Sur les réseaux sociaux, comment des anti vaccins ont trafiqué et manipulé la photographie de l’étoile jaune du père de Marc Knobel, historien, essayiste (auteur notamment de « Cyberhaine. Propagande et antisémitisme sur Internet », aux éditions Hermann) et membre du conseil éditorial de La Revue Civique. Il raconte ici comment cette manipulation ignoble a eu lieu, la photo authentique de l’étoile jaune de son père ayant été publiée, en 2019 dans La Revue Civique. La capture et la manipulation de cette image a ensuite fait son oeuvre sordide. Récit.
Au tout début du mois de février 2019, j’avais vu passer quelques tweets déclarant que les gilets jaunes et les Juifs mènent « un même combat. » L’un de ces tweets juxtaposait une étoile jaune et un gilet jaune. Interpellé par cette comparaison pour le moins étrange, infondée et inadaptée, je contactais Jean-Philippe Moinet, le directeur du site Internet de La Revue Civique. Je lui proposais d’écrire un petit article, sous la forme d’un témoignage. Je racontais dans cet article comment, alors que j’avais 9 ans, j’avais trouvé dans un tiroir l’étoile jaune que mon père avait dû porter pendant l’Occupation. En empruntant dans ce récit un style particulier, j’expliquais que j’étais venu chercher mon papa pour lui demander ce que c’était. Mon père l’avait porté, gamin. Mais, il n’avait pas su me l’expliquer car j’étais aussi… un gamin. Il m’avait simplement demandé de la reposer à sa place. J’écrivais : « Comment trouver les mots, sans rougir ? Comment expliquer à un gamin ce que cela pouvait vouloir dire ? Comment permettre à l’enfant de discerner cette incroyable offense ? [1] »
Pour illustrer cet article, j’avais photographié l’étoile jaune de mon père, que j’ai gardée. Et j’avais envoyé sa photographie à La Revue civique. Cette étoile est reconnaissable visuellement. En sa branche supérieure, elle est légèrement déchirée, décousue. La trace de la déchirure est visible à l’œil nu et elle apparaît clairement. D’autres branches sont légèrement bombées et quatre traces de pliures apparaissent. L’étoile a dû être pliée, posée, reposée, repliée.
« Le symbole d’une histoire de vies, des stigmates de souffrances et de l’horreur d’un vécu ».
Le temps est passé mais le 17 juillet 2021, un internaute suisse m’a adressé un email. Dans ce mail, ce correspondant me dit qu’il a cherché la source originale de l’image qui a été utilisée pour un montage anti vaccin. De quoi s’agit-il ? Sur Internet et/ou lors de manifestations organisées par des antivaccins, des photographies ont été postées et des gens ont porté des photographies d’étoile jaune. Mais, à la place de la mention « Juif », apparaît une autre mention « Sans vaccin ».
Après avoir comparé plusieurs photographies, mon correspondant ajoute qu’il a réalisé qu’il s’agissait de l’étoile jaune portée par mon père à l’âge de 11 ans. Il précise qu’il « ne s’agit pas en effet juste d’une image, mais cette image est le symbole d’une histoire de vie, des stigmates d’une souffrance, et l’horreur d’un vécu partagé par des milliers d’êtres humains ».
Choqué, j’ai vérifié l’information et j’ai comparé la photographie initiale qui avait été publiée dans mon article et d’autres photographies postées sur les réseaux sociaux. Là, la mention « Juif » a été supprimée et remplacée par « Sans vaccin ». Il s’agit bien de la même photographie, postée et repostée sur Internet mais avec cette obscène manipulation. Des gens ont récupéré la photographie initiale archivée sur Google, pour la dénaturer, la transformer, la manipuler.
Voici la photographie que j’avais prise de l’étoile jaune de mon père :
Voici quelques exemples de photographies de cette même étoile (celle de mon père), à l’identique mais la mention « Juif » a été remplacée :
« A la comparaison obscène, s’ajoutent la perfidie et l’ignominie. »
Ces photographies d’une étoile jaune (celle de mon père) sont devenues virales. Elles ont été publiées, republiées par des internautes. Il s’agit bel et bien de l’étoile jaune de mon père, mais avec une nouvelle mention. A l’exploitation frauduleuse que l’on a pu faire de l’image initiale, à la comparaison obscène qui est faite entre anti vaccins et Shoah, s’ajoutent donc la perfidie et l’ignominie.
Celles et ceux qui ont utilisé l’étoile jaune de mon père pour faire du buzz et susciter l’empathie des sans vaccins, savent probablement pourquoi ils l’ont fait. Dans toutes les exploitations frauduleuses qui ont été faites, nous retrouvons les mêmes comparaisons. Des montages photographiques de QR code sur des avants bras, pour rappeler le tatouage des déportés. Des montages photographiques de l’entrée du camp d’Auschwitz et l’on prétendrait ainsi que des non vaccinés, pourraient être déportés ; des étoiles jaunes enfin (comme celle de mon propre père). A l’offense qui est adressée, au mensonge qui est ainsi colportée, se trouvent les instrumentalisations les plus basses, les relativisations les plus incultes et les malversations misérables qui visent à comparer ce qui n’est pas absolument pas comparable.
Faut-il rappeler ici qu’un vaccin sert à sauver des gens, à sauver des vies, à assurer une immunité collective et à protéger les plus fragiles d’entre nous, d’une mort inéluctable ? Par contre, avec l’étoile jaune, se resserrait dès 1942, le filet criminel dans lequel les Juifs allaient être de proche en proche, les uns après les autres, pris, pour être livrés aux camps d’extermination. C’est ainsi que s’accélère l’œuvre de mort de la machine criminelle nazie et de ses collaborateurs vichystes.
Marc KNOBEL, historien, essayiste (dernier livre: « La cyberhaine »; éd Hermann)
(21/07/21)