Historien, essayiste et ancien membre du conseil scientifique de la Délégation Interministérielle de Lutte contre le Racisme, l’Antisémitisme et la haine anti-LGBT (Dilcrah), Marc Knobel s’indigne dans cet article de la multiplication de comptes antisémites et racistes sur des sites dits « alternatifs », comme VK, pour VKontakte, l’équivalent de Facebook en Russie. Son constat, très précis, est édifiant.
C’est une « caricature » : un enfant porte une kipa. Sur sa tempe, un pistolet est braqué. Il est écrit « Les Juifs dehors ! » C’est une autre « caricature ». Cette fois, un vieillard avec l’étoile jaune est accroupi devant une fosse. Un soldat allemand tire. On peut lire « Légalisez l’exécution des Juifs ! » C’est une troisième « caricature ». Un homme cogne la tête d’un homme avec une batte de baseball, etc. A côté, les commentaires se multiplient. Ils en rient. Mais où sommes-nous donc ? Sur le réseau VKontakte, réseau social russe.
Autre « caricature » ? Un personnage est à genoux, un homme lui tire une balle dans la tête. Commentaire ? « Tu t’arrêtes là le youpin, tu causes assez de dégâts comme cela ! ». Autre document, mais sans photographie ou « caricature » cette fois, mais la légende suivante : « Et moi, je rêve d’une vraie Shoah dans tout le continent européen afin de réduire en cendre votre sous-race ignoble planétaire ».
Autre document, une photographie atroce. Trois hommes noirs sont pendus et la légende suivante : « Quand tu allumes la télé et que tu tombes sur des chaines françaises, tu as soit un youtre souriant et narquois, soit ce putain de sale nègre de merde de… cette serpillère à youtre ». Autre photographie, Agnès Buzyn, Ministre des solidarités et de la santé, avec la légende suivante : « Salope de youpine ! Crève ».
Tous ces posts ont été publiés probablement par des militants ou des sympathisants de l’ultra-droite française ou francophone[1]. Cependant, la plupart des posts sont anonymisés. Leurs auteurs se cachent. Cependant, pour illustrer leur « propos », ils puisent souvent dans des sites d’extrême droite, ils vont chercher aussi de la documentation et reproduisent des/les caricatures nazies. Surtout, ils se regroupent et utilisent VK pour ouvrir des comptes qu’ils alimentent de contenus antisémites, racistes ou homophobes. La haine d’Israël y est très présente, cela pourrait attirer d’autres lecteurs, pas forcément d’extrême droite.
D’où vient ce réseau « social » VK, VKontakte ?
VK est une plateforme de divertissement et de communautés par intérêt[2]. Ce réseau social a été créé en 2006 par Pavel Dourov, également cofondateur de l’application de messagerie instantanée Telegram, dont il a été directeur général jusqu’en avril 2014. Le succès de VK est fulgurant. Mais, en 2011, le FSB, les services de renseignement russes, lui ordonne de livrer des données sur des opposants politiques russes qui utilisent ses services. Face à son refus, Dourov est invité à revendre sa participation de 12% à un proche du pouvoir, puis à quitter la direction de VK[3].
Un réseau qui compte 95 millions d’utilisateurs mensuels en 2017
VK passe donc sous le contrôle d’hommes proches de Vladimir Poutine, les oligarques Igor Setchine et Alicher Ousmanov. Selon le Moscow Times[4], le réseau compte 95 millions d’utilisateurs mensuels début 2017,[5] avec une croissance record de plus de 40% de ses bénéfices, en 2015 et 2016. Assez peu connu hors de la Russie et des pays limitrophes de langues slaves, le réseau social possède pourtant un certain nombre de pages en français. Et pour cause, il est particulièrement plébiscité par des militants antisémites et racistes, comme Alain Soral, Hervé Ryssen, Boris Le Lay[6]. Alain Soral y a son compte personnel. Alain Soral s’en explique : « Je suis parti sur VK parce que j’ai été viré de Facebook et Facebook c’est l’Empire ! Alors je rebondis ailleurs[7]». Même chose pour Dieudonné, qui avait indiqué sur Twitter le 6 janvier 2018 avoir ouvert un compte sur ce réseau, la faute à la « censure ».
