L’invitation de Marine Le Pen à l’émission « Dees paroles et des Actes », sur France (22/10/15), et sa décision, le jour même en toute dernière minute, de ne plus y participer, est un révélateur et un « signe de faiblesse », pour Jean-Philippe Moinet, fondateur de la Revue Civique. Sa tribune a aussi été publiée sur HuffigtonPost.
……………………………………………………………………………………………………………………………………
Elle pensait d’abord que « Des Paroles et des Actes » sur France 2, lui ferait automatiquement encore gagner des points. L’audience, favorisée aussi par les polémiques qui entourent nécessairement le mouvement d’extrême droite, c’était « tout bon » pour elle, invitée pour la cinquième fois de l’émission politique phare du navire amiral de France Télévisions.
Tout son entourage en était convaincu, il fallait y aller. Florian Philippot en tête, toujours prompt à candidater pour un plateau télé (il est d’ailleurs raillé pour cela, en interne au FN, comme un « Dechavanne de pacotille »). Tout l’entourage lepéniste était persuadé des bienfaits des lumières télévisuelles, la posture des raccourcis faciles et des dérapages ayant de tous temps, de père en fille, été favorisée : vive les facilités de la propagation cathodique ! En même temps, la craintive héritière de la « firme » FN s’est évertuée de conditionner le déroulé de cette émission, notamment en ce qui concerne les adversaires qu’on lui proposait d’accepter, donc de choisir. Après « l’immigration choisie » de Sarkozy est donc venu le temps des « adversaires choisis » de Marine Le Pen !!!
Le plus intéressant dans le refus d’obstacle de Marine Le Pen, qui a donc finalement fait volte-face, et un pied de nez à France 2, est de deux ordres. Le premier, est que Marine Le Pen a réalisé que… le réel pouvait lui être très défavorable, que les confrontations avec ses adversaires directs, de terrain en région Nord-Pas-de-Calais-Picardie, pouvaient jeter une lumière très crue sur ses approximations, ses généralités habituelles, et donc sur son infériorité. Ce n’est pas rien comme risque, pour celle qui prétend pouvoir un jour, non seulement présider une région, mais présider la France : elle ne l’a pas encouru.
C’est un signe. De faiblesse. Les réalités, économiques, sociales, culturelles de cette région, elles les exploitent allègrement, de Henin Beaumont à Calais, quand les durs effets de crises en tous genres portent haut les démagogies du national-populisme, qui cherche à restaurer dans les têtes tous types de frontières. Mais les réalités, quand on les détaille, peuvent aussi montrer que les postures lepénistes sont aussi totalement décalées. Sur l’immigration par exemple : l’afflux des réfugiés et des migrants ne concerne, en réalité chiffrée et avec expertise confirmée, que les localités voisines de Calais. Pourquoi ? Parce que les migrants entassés dans des conditions inhumaines n’attendent qu’une chose : quitter la France ! On est donc très loin, quand on y réfléchit – et les émissions politiques de l’audiovisuel public sont aussi faites pour réfléchir – de l’immigration-invasion, de la France et région Nord-Picardie comprise !
« Marine Le Pen est formée,
depuis 30 ans, à l’école FN du complotisme »
Mais au final, si Marine Le Pen fuie la réalité des chiffres et des situations concrètes, c’est aussi qu’elle préfère les fuites en avant que lui offre le sempiternel discours d’extrême droite sur le « système » politico-médiatique, système qui s’opposerait à elle, l’authentique défenseur du peuple ! Celle qui a longtemps vécu dans les dorures du château paternel de Saint-Cloud, on le sait, n’a pas grand-chose à voir avec les luttes ouvrières du Nord-Pas-de-Calais, mais peu importe… Cette image du « peuple qui doit désormais se faire respecter», elle tient naturellement à la cultiver, à la colporter : elle se dit que, conjuguée aux images télés de la « jungle » migratoire – images qui font peur dans les chaumières des paisibles petites villes de cette région – sa posture imagée du FN «anti-système», à de beaux jours devant elle, et vaut toutes les émissions à grande écoute.
Victimisation : la fille est en cela aussi la digne héritière de son père. Elle connaît, depuis sa tendre enfance la manip. Elle a été formée ensuite, depuis trente ans, à l’école FN du complotisme permanent, qu’en temps de crise, il est bon de sur-jouer : le « système » nous opprime, le « peuple » lui, comme la terre de Barrès, a toujours raison.
Beaucoup disait Marine Le Pen bien plus « modérée » que son père. A voir… Son marketing de la xénophobie a surtout eu tendance, ces dernières années, à endormir ou à tétaniser ses adversaires. La campagne électorale, dans cette région emblématique, vient d’être lancée par une volte-face qui en dit long. Paradoxalement, ces adversaires non choisis, qu’ils soient de droite, de gauche ou du centre, pourraient enfin finir par être revigorés ? Les résultats de ces élections régionales le diront.
Jean-Philippe MOINET,
qui a présidé l’Observatoire de l’extrémisme,
est auteur, directeur de la Revue Civique,
directeur conseil à l’institut Viavoice.