Le polémiste Eric Zemmour a été une nouvelle fois condamné pour « exhortation aux discriminations et à la haine » par le tribunal de Paris, pour plusieurs passages du discours qu’il a prononcé au meeting de Marion Maréchal-Le Pen, où ses radicalités avaient provoqué de multiples signalements – dont celui du Conseil Supérieur de l’Audiovisuel – et de nombreuses plaintes d’organisations de lutte contre le racisme et l’antisémitisme. Sa condamnation (la deuxième dont il est l’objet au pénal) est assortie de 10 000 euros d’amendes. Rappel des faits, et d’une radicalité hors norme (et illégale) de ce polémiste xénophobe, qui reste éditorialiste du Figaro-Magazine et tient tribune, quotidiennement, sur la chaine CNews.
Dans la salle d’audience comble, qui a du refuser du monde, l’avocat de la défense n’a pas été très habile. La Présidente du tribunal de Paris, constatant l’absence d’Eric Zemmour (qui a fait l’objet de multiples plaintes, de l’ouverture d’une information judiciaire et d’un signalement du CSA-Conseil Supérieur de l’Audiovisuel pour son discours ultra-radical prononcé dans une enceinte lepéniste), demande à son avocat s’il peut présenter une lettre d’excuses de M. Zemmour. Son avocat explique que non, et avance notamment une raison de principe: « M. Zemmour n’est pas un juriste, c’est une personnalité intellectuelle qui veut un débat intellectuel ». Sous-entendu, une Présidente de tribunal n’est pas de son niveau, son « débat intellectuel » se situerait-il au-dessus de la Justice et des Lois ?… Comme des rires se font entendre dans la salle… l’avocat précipite une autre raison: « La loi l’autorise à être représenté ». La Présidente regrette sobrement: « Le tribunal aurait aimé lui poser des questions ».
Un regret largement partagé, sachant que tout ce qui suivra dément clairement le caractère présenté comme « intellectuel » des propos tenus, et répétés par le polémiste professionnel plusieurs fois condamné, qui se joue manifestement des décisions de Justice : quelques milliers d’euros d’amendes pour un vaste marketing de la xénophobie, bien organisé médiatiquement, souvent dans les moments de promotion de ses livres ou quand le chroniqueur du Figaro-Magazine se sent oublié.
Le polémiste xénophobe, recruté par CNews après ce discours, pousse la provocation en prétendant que nous subirions en France avec l’immigration « une armée d’occupation », une « invasion-colonisation-occupation »; et appelle les jeunes à « se battre pour leur libération » !
Dans un devenu célèbre discours, tenu dans le cadre d’un meeting organisé par les amis de Marion Maréchal-Le Pen en septembre 2019, le polémiste du Figaro-Magazine lance ses coups, déclare que nous sommes en France, avec l’immigration, face à « une armée d’occupation », avec « partout le djihad, le djihad pour tous ou par tous ». Il le répètera avec un plaisir non dissimulé, les Français ont à faire face à une « invasion, colonisation, occupation »! Toujours le « débat intellectuel » sans doute – « pourquoi en faire un chahut », osera son avocat – quand Zemmour le provocateur développe sa « pensée » et questionne dans son discours, qu’il a mesuré en tous points puisqu’il est écrit et qu’il le lit avec application à la tribune : « les jeunes Français vont-ils vivre en minorité dans leur pays ? Si oui, ils méritent leur colonisation. Si non, ils devront se battre pour leur libération ! »
Voilà la direction donnée à la jeunesse de France: « se battre » pour sa « libération » ! Et Zemmour d’en rajouter sans cesse, en redisant (tout en ayant déjà été condamné), à propos des migrants : « ils se comportent en colonisateurs ». Et d’évoquer l’emprise de « la kalach (comprendre l’arme kalachnikof) et la djellaba »: c’est « le djihad partout, pour tous ou par tous », les « Français de souche », assène-t-il encore, n’ayant que le choix de « se soumettre ou se démettre ». Que doivent donc faire les Français, poursuit-il devant la salle maréchaliste-lepéniste, toute ouïe ?
Après avoir martelé le triptyque de son délire « invasion-colonisation-occupation », le chroniqueur du Figaro-Magazine estime que nous devons tout remettre en ordre et « nous affranchir de la religion des Droits de l’Homme ». Rappelant les saillies de Le Pen Jean-Marie (dont il ne cache d’ailleurs pas sa proximité « intellectuelle »), Zemmour s’en prend alors à « la démocratie libérale qui, au nom de l’Etat de droit, est le moyen d’entraver la volonté populaire ».
