Dans cet entretien exclusif avec La Revue Civique, le Président du CSA (Conseil supérieur de l’audiovisuel), Roch-Olivier Maistre, nous a livré sa perception de la crise du Covid-19 et de l’expérience inédite du confinement. Il y trace aussi les perspectives d’avenir du secteur de l’audiovisuel: « impressionné par la formidable mobilisation de l’ensemble des médias audiovisuels, privés comme publics », il évoque les difficultés et la crise subie par ce secteur (avec une chute de 70%, indique-t-il, du marché publicitaire), mentionne la lutte renforcée contre la plaie des « infox » (ou fake news), et souligne aussi les opportunités de l’exceptionnelle période: « Ma conviction, nous déclare-t-il, est que nous devons faire de cette crise un accélérateur de la transformation en profondeur du secteur. » Entretien avec le fondateur de La Revue Civique, Jean-Philippe Moinet.
-La Revue Civique : Comment avez-vous, personnellement, vécu et perçu cette crise et le confinement ?
-Roch-Olivier MAISTRE: Cette pandémie brutale, imprévue, bouscule évidemment beaucoup de nos repères. J’ai parfois cru à une dystopie, repensé à ce qu’avait écrit Delumeau dans La Peur en Occident ! La crise, c’est certain, bouleverse notre rapport à la culture. Avec la nécessaire « distanciation sociale », si peu naturelle, toute une série de pratiques culturelles essentielles – le théâtre, la musique, le cinéma, etc. – ne sont plus possibles. C’est inédit. Très attaché, par mon parcours, à tout l’écosystème de la création, je ne pensais pas avoir à vivre de telles circonstances. Bien sûr, je partage la forte inquiétude de toute la filière musicale, de tout le monde du théâtre, du cinéma, qui sont en train d’affronter une épreuve tout à fait majeure.
J’ai la conviction qu’il ne faut pas céder au pessimisme, quand on voit les initiatives remarquables qui sont prises ».
Dans le même temps, j’ai la conviction qu’il ne faut pas céder au pessimisme, quand on voit les nouvelles solidarités qui naissent, les initiatives remarquables qui sont prises, avec la mise à disposition de répertoires – ce qu’a fait la Comédie-Française par exemple – ou de nouvelles offres culturelles rendues accessibles par le numérique. Dans ces circonstances, il y a malgré tout des signes d’espoir pour l’avenir.
-Comment percevez-vous dans leur ensemble, depuis le début de cette crise inédite Covid-19, l’activité des médias radio-TV en France ?
-Je suis impressionné par la formidable mobilisation de l’ensemble des médias audiovisuels, nationaux et locaux, privés comme publics. Sans délai, dans des conditions extraordinairement difficiles, ils ont déployé efforts et initiatives pour protéger leurs équipes, assurer la continuité de leurs antennes et se placer d’emblée au plus près des Français. Ils font ainsi la démonstration d’une capacité d’adaptation et d’une résilience peu communes.
Tous se sont attachés à proposer des programmes adaptés aux attentes de nos concitoyens, à interagir avec auditeurs et téléspectateurs. »
Tous se sont attachés à développer leurs offres d’information ; à proposer des programmes adaptés aux contraintes du confinement et aux attentes de tous nos concitoyens, jeunes et moins jeunes ; à dialoguer et interagir avec auditeurs et téléspectateurs pour mieux répondre à leurs interrogations, leurs doutes et leurs inquiétudes. Plus que jamais, ils se sont placés au service de leurs publics.
Avec de beaux succès à la clé, et des évolutions riches d’enseignements. Si les offres VOD sont plébiscitées, les médias linéaires ont plus que résisté : ils rassemblent, depuis plusieurs semaines, de très larges publics, en particuliers les séquences d’information. Les Français, y compris les jeunes, passent maintenant une heure de plus devant la télévision, média fédérateur par excellence. Néanmoins, cette crise est aussi synonyme de graves difficultés économiques, et de fortes incertitudes pour tous. Avec des équipes confinées, des tournages interrompus, l’ensemble de la filière de la création est durement touchée, des auteurs aux producteurs. Et avec un approvisionnement problématique en programmes, sans oublier naturellement un effondrement inédit du marché publicitaire, pouvant atteindre 70 % de baisse de recettes, les éditeurs sont aujourd’hui frappés de plein fouet.
