Des heures de bénévolat en contrepartie du versement du RSA ? Une bonne idée, mais se pose la question de la définition précise du « bénévolat » et du « volontariat » : une distinction qu’il est important de faire nous disent Aude de Chavagnac et Manon Imard, les auteures de ce texte.
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RSA en contrepartie de bénévolat : la controverse battait son plein en ce début d’hiver 2016. Pour 2015, on apprenait que les dépenses du RSA ont été évaluées à 10 milliards d’euros, avec un montant restant à la charge des départements de plus de 4 à 8 milliards… suivant l’interlocuteur : Etat ou Président de l’ADF (Assemblée des départements de France). De nombreux départements se trouvent au bord du gouffre, les élus de tous bords s’insurgent. D’aucuns font des propositions, invoquant l’intérêt général, ou encore ce concept nouveau des « communs »…
En février 2016 en effet, Eric Straumann, Président du conseil départemental du Haut-Rhin, se défend : « Bénévolat obligatoire, c’est un oxymore mais on n’a pas trouvé d’autre cadre juridique« *, estimait-il, entendant ainsi justifier son intention de conditionner le versement du RSA à sept heures hebdomadaires de bénévolat. Il a fait voter la décision, celle-ci ne manque pas de susciter un juste tollé de la part du monde associatif.
Le bénévolat : un engagement libre et gracieux
Quoique le parlement ait conclu, lors des débats sur la Loi « Egalité et citoyenneté » (du 22/12/2016), qu’il n’était pas souhaitable d’enfermer le bénévolat dans une définition juridique, sa caractérisation est communément admise.
En 2011, le Conseil économique et social indique : « le bénévole se définit comme celui qui s’engage librement pour mener une action non salariée en direction d’autrui en dehors de son temps professionnel et familial»… Les réponses ministérielles concordent : « Le bénévolat constitue un engagement libre et sans contrepartie de quelque nature que ce soit, dans le cadre d’un contrat moral. Le bénévole participe à l’animation et au fonctionnement d’un organisme d’intérêt général, en dehors de tout lien de subordination. * Rép. min. no 116903: JOAN Q, 28 févr. 2012, p. 1852 * Rép. min. no 121411: JOAN Q 24 avr. 2012, p. 3174. Ou encore : « Le bénévolat se caractérise par la participation à l’animation et au fonctionnement d’un organisme sans but lucratif, sans contrepartie, ni aucune rémunération sous quelque forme que ce soit en espèces ou en nature hormis, éventuellement, le remboursement pour leur montant réel et justifié des dépenses engagées par les bénévoles dans le cadre de leurs activités associatives. * Rép. min. no 2118: JOAN Q 19 mars 2013, p. 3057.
Il en découle clairement qu’à la différence d’un travail salarié, le bénévolat se caractérise par l’absence de tout lien de subordination juridique et de toute rémunération sous quelque forme que ce soit (ni en espèces, ni sous forme d’avantages en nature). * Rép. min. no 85688: JOAN Q 2 mai 2011, p. 5570.
Un jugement en droit
Le 5 octobre 2016 le tribunal administratif de Strasbourg, saisi par le Préfet du Haut Rhin, sur instance du Ministre de la Santé, rend son jugement : « imposer des heures de bénévolat constitue un détournement du droit du travail »…
Cela ne clos toutefois pas les débats: « Loin d’une vision coercitive, la réciprocité iséroise est différente et se veut consentie en utilisant de nouvelles méthodes » fait aussitôt savoir par exemple le Conseil départemental de l’Isère.
« Mal nommer les choses c’est apporter au malheur du monde » disait Albert Camus. Une clarification au plan sémantique s’impose donc. S’assurer auprès des candidats à l’élection présidentielle que cette compréhension ne souffre pas d’ambiguïté, ne parait pas superflu. Le flou dans les concepts, pensent non sans raisons les associations, peut engendrer en effet des dérives de tous ordres. D’où l’importance de la clarification du concept du bénévolat : au plan Juridique ; au plan social et certainement enfin au plan fiscal afin d’éviter tous risques d’instrumentalisation.
Bénévolat /Volontariat : attention aux confusions
Alors que pour la majorité des associations l’engagement des bénévoles demeure la base des ressources humaines, les frontières entre bénévolat et salariat sont de plus en plus floues. Sans définition légale du bénévolat, les bénévoles sont tous volontaires ; les volontaires eux ne sont pas tous bénévoles. L’absence de cadre juridique pour le bénévolat n’est pas sans poser de difficultés en ce sens qu’elle peut générer pour les associations un risque de requalification de la relation en contrat de travail.