Auparavant, l’auteur du « Suicide Français », toujours à la tribune lepéniste (de la nièce de Marine Le Pen), avait réuni dans une même diatribe d’extrême droite « l’islamisme universaliste » et « l’universalisme droit-de-l’hommiste » qui « nous empêche de nous défendre » ! C’est « un asservissement », lance-t-il encore, « ces deux universalismes sont deux totalitarismes »: nous serions même en France, il le clame sans rire, « sous le régime d’un nouveau pacte germano-soviétique »… Et de repartir sur sa thèse de « l’inversion de la colonisation », que nous subirions à l’échelle du pays et du continent européen.
Après avoir osé évoquer l’actuelle et prétendue « extermination de l’homme blanc, hétérosexuel, catholique », après avoir rappelé les épisodes du génocide des Indiens d’Amérique et de l’esclavagisme, il en vient à ce « constat » violent d’une « immigration-colonisation », et s’adresse ainsi à son public : « Aujourd’hui, nous vivons une inversion de la colonisation. Je vous laisse deviner qui seront leurs indiens, et leurs esclaves : c’est vous ! «
Le polémiste instrumentalise cette « peur », qui est la marque de fabrique et le fonds de commerce, de tous temps et tous lieux, des extrêmes droites. Qui cherchent à attiser des haines actives.
Et d’évoquer aussi sa conception de la « question identitaire » qui n’est pas moins, à ses yeux, qu’une « question de vie ou de mort ». Et de bien souligner le fond de sa pensée, qui est une forme d’aveu : « vous avez raison d’avoir peur ». Oui, cette « peur » si utile qui, de tous temps et en tous lieux, a toujours été la marque de fabrique et le fonds de commerce des extrêmes droite, d’hier et d’aujourd’hui. C’est une constante. Et constitue un danger aujourd’hui, tant on sait ce que « les peurs » peuvent produire de haines actives et de violences « libérées ». C’est le mécanisme, bien connu des historiens et de certains observateurs actuels, des extrémismes qui s’auto-alimentent dans les mêmes appels à la haine et à la violence, qui peut se propager gravement. Si les citoyens, le droit et la Justice n’y prennent pas garde.
Après la projection du discours de Zemmour en salle d’audience du tribunal, la Présidente du tribunal précise qu’avant ce meeting nommé « Convention de la droite » (c’était en fait la convention de l’aile « identitaire » de l’extrême droite), le compte twitter de l’événement indiquait (le 11 septembre) que « toutes les places étaient vendues », et que l’espace « presse » indiquait ne plus pouvoir accepter d’accréditations de journalistes, que des invités comprenaient des membres du RN, de LR, et un « activiste américain proche de Trump ». Aucun doute n’était donc possible, pour les juristes aussi: l’événement avait bien une « dimension publique ».
La Présidente du tribunal rappelle aussi le flot de signalements adressés au CSA, le courrier du Conseil Supérieur de l’Audiovisuel adressé au Procureur de la République, qui a ouvert une information judiciaire, et la « mise en garde » adressée aussi par le même CSA à la chaîne d’info en continu, LCI, qui avait diffusé en direct l’intégralité du discours haineux. Le CSA a été en effet saisi 3600 fois de signalements et plaintes contre les propos du polémiste qui tombent largement, une fois de plus, sous le coup de la loi. Loi qui, faut-il le rappeler, est faite (depuis 1881) pour protéger les citoyens, en sanctionnant les injures, les appels à la haine (qu’elle soit raciale ou religieuse), les provocations aux discriminations (fondées notamment sur l’origine ethnique ou les croyances).
De nombreuses associations se sont d’ailleurs portées partie civile, la LICRA, SOS-Racisme, la Ligue des Droits de l’Homme notamment. Président de SOS-Racisme, Dominique Sopo a d’ailleurs pris la parole pendant l’audience pour souligner « la trajectoire de dérive » d’Eric Zemmour, « la montée en puissance et en violence de son propos » qui « en appelle, dans ce discours, à des passages à l’acte ». On est en effet très loin du « débat intellectuel », fait-il entendre dans la salle du tribunal, quand le polémiste du Figaro-Magazine et éditorialiste de CNews prétend que « certains citoyens ne seraient pas Français mais des envahisseurs ».
Les provocations et appels à la haine, avec les risques de passage à l’acte, doivent faire l’objet d’un « signal fort »: un jugement ferme et exemplaire, demandent les parties civiles.
L’appel lancé aux jeunes à « se battre pour leur libération » ? « C’est un quasi appel à la ratonnade » estime le Président de SOS-Racisme, qui relève aussi que la thématique du « grand remplacement » (Zemmour mentionne son adhésion à la théorie de Renaud Camus) « ont produit des passages à l’acte », comme à Christchurch en Nouvelle-Zélande ou en Allemagne. Et de demander en conséquence au tribunal qu’un « signal fort » soit désormais adressé, par la fermeté et l’exemplarité de son jugement.
