Une sale tendance aux agressivités virulentes, aux violences banalisées, pollue notre atmosphère démocratique. Des radicalités de toutes natures, idéologiques et comportementales, se lâchent sans retenue : injures sur les réseaux sociaux, agressivités dans la rue, mobiliers urbains, voitures ou kiosques brûlés en marge de manifestations, le siège d’un syndicat réformiste assailli, des permanences de parlementaires saccagées, des vitrines de commerces détruites, un restaurant célèbre incendié…
On dira que ces actes ne proviennent que d’une petite minorité. C’est vrai. Mais les radicalités, quand elles basculent dans des déchaînements violents, ne sont pas moins des atteintes graves, non seulement aux personnes visées mais au fondement même de la démocratie. Il y a quelques mois à Lille, dans une Université, un ancien Président de la République, François Hollande, était empêché de réunion et les exemplaires de son livre déchirés. Triste symbole pour une Université ! A Bordeaux, dans la même période, une intellectuelle, Sylvianne Agacinski, était aussi empêchée de réunion, des menaces pesant sur sa conférence. Et tout récemment, une pièce de théâtre, à laquelle assistait le Président de la République Emmanuel Macron, a été perturbée par un groupuscule agressif.
« La démocratie garantit que tout le monde se respecte, quelles que soient ses positions et oppositions. Le seul grand arbitre est le suffrage universel, seul souverain. »
La démocratie n’est évidemment pas que tout le monde soit d’accord sur tout dans le meilleur des mondes : elle garantit que tout le monde se respecte, quelles que soient ses différences, ses positions et oppositions, ses convictions ou croyances. La démocratie n’empêche en rien les confrontations d’idées, de projets : bien au contraire, elle assure que ces confrontations, grâce aux règles et institutions démocratiques, s’organisent dans la paix civile et se développent de manière durable, constructive et civilisée. Avec, comme grand arbitre des confrontations, régulièrement consulté : le suffrage universel, seul souverain, qui trace les contours d’une majorité et des oppositions.
Quand des virulences et les forces d’intolérance heurtent le principe de respect mutuel, il faut savoir tirer le signal d’alarme. L’histoire et les ressources démocratiques de notre pays sont sans doute grandes, l’esprit républicain domine largement les intolérances violentes mais les dérives observées en France ne doivent pas être sous-estimées dans leurs effets corrosifs, qui fragilisent le pacte civique et la cohésion sociale. Car la banalisation des incivilités et d’agressions devenues ordinaires, parfois spectaculairement médiatiques, peut produire aussi dans la durée, en profondeur, un dangereux effet de propagation par l’imitation, qui peut altérer l’équilibre de notre démocratie et le climat relationnel dans notre pays. C’est pourquoi, nous devons être vigilants, c’est pourquoi la réflexion et les propositions sur l’enjeu démocratique doivent être fortement renouvelées, réinvesties.
La démocratie est, comme l’oxygène, un bien plus que précieux. On en use sans forcément y penser jusqu’au moment où on en est privé, l’étouffement alors menace. Défendre et promouvoir la démocratie doit aussi se concevoir dans une perspective de rénovation active d’un « système », démocratique et institutionnel, qui subit depuis de nombreuses années tous les assauts de la défiance, celles qui peuvent être justifiées comme celles qui ne le sont pas mais qui s’entremêlent dans un dangereux magma volcanique qu’il serait irresponsable de laisser en ébullition.
La crise de la représentation est mesurée notamment par le Cevipof-Sciences Po en son « baromètre de la confiance » et par l’Observatoire de la démocratie, mis en place par La Revue Civique avec l’institut Viavoice, qui a régulièrement évalué, du point de vue de l’opinion publique, les solutions ou les directions souhaitées pour sortir de cette crise par le haut: par des mesures audacieuses permettant par exemple de réconcilier démocratie représentative et démocratie participative. Le chantier est ouvert, pour une grande réforme de nos institutions et pratiques démocratiques, les projets de réforme ne peuvent rester dans les placards de la République.
Avec La Revue Civique, l’institut Marc Sangnier – du nom de la figure journalistique et humaniste qui s’était engagée, il y a 120 ans, en créant un journal « La démocratie » – s’engage dans la voie du renouvellement de la réflexion et des propositions : il amorce un cycle de « Dialogues sur la démocratie » qui, tout au long de l’année, placeront en réflexion un binôme de hautes personnalités, l’une politique, l’autre de la société civile (observante ou engagée) : ce cycle commence avec l’ancien chef de l’Etat François Hollande et le politologue et essayiste Pascal Perrineau, dont les derniers livres traitent de cette question démocratique. Ils seront suivis par d’autres personnalités, de sensibilités différentes voire opposées quand il s’agit de la personnalité politique invitée: les personnalités de la droite républicaine, Valérie Pécresse, Xavier Bertrand ou François Baroin, seront aussi les bienvenues en ce lieu de prospective, ainsi que des personnalités de la majorité présidentielle, allant de François Bayrou à Gabriel Attal, en passant par Jean-Michel Blanquer ou, pourquoi pas, le chef de l’Etat lui-même, Emmanuel Macron, ou le Premier ministre, Edouard Philippe.
Pour favoriser une nouvelle société démocratique, du respect et de la tolérance, nulle frontière partisane ou idéologique n’a de pertinence : l’esprit de dialogue transcende naturellement les différentes appartenances et doit surtout redoubler d’ardeur pour produire ses effets réformistes. Dans une période où soufflent, de manière glaciale, les vents de l’intolérance.
Jean-Philippe MOINET, fondateur de La Revue Civique et initiateur de l’Observatoire de la démocratie, est aussi Président de l’institut Marc Sangnier.
(janvier 2020)