Et les conséquences d’une requalification peuvent être lourdes : l’application du droit du travail à cette relation peut se traduire par des rappels de salaires, de congés et aussi des risques de poursuites pénales pour travail dissimulé. L’existence d’un contrat de travail ne dépend ni de la volonté des parties, ni de la dénomination donnée à leur convention mais des conditions de fait. Dès lors que les critères (prestation de travail, rémunération et lien de subordination) sont remplis, le contrat de travail peut être caractérisé. C’est ainsi qu’un engagement écrit de bénévolat d’une personne peut susciter la requalification par le juge en contrat de travail.
La Cour de Cassation a ainsi par exemple requalifié en contrat de travail un « contrat de bénévolat » conclu entre la Croix-Rouge Française et des personnes effectuant une mission d’accompagnement de personnes isolées dans leurs voyages. Ayant constaté que les intéressés accomplissaient leurs missions sous les ordres et directives de l’association et percevaient une somme forfaitaire dépassant le montant des frais réellement exposés, la Cour a estimé que le « contrat de bénévolat » masquait un véritable contrat de travail (Cass. Soc. Croix-Rouge Française 29 janvier 2002).
Pour requalifier, le juge se fonde donc essentiellement sur le lien de subordination qui peut exister entre la personne « bénévole » et l’association (exécution du travail selon les ordres et directives, horaires imposés, contrôles et pouvoir de sanction). Car si le bénévolat constitue un engagement libre et sans contrepartie de quelque nature que ce soit, établi pour ses modalités en accord avec l’association, les bénévoles gèrent ensuite eux-mêmes leur activité, en responsabilité. Si le bénévole peut être remboursé de toutes les dépenses engagées dans le cadre de ses activités associatives sur la base de leur montant réel et justifié c’est parce que ces remboursements de frais ne constituent pas une rémunération.
En souhaitant conditionner l’attribution du RSA à 7 heures hebdomadaires de « bénévolat », le Président du Conseil départemental du Haut Rhin, ne porte donc pas seulement atteinte au principe d’un bénévolat qui ne peut être que libre et gratuit, il accentue aussi gravement les risques de requalification. L’engagement du bénévole, subordonné à l’attribution de cette allocation, subordonné à des horaires, avec donc un contrôle de la part de l’association, – ce qui confère à la dite association de facto un pouvoir de sanction puisque si le bénévole ne s’astreint pas à ses 7 heures hebdomadaires il se verra privé du bénéfice du RSA -, pourrait être en effet très certainement passible de cette requalification.
Donner aux mots leur sens
Bannir les confusions et utiliser les mots justes s’impose! En parlant de « Bénévolat obligatoire » chacun, à fortiori à la réflexion, s’accorde à dire que cela est… un non sens. Doit-on pour autant en conclure que tout contrat, dès lors qu’un département octroie le RSA, serait facteur de risques et pour les uns et pour les autres ? Bien sûr que non.
Si appeler « bénévolat » ce qui n’en est pas un, mérite que soient dissipées toutes les ambiguïtés, dès lors qu’il y a rémunération, subordination, il y a nécessité d’un cadre juridique. Celui du volontariat, au travers par exemple de la multiplicité des statuts existants parait pouvoir être une option. La loi n°2006-586 du 23 mai 2006 relative au volontariat associatif et à l’engagement éducatif a ainsi créé un statut de volontariat associatif dans le cadre d’un contrat de droit privé .Et contrairement à ce que titrent même certaines revues juridiques, le volontariat associatif ne « constitue (pas) un statut à mi-chemin entre le salariat et le bénévolat ».
Ne relevant pas du Code du Travail, ce contrat de volontariat est conclu par écrit entre une association agréée ou une Fondation reconnue d’utilité publique et une personne de plus de seize ans, de nationalité française ou communautaire ou résidant régulièrement en France depuis plus d’un an. La mission de volontariat ne peut durer plus de deux ans et une même personne ne peut accomplir plus de trois ans de volontariat au cours de sa vie. Les volontaires disposent, durant le temps de leur engagement, d’une protection sociale complète ainsi que d’une indemnité mensuelle. Les associations qui bénéficient de l’agrément au titre du volontariat associatif peuvent solliciter l’agrément du service civil volontaire auprès de l’Agence nationale pour la cohésion sociale et l’égalité des chances. Cet agrément ouvre droit à un financement par cette agence permettant de prendre en charge tout ou partie de l’indemnité versée au volontaire.
* Rép. min. no 102673: JOAN Q 31 oct. 2006, p.11373.
Prendre des assurances au plan juridique avant d’engager sa collectivité territoriale relève de la prudence…Chacun peut en juger, ce que propose le Président du Conseil départemental du Haut Rhin ressort, semble-t-il, plus du volontariat que de bénévolat et pour paraphraser Albert Camus : « Bien nommer les choses, serait un moyen de contribuer au bonheur du monde »…
Aude de Chavagnac, chargée de mission de l’association « Communication publique »
et Manon Imard, avocate
(février 2017)