L’appel du polémiste « à se battre » est également évoqué, comme un élément aggravant, par le représentant du CCIF (collectif contre l’islamophobie) à l’audience: des « jeunes identitaires passent à l’acte » relève-t-il, il faut savoir « stopper les dérives » ajoute-t-il. Et de rappeler que le criminel de Christchurch avait lui-même évoqué la source de son inspiration, pour sa radicalisation et son passage à l’acte, dans les écrits de Renaud Camus et la campagne présidentielle de Marine Le Pen en 2017. Et de rappeler aussi que c’était un candidat du FN (devenu RN) en 2015, admirateur d’Eric Zemmour de surcroît, qui a tiré à l’arme à feu sur deux personnes près de la mosquée de Bayonne, en 2019.
L’avocate de la Licra, Sabrina Goldman, a pour sa part invoqué « la rigoureuse » loi de 1881 pour dire, en réponse à l’avocat de Zemmour, qu’il n’y avait « aucune équivoque sur les faits et les qualifications » pour lesquels le polémiste xénophobe est poursuivi. Quant à l’argument, avancé aussi par la défense du polémiste, que les passages incriminés seraient « trop longs » ? L’avocate de la Licra reprend aisément au bond : « Eric Zemmour s’étend sur deux pages. Il n’a qu’à s’en prendre à lui-même ! » (rires dans la salle d’audience). La longueur des passages en question ne saurait en effet en rien, bien au contraire, être un moyen de nullité de la procédure judiciaire engagée, c’est bien le fond qui doit être apprécié et jugé. La Procureure de la République invoque d’ailleurs aussi « la rigueur » de la Loi et de la jurisprudence en ces domaines: la « longueur » du propos n’est pas un argument, bien au contraire, « même un livre peut être cité » ajoute-t-elle.
Les magistrats, après quelques heures de débats et plaidoiries contradictoires, et bien sûr aux vues des longs passages du discours qui ont provoqué l’information judiciaire puis l’audience, ont donc été amenés à juger au fond. Et dire clairement si, sous couvert de « débat intellectuel », on peut impunément, dans le contexte de tensions que l’on connaît, appeler à « se battre » en France contre un groupe de personnes qui, du fait de leur origine ou leur religion, sont présentées comme des envahisseurs, des « colonisateurs » dont il faudrait « se libérer ». Le jugement est donc tombé (le 25 septembre), sans ambiguïté il y a bien eu « exhortation aux discriminations et à la haine ». A voir si le Figaro Magazine et CNews en tireront un quelconque enseignement, ne serait-ce qu’en informant leur public de la condamnation pénale de leur collaborateur.
Le tribunal a donc jugé qu’il y avait récidive chez Zemmour, avec « exhortation à la discrimination et à la haine ». CNews et le Figaro Magazine en tireront-ils des enseignements ? Rien n’est moins sûr…
Le tribunal a donc jugé et considéré «qu’en distinguant parmi les Français l’ensemble des musulmans opposés aux »Français de souche », et en les désignant, ainsi que les immigrés musulmans vivant en France, non seulement comme des criminels auteurs des attentats de 2015 mais comme d’anciens colonisés devenus colonisateurs», les propos amalgamant tous les musulmans constituent « une exhortation, tantôt implicite tantôt explicite, à la discrimination et à la haine à l’égard de la communauté musulmane et à sa religion». «Les opinions, même choquantes poursuit le jugement, doivent pouvoir s’exprimer, néanmoins les faits reprochés vont plus loin et outrepassent les limites de la liberté d’expression puisqu’il s’agit de propos injurieux envers une communauté et sa religion», a indiqué la Présidente de la 17e chambre correctionnelle.
Le tribunal a aussi souligné que le discours avait été «préparé» et les mots «choisis», rappelant que M. Zemmour avait été définitivement condamné, quelques jours avant les faits, à 3.000 euros d’amende pour des propos anti-musulmans, la Cour de cassation ayant rejeté son pourvoi. Il y a donc bien, et volontairement laisse entendre le tribunal, récidive.
Cette condamnation «ne changera sans doute rien à court-terme quant à sa présence sur CNews. Mais il sera maintenant un peu plus évident que cette chaîne fait commerce de la haine, ce à quoi les annonceurs qui y passent des publicités doivent être de plus en plus sensibilisés», a réagi l’association SOS Racisme dans un communiqué.
L’association La Maison des potes, elle aussi partie civile, «demande aux télévisions et radios de prendre à l’encontre d’Eric Zemmour les décisions qui s’imposent, comme elles ont su les prendre contre Dieudonné suite à ses condamnations».
Jean-Philippe MOINET, fondateur et directeur de La Revue Civique, chroniqueur, ancien Président de l’Observatoire de l’extrémisme.
(02/07/20; actualisé 26/09/20)