Édouard Philippe, les dimensions de la solidarité

Édouard Philippe (Photo ©Éric Houri)

[EXTRAIT] Le maire du Havre explique que la dette peut être utile, quand elle est stabilisée: « elle sert à investir et elle est à un niveau parfaitement remboursable, dans la norme des grandes villes. Nous, nous avons la possibilité d’agir », déclare-t-il, dans divers domaines de la solidarité. Un exemple : le logement des personnes âgées dépendantes. Édouard Philippe estime par ailleurs que « la solidarité n’est pas simplement la prise en compte du pathologique, c’est-à-dire de ce qui va mal. C’est aussi porter une action générale, qui intègre diverses dimensions de solidarité ». Exemple donné: sa politique en matière de promotion de la lecture.

La REVUE CIVIQUE: Alors que l’État, avec la crise financière, doit impérativement réduire ses déficits, les villes comme la vôtre ont-elles des marges de manœuvre permettant de mener des actions de solidarité, ou l’heure est-elle aussi à la rigueur et à la baisse des dépenses publiques municipales ?
Édouard PHILIPPE:
Difficulté budgétaire ou pas, rigueur ou pas, au Havre nous sommes dans une ville où la structure sociale rend particulièrement nécessaire les actions de solidarité. C’est une ville populaire, de brassage, une ville portuaire et industrielle, qui a toujours eu par exemple des taux de mortalité infantile, de pauvreté et d’échec scolaire supérieurs à la moyenne nationale. Nous sommes dans une ville qui est moins bourgeoise que les villes organisées autour d’activités de services, comme Rouen, et où le besoin de solidarité est très fort. Cela ne veut pas dire que le territoire va mal, simplement, au Havre, c’est historiquement une demande forte de la population.

Deuxième point, je ne sais pas ce qu’est une « marge de manœuvre ». Je sais ce qu’est un budget qui ne laisse plus aucune place à l’investissement parce que le budget a été mal géré, je sais ce qu’est un budget qui ne laisse plus aucune marge pour des initiatives nouvelles. Avant 2008, nous nous étions engagés à ne pas augmenter la dette, à ne pas augmenter le taux d’imposition et à préserver la capacité d’investissement, car investir c’est préparer l’avenir. Nous devons donc contrôler très rigoureusement les dépenses de fonctionnement et c’est pourquoi, depuis 6 ans, nous sommes entrés dans un processus de contractualisation où je demande aux services, par période de 3 ans, de définir leur mode d’action pour réduire leurs dépenses de fonctionnement. Ce n’est pas moi qui leur dit où il faut couper, ce qui n’aurait aucun sens, mais c’est l’administration qui décide comment assurer les services demandés tout en diminuant les coûts.

Nous avons réussi, en 6 ans, à préserver une capacité d’investissement élevée et les actions engagées. De ce point de vue, nous avons gardé des marges de manœuvre: si demain, un projet m’intéresse, je peux le porter, dans certaines limites. Nous connaissons des collectivités territoriales qui n’ont plus cette capacité, comme le Conseil général de Seine-Maritime, qui est quasiment ruiné et n’a plus aucune capacité d’investissement.

Légitime d’avoir une dette

Si je considère qu’avoir une capacité d’investissement c’est avoir des marges de manœuvre, alors effectivement j’en ai. Mais si avoir des marges de manœuvre c’est avoir des « réserves financières », il est clair que je n’ai pas d’épargne. Nous avons un budget extrêmement serré et notre dette reste stable, autour de 230 millions d’euros.

La dette ne doit-elle pas être réduite, voire, à terme, supprimée ?
Il ne s’agît pas de verser dans une vulgate absurde qui consisterait à dire qu’il faut supprimer la dette. Il est légitime, pour une collectivité territoriale, d’avoir une dette puisqu’elle travaille au minimum sur les 30 ans qui viennent ! Nécessairement, une ville s’endette. La question n’est pas de ne pas avoir de dette, elle est de pouvoir porter cette dette, sereinement, sans asphyxier l’activité.

