Diffamations, menaces, fake news sur le Net: pour un service public des notifications (rapport Terra Nova)

Dans cette note d’analyse et de propositions rédigée pour le think tank Terra Nova, -intitulée « Fake news et triche électorale en ligne : le nouveau territoire des campagnes numériques« -, l’avocat et spécialiste des questions numériques Jean-Baptiste Soufron propose de nouvelles initiatives pour lutter contre les phénomènes de « fake news » (fausses informations) propagées sur le net, le piratage à grande échelle de données confidentielles (par exemple celles d’états majors de campagnes électorales) ou les campagnes de diffamation et de harcèlement en ligne. Notamment l’instauration d’un « service public des notifications » (signalements). La Revue Civique fait ci-dessous la synthèse des principales solutions envisagées dans ce rapport sur ce sujet clé de l’information et de sa régulation, qui a fait par ailleurs l’objet d’une annonce, en début d’année, par le Président de la République Emmanuel Macron, d’une loi destinée à lutter contre ces phénomènes. 

Une note de Terra Nova, sur le même sujet, avait déjà été publiée en mars 2017, avec d’autres propositions, en partie reprises par le projet présidentiel : demander une meilleure information des citoyens pendant les élections, renforcer les peines prévues pour la fraude numérique, créer un délit spécifique relatif aux préparatifs de la perturbation des scrutins, etc.

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Comment réguler efficacement les Fake news

Le développement des Fake news représente la partie visible et massive de ce que l’auteur de la note appelle « la triche en ligne », et s’étend au-delà des questions purement électorales pour toucher la vie médiatique et démocratique dans son ensemble. Il est donc normal, selon le rapport, que ce soit le problème prioritaire à traiter pour tout gouvernement.

L’exemple de l’Allemagne est cité : en juin 2017, avant les élections, l’Allemagne s’est dotée d’une loi prévoyant jusqu’à 50 millions d’euros d’amendes pour les réseaux sociaux n’ayant pas supprimé avant 24h les contenus illicites qui leur ont été signalés (ce qui a par exemple poussé Facebook à investir dans des équipes de régulation de son réseau social), et jusqu’à 5 millions d’euros d’amende pour les simples individus. S’il veut maintenir son contenu, un intermédiaire est tenu de réagir ou d’engager sa responsabilité à chaque fois qu’il a été notifié d’un contenu manifestement illicite.

De telles réformes pourraient être transposables en France à condition d’une reconstruction d’un environnement régulatoire plus complet en termes de moyens humains et juridiques. Car pour l’heure la principale loi française régulatrice est celle qui régit la lutte contre la diffamation, ce qui apparaît bien insuffisant face à l’ampleur des phénomènes actuels, car les informations non pas diffamantes pour autrui mais simplement fausses sont pour l’heure globalement épargnées.

Définir les règles de la démocratie numérique moderne

Cependant, notamment au regard de récents événements survenus en Turquie ou en Iran, la note rappelle aussi « l’importance pour la démocratie de disposer d’un réseau Internet ouvert et indépendant », avec des sanctions dissuasives qui ne doivent intervenir qu’en dernier recours et des mesures lourdes limitées aux seules périodes électorales, afin de ne pas glisser vers un système pouvant s’apparenter à de la censure pure et simple. « La défense de la liberté de l’information doit rester le cœur du dispositif, (…) le principe qui doit guider la rédaction du texte », précise le rapport.

Comme pour l’exemple allemand (voir plus haut), la piste la plus prometteuse semble être de pousser les opérateurs à développer leurs outils de notification et de modération, selon l’expert de Terra Nova. Le rapport pose la question de l’usage des logiciels de big data lors des campagnes électorales, avec l’exploitation abusive des bases de données sur les citoyens visant à les influencer lors des scrutins.

Développer un service public de la notification en ligne

Une personne qui subit harcèlement, menaces ou diffamation via les réseaux sociaux ne sait pas toujours à qui s’adresser pour faire cesser ces agissements insupportables, et aucun service n’est aisément disponible pour accompagner les usagers dans ce qui est, à ce jour, un embrouillamini juridique et administratif, y compris en cas de menaces de mort. C’est pourquoi le rapport plaide pour un « dispositif technique centralisé (…), un guichet unique d’information pour l’ensemble des réseaux sociaux« , ce qui permettrait de simplifier les démarches du citoyen, de lui indiquer rapidement si la demande est recevable et prise en compte, distinguant formellement les attentes légitimes et celles qui ne le sont pas.

L’auteur de la note ajoute, pour conforter cette proposition-clé, qu’elle ne serait pas grandement différente du service de pré-plainte en ligne, aujourd’hui généralisé pour les vols, escroqueries, et qui doit être bientôt être étendu aux violences sexuelles.

Le rapport avance aussi l’idée qu’il est possible de définir un mécanisme global sur cette question à l’échelle de l’Union Européenne, afin de créer une sorte « d’Europe de la loyauté en ligne » soutenant les valeurs démocratiques au sein même des standards du numérique, en opposition au moins-disant sociétal d’autres régions du monde sur le numérique.

Quant aux situations les plus critiques pour les personnes et les libertés, elles pourraient, après sélection, être immédiatement transmises à un magistrat comme plaintes, évitant au citoyen d’avoir à refaire les mêmes démarches auprès des institutions judiciaires.  Pour les réseaux sociaux, cela serait aussi une garantie de pouvoir passer la main quand ils ne s’estiment pas ou plus compétents.

La note de Terra Nova souligne en conclusion que cette idée d’un service public de la notification (ou du signalement) serait d’autant plus légitime que le nombre de Français usagers des réseaux sociaux est devenu colossal, le rapport estime qu’il n’est « pas sain de les laisser seuls face à des plateformes, dont la diversité peut rapidement les dépasser ».

T.L.

(février 2018)

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