Spectacle Dieudonné ou la scène de l’inhumanité (par Marc Knobel)

Membre du conseil éditorial de La Revue Civique, Marc Knobel, historien, est l’auteur de cette tribune, qui traite du « spectacle » qui est tout sauf humoristique, de Dieudonné, qui instrumentalise le sujet du « sionisme », pour verser, avec l’extrême droite (et gauche) la plus radicale, dans un antisémitisme (à peine) masqué. Voici la tribune de Marc Knobel.

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Ceux et celles qui combattent honnêtement l’antisémitisme et le racisme demandent ouvertement une protection réelle des droits de l’homme et du citoyen, lesquels sont l’inscription, dans la vie sociale, dans la vie de tous les jours, de l’harmonie subtile, de l’harmonie utile, de l’harmonie respectueuse, entre la liberté et la responsabilité de chacun vis-à-vis de l’autre : de tous les autres êtres humains. Et puisque les frontières hérissent certains, nous les invitons à méditer l’article 29 de la Déclaration universelle des droits de l’homme (1948), en laquelle nous trouvons, pour notre part, un fondement à la plupart de nos actions (dans la mesure aussi où cette Déclaration a valeur constitutionnelle en France)  : « Dans l’exercice de ses droits et dans la jouissance de ses libertés, chacun n’est soumis qu’aux limitations établies par la loi exclusivement en vue d’assurer la reconnaissance et le respects des droits et libertés d’autrui et afin de satisfaire aux justes exigences de la morale, de l’ordre public et du bien-être général dans une société démocratique ».

Enfin, la même Déclaration « sans frontières » stipule de façon limpide, dès son premier article, que si « les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits », ils sont aussi « doués de raison et de conscience et doivent agir les uns envers les autres dans un esprit de fraternité ». A ce sujet, rappelons ici que le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale considère que la liberté d’expression n’est pas un droit absolu mais qu’il est soumis à certaines limitations énoncées dans la Déclaration universelle des droits de l’Homme (Article 29, Paragraphes 2 et 3 et Article 30) et dans le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (Articles 19 et 20) qui convertit en règles précises de droit international, les principes énoncés dans la susdite Déclaration. Ces limitations résultent d’un juste équilibre entre les obligations découlant de l’Article 4 de la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale et la nécessité de protéger ces libertés fondamentales.

Depuis de nombreuses années, les spectacles de Dieudonné procèdent-ils de cet « esprit de fraternité », pour qu’ils soient ainsi défendus au nom d’une liberté qui n’est que celle d’offenser (des personnes précises et la mémoire des victimes de l’extermination nazie, ce qui n’a rien à voir avec la liberté de blasphémer, qui ne vise pas des personnes mais un dogme religieux, ndlr) ?

« Vous, qui riez des dénonciations calomnieuses »

Vous,

Ce faisant, vous le public de Dieudonné, en vous pressant pour aller voir Dieudonné à Marseille (8000 spectateurs, le dimanche 19 novembre 2017) ou ailleurs,

Ce faisant, en vous levant pour l’applaudir,

Ce faisant, en vous délectant de sa grossièreté,

Ce faisant, en oubliant la fraternité,

Ce faisant, en payant votre entrée pour l’enrichir,

Ce faisant, en feignant d’oublier qu’il a été condamné par la justice à des dizaines de milliers d’euros d’amendes, pour injure raciale, diffamation ou incitation à la haine,

Ce faisant, en encourageant probablement ainsi son show; parce que vous l’applaudissez, parce que vous l’accompagnez, parce que vous riez de ces dénonciations/accusations calomnieuses,

Ce faisant, soit en feignant d’oublier qu’il jette les Juifs aux chiens, soit en vous en félicitant,

Ce faisant, en encourageant qu’il continue d’animer la/une synthèse avec Alain Soral et l’extrême droite la plus glauque, revancharde et misérable,

Ce faisant, en achetant ses produits et dérivés, car c’est aussi un commerçant qui fait du commerce et de l’argent,

Ce faisant, en pensant que vous devez rire de tout, des morts comme des vivants,

Ce faisant, en oubliant la peine, la souffrance, la douleur vive, lorsqu’il s’acharne sur les victimes d’un génocide,

Ce faisant, en pensant que pour être libre, il faut dévorer son prochain,

Ce faisant, en crachant ainsi de vos rires, pour mieux « dévorer » votre prochain,

Ce faisant, de vos yeux moqueurs, qu’à la place de la grâce et la fraternité, il y ait la vindicte, le rire sarcastique,

Ce faisant, en participant de cette comédie, de cette tartufferie grotesque,

Ce faisant, en participant de cet outrage,

Ce faisant, en tout ce que vous pensez de l’humanité lorsque vous assistez à ces spectacles, qui a pour nom seulement l’inhumanité,

Je vous laisse à vos illusions,

Je vous laisse à vos maux, parce que ces mots ne sont que des crachats.

Étranglez-vous de vos rires morbides.

 

Marc KNOBEL,

Historien, et auteur notamment de « L’Internet de la Haine » (ed Berg International, 2012).