Chez nous, elle sert à investir et elle est à un niveau parfaitement remboursable, dans la norme des grandes villes. La dette doit donc avoir un niveau normal, qui fournit une capacité d’investissement importante. Il y a peu de collectivités territoriales qui ont gardé stables leur niveau de dette et leur niveau d’investissement. Nous, nous avons encore la possibilité d’intervenir, d’agir.

Un exemple: le logement des personnes âgées dépendantes. Nous sommes entrées au Havre dans une logique de mobilisation des acteurs (hôpital, État, département, acteurs associatifs et privés, la ville) pour reconstituer une offre d’accueil. Nous mettons donc à disposition des terrains pour que des investisseurs, publics ou privés, fondent des EPAD (établissements pour personnes âgées dépendantes), nous participons ainsi, avec des partenaires, à la recomposition d’une offre large permettant d’accueillir des personnes âgées en situation de dépendance. Nous pouvons le faire parce que nous savons gérer notre foncier, nous avons de bonnes relations avec nos partenaires et nous savons organiser, dans la durée, les investissements publics et privés.

Au-delà de l’approche budgétaire, quels types de pratiques nouvelles avez-vous expérimentés et/ou préconisez-vous en matière de solidarité ?
En ce domaine, il faut avoir quelques principes simples. Tout d’abord, nous ne pouvons rien faire seuls: les actions de solidarité se pensent et ne sont efficaces qu’avec des partenaires (associatifs, entreprises ou institutionnels). Notre rôle est donc d’être un assembleur de gens qui interviennent dans le cadre d’actions coordonnées, où nous apportons une connaissance fine du terrain.

Ensuite la solidarité n’est pas simplement la prise en compte du pathologique, c’est-à-dire de ce qui va mal. C’est porter une action générale, qui intègre diverses dimensions de solidarité. Par exemple, nous portons une grande politique de promotion de la lecture, nous nous intéressons à tous ses aspects et, dans le cadre de cette politique, nous intégrons des actions de solidarité. Nous avons lancé « Domicilivres »: des agents de la Ville visitent des personnes identifiées par le CCAS(1) comme ne pouvant plus se déplacer et discutent avec elles, de leurs goûts, ils reviennent la semaine suivante avec une valise de livres issus des bibliothèques, deux semaines après, ils reviennent pour discuter avec ces personnes de ce qu’elles ont lu et leur appréciation. Les actions de solidarité doivent ainsi s’intégrer dans toutes les politiques publiques. Je suis très attaché à ce principe, que nous appliquons au Havre.

Promotion de la lecture

Le troisième principe est de coller au plus près du terrain et d’accompagner les initiatives qui en émanent. Car des expériences peuvent marcher dans une ville mais pas dans une autre, tout simplement parce que la ou les personnes motrices varient selon les endroits. Je pense à une association havraise qui s’appelle « Émergence », qui s’est créée autour d’une piscine inexploitable car mal conçue: elle l’a transformée en salle de sport et, à travers ce lieu, a réussi une extraordinaire aventure de réintégration dans le monde économique par le sport. Cette réussite doit son succès à deux hommes, qui ont réussi à créer des liens avec les entreprises et à recruter des gens compétents. Sans ces deux hommes, même avec un budget supérieur, il serait impossible de reproduire cette action. Il faut donc trouver les bonnes personnes pour les bons projets, et une fois qu’ils sont trouvés, leur donner confiance et les moyens d’aller jusqu’au bout. C’est un principe simple mais un art tout d’exécution.

Gouverner c’est aussi choisir, et établir des priorités: quels publics, dans votre ville, sont pour vous prioritaires en matière d’action de solidarité ?

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Propos recueillis par Paul TÉMOIN
(In La Revue Civique n°11, Printemps-Été 2013)

1) Caisse Centrale d’Activités Sociales