C’est un film choc, qui touche à l’essentiel (qu’on apprécie ou non Caroline Fourest, la réalisatrice), ce film touche le public, jeune notamment. Sa distribution est magnifique, avec Camelia Jordana entre autres. L’écriture cinématographique acérée: du rythme, de l’action, de l’émotion en vagues entraînantes, du sang et des larmes aussi. Celles de ces femmes combattantes kurdes, qui livrent une bataille héroïque contre les tueurs #Daesh, pour leur liberté et leur sécurité, pour la nôtre aussi. L’actualité la plus chaude et récente a rattrapé la sortie de ce film, à bien des égards salutaire.
L’auteure est bien connue: l’essayiste Caroline Fourest a pourtant voulu prendre les observateurs parisiens à contre-pied. Certains pouvaient l’attendre sur le terrain d’une combativité moralisatrice et intellectualisante. Non, n’en déplaise à certaines critiques (notamment l’une à France Culture, dont l’injuste jugement sentait un acerbe esprit revanchard, n’ayant sans doute rien à voir avec le film), ce que l’essayiste nous donne à voir dans son film de fiction, c’est d’abord un récit haletant, de l’humanité qui s’arme pour se défendre en dehors des clichés pour une très bonne raison: toutes ces femmes, à sensibilités et nationalités différentes, sont de la chair pour les djihadistes, celles des femmes Yézidies notamment, qu’ils ont réussi à capturer dans les villages pour les réduire en esclavage, les violer, ces « fous de Dieu » n’ayant pas de limite dans les violences perverses qu’ils cherché à imposer.
Cette histoire est malheureusement réelle, elle restait à porter à l’écran, au grand écran des émotions cinématographiques qui peuvent faire date. C’est ce qu’a produit l’essayiste, en trois ans de travail acharné avec son équipe: « Soeurs d’armes », sorti en salles le 9 octobre dernier, quoiqu’on pense du combat des Kurdes – et malheureusement même si « on en pense rien » pour beaucoup trop de Français – est un film à ne pas manquer.
Et dans un camp kurde, une brigade internationale de femmes combattantes va entrer en résistance, armée.
L’histoire est prenante, simple et tragique à la fois. Un petit village tranquille, perché sur une petite colline ensoleillée, est un jour attaqué par les djihadistes qui veulent y étendre la loi du « califat » totalitaire de « l’Etat Islamique ». Une jeune femme, artiste peintre à ses rares heures perdues, est alors violemment embarquée, avec son petit frère. Sous ses yeux, son père est exécuté d’une balle dans la tête par un tueur de Daesh. S’en suit pour cette jeune femme l’horreur de l’emprisonnement en terrain djihadiste, celui où toutes les femmes, de noir vêtues, engrillagées sous l’habit et enfermées sous la menace, vivent le règne prétendument divin de la « Soumission ».
Les étapes du calvaire sont mises en images, alors que dans un camp kurde, de jeunes femmes sont à l’entraînement pour former une brigade internationale de combat : contre ces violeurs et tueurs de Daesh et pour la libération des femmes, rêve qui les porte toutes vers cette région du monde. Deux jeunes françaises, l’une de culture arabe, l’autre de culture juive, sont parmi les volontaires de cette aventure, présentée comme humanitaire à leurs parents. L’encadrement kurde est martial : pas de vie privée (et pas de téléphone portable !) pour ces jeunes femmes dans le camp d’entraînement, pas de quartier ensuite dans le combat qui les attend contre les djihadistes en furie.
Ce combat viendra à elles et elles se lanceront dans ce combat. A faire frémir de terreur aussi, ces islamistes dominateurs, effrayés à l’idée d’être tués… par une femme ! Dans l’une de leur folle croyance, il est relevé que le paradis leur sera interdit si c’est une femme qui les tue ! Alors, rejointes notamment par la jeune Yézidie qui veut survivre à son viol – commis par « El Britani », un britannique converti à l’islamisme radical – ces femmes combattantes vont y aller au combat, à coeur battant et avec rage: en défensive, quand elles subissent les attaques terribles des islamistes, ou en contre-offensive, quand elles lancent les assauts: jusqu’au coeur d’une place fortifiée où elles vont finir par avoir la peau – aidées par l’aviation alliée – du chef de Daesh, qui tombera sous les balles, à bout portant, d’une de ces combattantes.
Le récit de ces combats était à faire. Caroline Fourest a eu la force et le talent d’écrire, de tourner, de convaincre aussi, un groupe de comédiens hors normes et de producteurs engagés. On le sait, Daesh a été défait, géographiquement, au Levant par ces combattantes et par une coalition internationale, où la France a tenu son rôle (par le biais de notre aviation notamment). Mais l’islamisme meurtrier, on le sait trop, en France et ailleurs, n’a pas été totalement réduit, ni idéologiquement, ni matériellement: il continue à tuer et à vouloir terroriser, dans une préfecture de Police à Paris ou sur des terrasses de cafés ou des salles de concert, potentiellement, dans le monde entier.
Ce film est un hommage mais aussi un film qui nous parle d’avenir
« Soeurs d’armes » est certes un film hommage, à tou(te)s ces combattant(e)s Kurdes, qu’on ne saurait oublier, encore moins abandonner… Ce film, et c’est la raison pour laquelle il faut convaincre ses parents ou enfants, ses ami(e)s d’aller le voir, a_-delà de critiques de journalistes (par ex de France Culture ou Libé) qui préfèrent régler de veux comptes parisiens avec l’auteure, est aussi un film qui nous parle d’avenir: car ce combat n’est pas fini. Il faut espérer que pour l’essentiel, il est derrière nous, au Levant et en Europe. Mais rien n’est vraiment assuré.
Nos démocraties ont montré leur capacité de défense et de résilience. Mais l’avenir des démocraties et des peuples à libérer reste à écrire. Tout dépendra non seulement de l’héroïsme des combattants de la Liberté, il y en a heureusement de nombreux/ses doté(e)s de force et courage mais aussi de la capacité, la nôtre, à transmettre collectivement les leçons de cette histoire en marche. Afin que la mémoire vive de ces récents combats soit puissante et durablement inspiratrice, pour contribuer à protéger. Contre les faiblesses civiques, et les forces du renoncement.
Jean-Philippe MOINET, chroniqueur, fondateur de la Revue Civique, a été Président de l’Observatoire de l’extrémisme. Twitter : @JP_Moinet
(8 octobre 2019, actualisé le 18)