Le CSA est plus que jamais à l’écoute de tous les acteurs du secteur (…) Certaines conséquences de la crise impliquent une particulière vigilance de notre part. Je pense à la multiplication des ‘infox’ sur les réseaux sociaux, alors que nous sommes chargés de mettre en œuvre la récente loi contre la manipulation de l’information ».
-Comment le CSA s’est-il adapté à la situation, a-t-il revu ses priorités ?
-La crise sanitaire et ses conséquences sur le secteur ont immédiatement été au cœur de nos priorités. Le CSA, dont le collège et toutes les équipes ont été placés par sécurité en télétravail, est plus que jamais à l’écoute de tous les acteurs du secteur et de leurs préoccupations. Nous avons été très sollicités, dès le début du confinement, par les médias qui ont été contraints de modifier leurs grilles et de revoir leurs organisations. Et nous avons annoncé des mesures d’accompagnement et assuré les opérateurs de notre soutien. Notre doctrine est claire : le régulateur fera preuve de pragmatisme et de souplesse dans l’application des règles, tout en veillant naturellement au respect des grands équilibres entre les acteurs de la filière, car ces équilibres sont au cœur de notre régulation.
Certaines conséquences de la crise impliquent aussi une particulière vigilance de notre part. Je pense notamment à la multiplication des « infox » sur les réseaux sociaux, alors que nous sommes chargés de mettre en œuvre la récente loi contre la manipulation de l’information, adoptée en 2018 : nous nous sommes rapprochés des plateformes sur les moyens qu’elles mettent en place pour lutter contre les « infox ». Dans cette période, des enjeux aussi essentiels que l’égalité entre les femmes et les hommes, ou le respect du pluralisme des courants d’opinion restent également très importants pour nous.
Enfin, au-delà de cette actualité immédiate, le CSA entend aussi relayer de manière proactive auprès du Gouvernement et du Parlement les mesures permettant de faire face et de surmonter la crise. En effet, au-delà des réponses conjoncturelles indispensables pour soutenir la filière et ses différentes composantes, l’essentiel est désormais de préparer l’après et de travailler à la relance.
Nous devons faire de cette crise un accélérateur de la transformation en profondeur du secteur. Cela implique des mesures structurelles ».
-Le fameux #MondedApres, qui fait l’objet de projections les plus diverses, sera-t-il forcément très différent pour le secteur des médias ?
-Ma conviction est que nous devons en réalité faire de cette crise un accélérateur de la transformation en profondeur du secteur, une transformation déjà engagée.
Cela implique des mesures structurelles, permettant d’ouvrir à la filière de nouveaux horizons et des leviers de croissance : la transposition plus que jamais indispensable de la directive SMA (directive européenne sur les services de médias audiovisuels), permettant d’intégrer les plateformes internationales de VOD au financement de la création, l’assouplissement de la réglementation publicitaire, avec notamment l’ouverture de la publicité segmentée, pour redonner de l’oxygène. Dans cette perspective, le projet de loi audiovisuelle demeure crucial pour engager les transformations nécessaires.
Même s’ils seront décalés dans le temps, il faudra mener à bien les chantiers de modernisation engagés, aussi bien pour les radios avec le DAB+ (radio numérique terrestre) que pour les télévisions autour de la plateforme TNT. Par ailleurs, d’autres chantiers vont s’imposer, comme la chronologie des médias, bousculée par la crise, ou la lutte contre le piratage qui s’est largement accentuée durant cette période de confinement.
L’après-crise doit être l’occasion d’affirmer, avec plus de force que jamais, l’exception culturelle européenne ».
Dans ce mouvement, l’Europe ne devra pas être absente. C’est la raison pour laquelle le CSA est en initiative avec le réseau des régulateurs européens, l’ERGA, pour sensibiliser et mobiliser la Commission européenne sur ces questions.
De manière générale, alors que les médias audiovisuels était engagés dans une transformation profonde des supports, des contenus, des usages, sous l’effet de la transition numérique, l’après-crise doit être l’occasion d’affirmer, avec plus de force que jamais, l’exception culturelle européenne en préservant notre tissu créatif et productif comme notre patrimoine audiovisuel.
Propos recueillis par Jean-Philippe MOINET, fondateur de La Revue Civique.
(Paris ; 27/04/20)