D’autres plateformes, comme mail.ru ou RuTube (le YouTube russe) les intéressent aussi. D’autant qu’ils profitent de la « mansuétude des autorités russes, qui voient d’un bon œil l’arrivée de ces ennemis autoproclamés de l’Occident », selon un spécialiste, Tristan Mendès France[8]. Mendès France a sûrement raison. Un quotidien suisse qui a mené l’enquête, raconte :
VK.com appartient à un groupe d’actionnaires en très bons termes avec le Kremlin… »
« Les usagers occidentaux ouvertement nazis pullulent sur le principal réseau social russe. Délibérément copié sur le modèle de Facebook, VK.com est aujourd’hui un géant d’internet, qui se classe au 5e rang mondial des sites les plus populaires du monde selon SimilarWeb… VK.com appartient aujourd’hui à un groupe d’actionnaires en très bons termes avec le Kremlin…
La migration des extrémistes européens sur l’internet russe a commencé il y a plusieurs années, mais il s’agissait plutôt d’éclaireurs cherchant un hébergement de secours dans un pays sans régulation. La migration s’est brusquement accélérée… D’innombrables sites d’extrême droite occidentaux ont récemment été suspendus par les hébergeurs ou masqués par les moteurs de recherche.
Le Kremlin tisse des liens avec l’extrême droite européenne
La Russie se présente aujourd’hui comme une alternative attrayante pour plusieurs raisons. Vladimir Poutine fait figure de héraut global de l’ultra-conservatisme pour des leaders d’opinion comme Steve Bannon, Marine Le Pen ou Oskar Freysinger. De plus, le Kremlin tisse, à travers diverses officines, des liens avec de nombreux groupuscules ou partis d’extrême droite européens dans le dessein d’affaiblir les partis traditionnels pro-européens et hostiles à la politique expansionniste russe en Ukraine. La permissivité, voire la bienveillance des autorités russes envers ceux qui sont considérés comme extrémistes en Europe contraste avec la censure croissante imposée à l’Internet russe[9]».
A noter cependant, ces dernières évolutions à propos des contenus haineux diffusés sur le réseau social VK. En novembre 2018, le Crif adresse un courrier à Alexeï Mechkov, le nouvel ambassadeur de Russie en France afin qu’il puisse évoquer ce sujet avec les autorités de son pays. Dans sa réponse, l’ambassadeur informe l’institution que le Service Fédéral russe de supervision des communications, des technologies de l’information et des médias Roskomnadzor ordonne aux administrateurs de VK la suppression des pages personnelles d’une cinquantaine d’utilisateurs francophones qui propagent l’antisémitisme et la haine nationaliste sur ce réseau[10].
Enfin, à la suite de la publication de messages antisémites sur le réseau social russe, la DILCRAH (Délégation interministérielle à la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la haine anti-LGBT) a opéré plusieurs signalements auprès du Procureur de la République. Et pour la première fois, Alain Soral a comparu (le 9 juillet 2020) devant la 17e chambre, poursuivi pour incitation à la haine, pour des propos tenus sur VK en 2019. Le délégué interministériel Frédéric Potier espère ainsi que la justice enverra un signal fort : « Comme il n’y a aucune modération sur ce réseau social, il est d’autant plus nécessaire que la justice soit sévère[11] ». Le même jour, le 9 juillet 2020, à Moscou, le réseau russe VK -qui veut probablement faire bonne figure- annonce qu’il bloque « la page de Alain pour violation des règles du site [12] ».
Comme nous venons de le voir, ces militants ont un point commun : ils se nourrissent de la même haine. C’est ce qu’ils viennent chercher sur VKontakte. À ce niveau d’utilisation, de voyeurisme et de fanatisme, la désinhibition est totale. Il n’y a plus aucune retenue et appeler au meurtre fait partie ici de la règle commune.
Marc KNOBEL, essayiste, chercheur, auteur de « L’internet de la haine » (Ed Berg interational)
[1] Sur Internet, la très efficace association « Balance Ton antisémite » suit à la trace ces gens et signale dans les réseaux sociaux, les sites et comptes antisémites.
[2] https://www.linkfluence.com/fr/blog/fr/vkontakte-le-plus-grand-reseau-social-europeen
[3] Pascal Grandmaison, « Pavel Durov, l’homme des messages chiffrés », Le Figaro, 7 septembre 2018.
[4] Moscow Times, « Russian Social Network VKontakte Announces 43% Profit Boom », février 2017.
[5] Edouard Pflimlin, « VKontakte, un réseau social russe très performant », Le Monde, 28 février 2017 ?
[6] France-Soir, « Qu’est-ce que VKontakte, le réseau social russe où migreraient les Gilets jaunes? », 13 février 2019.
[7] Ces comptes sur Facebook ont été fermés le 15 décembre 2017.
[9] Emmanuel Grynzspan, « L’Internet russe, refuge des néonazis occidentaux », Le Temps, 21 août 2017.
[11] Laure Daussy, « Sur VK, les « réfugiés » d’extrême droite se lâchent », Charlie hebdo, 3 juillet 2020.
(10/07/20)