Après la publication du baromètre annuel Kantar pour La Croix « la confiance des Français dans les media », les questionnements (et inquiétudes) sont particulièrement importants, en cette année présidentielle, autour de la baisse de l’intérêt pour l’actualité et surtout du développement des « faits alternatifs ». Via les réseaux sociaux notamment, l’intoxication du débat public et des opinions par la diffusion de fausses informations (ou des bribes d’informations instrumentalisées, jouant souvent de l’irrationnel), pose un problème majeur aux démocraties. Pour mieux saisir ces enjeux, voici l’éclairage de François Ernenwein, rédacteur en chef à La Croix et chargé d’enseignement, notamment à Sciences-Po.
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La Revue Civique : on observe, dans votre étude annuelle, une baisse de l’intérêt pour l’actualité qui se trouve « à son plus bas niveau depuis 1987 » et une confiance dans l’information et les médias mesurée comme « historiquement basse ». Comment retourner la tendance ?
François Ernenwein : C’est un véritable défi pour les médias. Sur les causes, puisqu’il faut bien partir de là, il est nécessaire d’accepter d’abord qu’elles sont multiples. Et constater des erreurs et des impasses :
-le recul remarquable, notamment pour des raisons économiques, de l’enquête de terrain au profit de positions éditorialisantes dans la plupart des grands médias. Ils ont été peu clairvoyants sur le Brexit, la victoire de Trump aux Etats Unis, les primaires de droite et de gauche en France.
-La concurrence des réseaux sociaux, vécus comme plus proches du terrain, notamment dans le public plus jeune.
-Le rejet très répandu des « élites », un peu partout dans le monde, auxquelles les journalistes sont assimilés.
Ces constats doivent être faits devant des chiffres inquiétants : à l’orée d’une année électorale majeure, l’intérêt des Français pour l’information enregistre son plus mauvais score en trente ans. Seuls 64 % (– 6 points sur un an) des Français déclarent s’y intéresser, avec une désaffection marquée des jeunes (56 %) et des moins diplômés (58 %). La confiance dans l’information relayée par les différents médias est elle aussi historiquement basse, particulièrement pour la télévision (41 %, – 9 points), seule la radio restant majoritairement jugée fiable (52 %, – 3 points).
« La quête de vérité, le refus de la subjectivité triomphante, s’imposent »
Dans ce contexte, la perception de l’indépendance des journalistes vis-à-vis des pouvoirs économiques ou politiques atteint son plus mauvais score. Pour inverser la tendance, il n’y a que l’exigence et le professionnalisme comme remèdes. Aux Etats Unis, ceux (Washington Post, New York Times, Politico, etc,…) qui ont engagé la lutte contre les « vérités alternatives » de l’administration Trump en appuyant leur information sur les faits ont connu un accroissement considérable de leurs audiences. C’est exactement le scénario adapté. Pas question d’opposer, en réaction à la « post vérité », des dérives comparables. La rigueur, la quête de la vérité, le refus de la subjectivité triomphante s’imposent toujours plus.
Sur le media Internet, ce sont les sites et applications de la presse écrite qui restent la principale source d’information des Français, les lecteurs de la presse papiers étant même en hausse de +3 % par rapport à janvier 2016 avec 83% des sondés qui déclarent lire ce qui émanent des titres de la presse papier. Internet est globalement de plus en plus utilisé pour s’informer, les Français étant en même temps de plus en plus méfiants face à ce media, près de 3 Français sur 4 ne faisant pas confiance aux informations circulant sur les réseaux sociaux. Quelles constantes et contradictions peut-on voir dans ces dynamiques croisées ?
François Ernenwein : La constante, toujours vérifiée, est la suivante: lorsqu’il s’agit de s’informer sérieusement, les grandes marques d’information, organisées avec des équipes éditoriales compétentes, restent la référence. On l’a vu nettement lors des attentats du 13 novembre 2015 en France. D’ailleurs, une analyse plus fine du recours aux réseaux sociaux, dont l’usage se répand, montre la crédibilité plus forte de ceux qui sont attachés aux grandes marques d’information ou encore à des journalistes ou des experts à la compétence reconnue. Les consommateurs d’information continuent à privilégier ces sources et savent les repérer.
« Mieux lutter contre la propagation des rumeurs »
La contradiction vient, aujourd’hui en ces temps de doute général, de la tendance à chercher, à privilégier et à croire plus spontanément des informations qui correspondent à sa vision. D’où l’attention indispensable qui consiste à s’interroger sur l’émetteur de ces informations. Tous ne se valent pas.
Dans cette 30ème édition du baromètre Kantar/La Croix, un focus est réalisé sur les rumeurs qui ont été au centre du jeu politique et médiatique en 2016, notamment autour de l’élection de Donald Trump. On voit dans l’étude que certaines intox apparaissent vraies pour un tiers des Français. Que révèle ce phénomène des rumeurs, et comment lutter contre elles ?
François Ernenwein : Il s’agit de lutter plus et mieux contre la propagation des rumeurs, des informations non vérifiées, notamment sur les réseaux sociaux. Et de critiquer l’usage qui en est fait. On a pu mesurer leurs effets délétères lors de la campagne présidentielle américaine. La vérification des faits comme pratique autonome se répand. Un tel engagement des médias s’impose. En ces temps de doute, un respect rigoureux des règles déontologiques est devenu encore plus indispensable parce qu’il est au fondement du contrat noué avec ceux qui nous regardent, nous écoutent ou nous lisent. Reste aussi à interroger la relation que les Français entretiennent eux-mêmes avec leurs médias. Les moins rigoureux dans la collecte et le traitement de l’information ne sont pas toujours les moins consultés. L’exigence qui leur est adressée à juste titre peut trouver un prolongement dans une vigilance renforcée de chacun, usant de son esprit critique.
Propos recueillis par Bruno Cammalleri
(février 2017)