site Internet du même nom. Il nie avoir été contacté lors de la publication de ce photomontage mais en assume la paternité car il mène, dit-il, un combat politique. Il insiste, il s’agit bien d’un combat politique. Son site internet « incite les gens à envoyer des dessins humoristiques et critiques », déclare Soral. Un combat politique ? Il faut rappeler ici qu’Alain Soral se définit lui-même comme un « national-socialiste français (4). »
Il se lance ensuite dans un grand discours. Soral se défend d’être antisémite. Mais, comme il entretient en permanence une confusion entre dénonciation du « sionisme » et dénonciation du « judaïsme », il se présente comme antisioniste. Soral surfe toujours sur l’hostilité à Israël, surtout au tribunal. Puis, comme il affectionne se présenter en victime d’un complot qui serait organisé par la « communauté organisée » et des « associations communautaires qui ne représentent rien », il hausse encore plus le ton lorsqu’il évoque à l’audience qu’il a été poursuivi une cinquantaine de fois, qu’il a été condamné à maintes reprises, qu’il serait exsangue et gagnerait l’équivalent du SMIC.
Les bonnes affaires de Soral
Il dit être persécuté. Mais, comme pour le démentir, le même jour un article du Monde est titré : « Alain Soral, la PME rentable de l’extrême droite, malgré les procès. » L’entreprise Soral paraît relativement florissante écrit Le Monde. Longtemps, médias et politiques ont fait mine de croire que la logorrhée antisémite, homophobe et misogyne de cet ancien membre du Front national ne s’adressait qu’à un public marginal, poursuit le quotidien. « Un simple coup d’œil aux vidéos accessibles sur YouTube où, de son canapé, il lance ses violentes diatribes, montre que son audience est bien plus large. Plus de 524 000 vues pour une vidéo postée en juin 2016 intitulée « Alain Soral révèle les objectifs des juifs ». Près de 500 000 vues pour une vidéo de deux heures trente postée un an plus tard, où il célèbre le « mâle alpha blanc européen » et fustige, pêle-mêle, « les juifs bancaires », les « racailles de banlieue », le métissage ou « l’oligarchie racialement composite (5) ». Depuis juillet 2014, Alain Soral fait payer 2 euros la plupart de ses apparitions filmées, indique le journal.
« Entre juillet 2014 et mars 2015, au rythme d’un entretien filmé par mois, E&R aurait encaissé environ 50 000 euros. Soit 5 555 euros par interview », avaient calculé les journalistes Robin d’Angelo et Mathieu Molard au terme d’une longue enquête « Le Système Soral, enquête sur un facho business » (ed. Calmann-Levy, 2015). Le site, qui revendique quelque 7 millions de visites mensuelles, compte environ 5 000 adhérents au tarif de 20 euros minimum et dispose d’une boutique qui vend tee-shirt blanc siglé « Egalité & réconciliation », à 15 euros, ou autocollant figurant une « quenelle palestinienne », ce geste entre le salut hitlérien et le bras d’honneur imaginé par Dieudonné. Le 25 janvier, Mediapart publie à son tour un article intitulé « Alain Soral, un business de la haine qui se porte bien (6). »
Tous les poncifs de la plus vile propagande anti-juive
Lorsque je suis appelé à témoigner contre Soral, je détaille le photomontage. Tous les poncifs de la plus vile propagande anti-juive sont chevauchés sans vergogne pour dénoncer l’existence d’un programme juif de domination du monde. Je dis estimer que ce montage aurait eu sa place dans La Libre Parole, le journal qui avait été fondé par le journaliste et polémiste antisémite Edouard Drumont, à la fin du XIXème siècle. Louis-Ferdinand Céline n’aurait pas fait/dit mieux. Par ailleurs, tout aussi monstrueux soit-il, ce photomontage ne nous étonne pas. Le site Internet d’Egalité et réconciliation est truffé de propagande antisémite ou négationniste. Alain Soral en a fait un fonds de commerce politique et idéologique. Et lorsqu’il est poursuivi et forcément condamné, Alain Soral évoque la liberté d’expression ou se présente comme une victime. Il en joue d’ailleurs énormément.
Plusieurs associations de lutte contre le racisme et l’antisémitisme se sont constituées partie civile. Le photomontage « reprend l’intégralité des poncifs antisémites qui ont nourri la France depuis 1890 », estime Me Ilana Soskin, avocate de la Ligue contre le racisme et l’antisémitisme (Licra), qui présente à la Cour différentes images. « M. Soral a voué sa vie à expliquer les causes de l’antisémitisme par les turpitudes des juifs », dénonce son confrère Stéphane Lilti, avocat de l’Union des étudiants juifs de France et de l’association J’accuse (7). Me Jean-Louis Lagarde, avocat du MRAP, met en perspective historique ce montage autour des clichés/préjugés Juifs/argent.
« Emmanuel Macron est présenté comme une marionnette dont on tire les fils en secret. Derrière, il y a ceux qui ont le vrai pouvoir, et c’est les Juifs », dénonce enfin la Procureure de la République. Selon elle, il y a là, « sans doute possible », « exhortation à la haine » envers la communauté juive. Cinq mois de prison ferme sont requis à l’encontre d’Alain Soral. Une dernière fois, Soral est à la tribune. Il est très énervé, il crie. Mais, il poursuit ses objectifs : faire du tribunal, une arène politique, se présenter en victime du « système » et menace; il termine sa logorrhée verbale en affirmant qu’il ne se soumettra pas.
Jugement, le 20 mars.
Marc KNOBEL,
historien, auteur de « L’Internet de la haine » (Ed Berg International).
(février 2018)
Notes :
1. Voir à ce sujet : https://fr.wikipedia.org/wiki/Alain_Soral#Condamnations
2. Conclusions de constitution de partie civile présentées par Maître Stéphane Lilti, avocat de l’UEJF et de J’Accuse.
3. Idem.
4. Raphaëlle Bacqué, Alain Soral, la PME rentable de l’extrême droite, malgré les procès, Le Monde, 24 janvier 2018.
5. Raphaëlle Bacqué, Alain Soral, la PME rentable de l’extrême droite, malgré les procès, Le Monde, id.
6. Idem.
7. AFP, « Cinq mois ferme requis contre Alain Soral la diffusion d’un montage jugé antisémite », 24 janvier 2018.