Hélène Martini, Directrice de l’Ecole Nationale Supérieure de Police, invitée d’un petit déjeuner « Les Différentes » organisé par Viavoice Diversity, en partenariat avec La Revue Civique (mars 2016), s’est confiée sur les étapes les plus marquantes de son parcours et exposé le sens de sa mission : de l’importance de la notion d’intérêt général dans la Police à la féminisation des commissariats, en passant par la démarche de co construction de la sécurité à mener avec les citoyens.
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« L’international est un enrichissement, c’est très formateur. Ces expériences sont des leçons extraordinaires qui apportent beaucoup d’humilité ».
C’est par ces mots qu’Hélène Martini introduit l’échange, en évoquant ses expériences africaine, américaine et italienne. Elle s’est dit « fascinée par l’Afrique avec un passage au Cameroun, ses richesses et son potentiel humain considérable ». Quant à son passage aux Etats-Unis, à l’époque de l’accident aérien de la TBWA New York – Paris en 1996, elle en retient un pays « au dynamisme incroyable et d’une grande sincérité dans les échanges ».
Pour elle, cette ouverture sur le monde ne doit plus être perçue comme facultative mais comme indispensable. A menace globale, approche globale. La solution, même dans la Police, « est aussi et surtout dans la coopération internationale, mais en France nous avons toujours cette barrière de la langue et même a minima de l’anglais » souligne Hélène Martini.
La nécessité de la coopération entre les services, Hélène Martini l’a appris lors de son passage à l’Elysée, au Secrétariat général de la sécurité intérieure, de 2004 à 2007, alors dirigé par Philippe Massoni. De ce passage par les plus hautes sphères de l’Etat, elle en a aussi retiré des enseignements, notamment les freins liés à l’interministerialité lorsqu’elle s’est heurtée aux enjeux de pouvoirs. Si « en France nous sommes incapables de produire quelque chose en interministerialité », cela vient notamment, selon elle, d’une posture très régalienne et centralisée qui pèse énormément.
Co-construction et dialogue : « Les solutions sont dans le territoire »
« L’idée est de rappeler que nous sommes une organisation humaine, avec une grande solidarité » même si « il y a parfois des habitudes et un fonctionnement opaque », d’où la gestion et le management transparents recommandés par Hélène Martini qui est souvent inspiré par ses expériences internationales. Elle évoque l’exemple des Britanniques, qui sont « meilleurs sur la proximité et qui ont beaucoup de comités locaux de sécurité ». Elle regrette qu’en France le CLSPD (Conseil local de sécurité et de prévention de la délinquance) s’apparente bien souvent à « des réunions exutoires ». Pour elle, les actions de proximité, pour la Police devraient être davantage développées.
En effet, au delà de la coopération entre services, « la sécurité est l’affaire de tous ! », affirme Hélène Martini qui entend là aussi faire entendre une voix aussi ambitieuse que novatrice.
Pour elle, cette réflexion autour de la sécurité est d’ailleurs trop importante pour la laisser à la seule Police. Il faut donc que la société contribue à cette réflexion, qu’on apprenne en retour à l’écouter, dans une démarche de co-construction.
D’ailleurs, la coproduction a déjà commencé : face aux menaces terroristes, à l’instauration de l’état d’urgence, les besoins en sécurité sont tels qu’on a aujourd’hui 280 000 salariés de la sécurité privée et des citoyens, qui ont aussi un rôle à jouer dans cet échange. Ce changement de paradigme implique un certain questionnement : accepte t-on de perdre des libertés ? Quel type de Police veut-on ?
La nécessité de former autrement
S’y prendre autrement. Justement. Et pour cause… La Directrice de l’Ecole Nationale Supérieure de Police sait de quoi elle parle, en particulier en ce qui concerne le recrutement ou la formation des officiers et commissaires.
À la tête de cette institution depuis six ans, Hélène Martini s’est attachée à marteler « qu’un commissaire est avant tout un manager et un être humain au service du public ». Le caractère humain est essentiel dans l’organisation et l’univers de la Police nationale. Les formations ont été revues, du développement des compétences managériales les plus basiques jusqu’au leadership. On n’apprend pas à devenir commissaire qu’avec des « fiches réflexes », sorte de boîte à outils dès comportements adaptés dans des situations de crise données, mais aussi avec des capacités éprouvées à réfléchir, à avoir le sens des situations complexes et la faculté à mener des hommes et des équipes.
Les qualités et compétences d’un policier de proximité et celles d’un spécialiste qui intervient dans les attentats ne sont bien sûr pas identiques : aucune situation ne se ressemble. Il convient aussi d’avoir un comportement déontologiquement exemplaire : Hélène Martini insiste sur le fait qu’il s’agit bel et bien « d’une mission d’intérêt public, d’une réponse de service public, et que ce métier ce n’est pas fait pour devenir Robocop ». D’ailleurs, François Miquet-Marty, président de Viavoice, rappelle qu’en terme d’opinion, il y a « une progression de la confiance envers les forces de sécurité, ainsi qu’un fort engouement envers ces métiers ».
Féminisation des commissariats
Cette tendance sociétale d’un besoin de plus de sécurité n’est pas la seule observée par Hélène Martini, qui se rappelle d’une période où elle entendait dire ‘vous travaillez bien, mais quel dommage que vous soyez une femme’. De tels propos, « ça tue ou ça construit » rapporte t-elle. D’ailleurs aujourd’hui « rien n’est acquis et je reste vigilante sur cette question », concède l’actuelle directrice de l’Ecole Nationale Supérieure de Police.
L’Ecole a ouvert son concours de recrutement aux femmes en 1974. La première promotion mixte, la 27ème promotion « René Joubert » a intégré l’école des commissaires le 1er septembre 1975. Les femmes étaient quatre, au milieu de 94 hommes. De plus, l’existence de quotas, abrogés en 1998 et des barèmes sportifs très sélectifs ont largement contribué à limiter la présence de femmes au sein du corps de conception et de direction (CCD).
« Les premières femmes étaient des guerrières, et il a fallu travailler bien plus que les autres » se souvient Hélène Martini qui pense qu’on a peut-être trop voulu coller «aux valeurs masculines et au mode de fonctionnement masculin qui nous ont fait accepter la mobilité comme exigence de base pour les promotions. Mais aujourd’hui il y a une demande de plus d’équilibre dans la vie professionnelle et la vie de couple. C’est là qu’on doit se demander si nos schémas de pensées étaient les bons ».
Autre avancée importante, la création en septembre 2013 au Ministère de l’Intérieur de l’association « Femmes de l’Intérieur ». L’association qui compte aujourd’hui 150 personnes entend faire prendre conscience, aux femmes de ce ministère, de leur valeur pour qu’elles puissent exprimer, naturellement, leur ambition.