Israël – Hamas : une émotion asymétrique

Franck Guillory

Franck Guillory est le rédacteur en chef de JOL Press (Journalism On Line), site de décryptage de l’actualité internationale (dont la Revue Civique a rejoint le groupe). De retour d’Israël, au moment du conflit avec le mouvement islamiste Hamas, il s’est tout de suite interrogé : « Pourquoi devrions-nous ignorer que ce nouvel épisode de violence a été initié par le Hamas avec l’appui d’autres groupes islamistes fondamentalistes ? » Dans son analyse, il s’élève contre une émotion sélective, répandue dans les médias français, où la thèse d’un « conflit asymétrique » disqualifie Israël : « Quelle mentalité faut-il nourrir pour reprocher à celui qui se protège de se protéger ? Que diraient-ils si les roquettes du Hamas faisaient mouche et tuaient par centaines des civils israéliens ? » Il s’élève aussi contre « la France du politiquement correct (qui) peine à reconnaître l’émergence d’un nouvel antisémitisme », qui touche une partie de la communauté musulmane.

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50 jours de combats, 71 morts côté Israéliens, 2143 morts côté Gazaouis, 4000 roquettes tirées par le Hamas, 3000 détruites par le « Dôme de fer », 32 tunnels pour terroristes mis hors d’usage, 2 milliards d’euros, le coût financier pour Israël – et combien d’autres pour la reconstruction de Gaza…

Ce nouveau conflit entre Israël et le Hamas constituent la plus longue reprise des hostilités depuis le retrait unilatéral des Israéliens de la bande de Gaza, en 2005. Et il est incontestable que ces opérations se sont déroulées dans un contexte global radicalement différent des précédentes – « Plomb durci » en 2008 et 2009, « Pilier de défense » en 2012.

C’est sans doute ce qu’a signifié le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu, dans son allocution télévisée du samedi 30 août 2014, quatre jours après la conclusion d’un cessez-le-feu illimité : « Nous avons combattu 50 jours et nous aurions pu combattre 500 jours, mais nous sommes dans une situation où nous avons l’État islamique aux portes de la Jordanie, Al-Qaïda dans le Golan et le Hezbollah à la frontière avec le Liban ».

L’opération « Bordure protectrice », tel que Tsahal a baptisé sa riposte, n’était pas qu’un épisode de plus dans l’affrontement entre deux nationalismes qu’est, avant tout, le conflit israélo-palestinien. L’adversaire d’Israël, le fauteur de guerre, ce n’était pas – et ce n’est pas – les Palestiniens, les Gazaouis mais la branche la plus radicale du Hamas et le Jihad islamiste, des djihadistes aux menées tout aussi mortifères que les autres acteurs de la nébuleuse islamo-fasciste, du Hezbollah à Boko Haram, jusqu’à Al Qaïda et l’État islamique.

Ce constat impose à ceux qui prennent parti, en Occident comme dans l’ensemble du monde civilisé, de revoir d’urgence leurs grilles d’interprétation de ce conflit. Et, là, dessus, si l’on se rappelle des réactions en direct des uns et des autres, tout reste à faire. Souvenirs…

Jeudi 17 juillet 2014 – À bord du vol El Al 325 Tel Aviv – Paris

Ce voyage en Israël aura été, pour moi, une « première ». Il devait être l’occasion de découvrir les fleurons de l’économie israélienne, dans le domaine des nouvelles technologies notamment, et de rencontrer des « faiseurs de paix », acteurs d’initiatives de coopération israélo-palestiniennes exemplaires. À peine entamé, ce coup d’essai a pris une autre dimension avec la reprise des hostilités entre Israël et le Hamas.

« Tu te dores la pilule et, pendant ce temps, les enfants de Gaza sont sous les bombes israéliennes… »

Il aura suffi d’une photo prise sur une plage – vide – de Tel Aviv pour m’attirer les foudres de quelques « amis Facebook ». Forcément, dans les esprits angéliques de ces « bien-pensants », il ne pouvait s’agir que de « sarcasme » de ma part, de «sarcasme au cinquantième degré », tant ce geste – l’illustration des impacts du conflit entre Israël et le Hamas sur la vie quotidienne des habitants de Tel Aviv – leur paraissait incompréhensible, insensible, inadmissible…

Et puis, il y eut, troublants, la couverture, le traitement éditorial par les chaînes de télévision françaises, celles d’information en continue notamment, France 24 en particulier – que je connais bien. Depuis dix jours et le lancement de l’opération « Bordure protectrice », il n’a été question que de « l’offensive israélienne » et, quand il s’agit de titrer, c’est le décompte des victimes gazaouies qui est privilégié. Triste décompte, mais traitement partial.

« Mais qui donc a commencé ? »

Pourquoi devrions-nous ignorer que ce nouvel épisode de violence a été initié par le Hamas, au pouvoir à Gaza, avec l’appui d’autres groupes islamistes fondamentalistes ? C’est un fait.

Mardi 8 juillet 2014 dans la soirée, si l’avion à bord duquel je me trouvais a tourné 40 minutes au-dessus de la Méditerranée, c’est bien que les premières roquettes islamistes visaient Tel Aviv… et, dans les heures qui ont suivi, bien que pressé par ses concurrents faucons et, de plus en plus, une opinion publique traumatisée par la portée inhabituelle de ces tirs, Benjamin Netanyahu a choisi de temporiser, jusqu’à ce que l’apparente détermination du Hamas ne l’oblige à envisager la riposte. Ce sont des faits.

« Un conflit asymétrique »

Israël serait donc l’agresseur et Israël serait forcément coupable au motif, en particulier, qu’il n’y aurait pas ou peu de victimes dans les rangs israéliens. Si Israël ne compte que peu ou pas de victimes, c’est parce que ses responsables politiques, conscients, lucides devant l’ampleur de la menace islamiste, ont su développer le fameux « Dôme de fer », ce système défensif, anti-missile, fiable à plus de 90%. Quelle mentalité faut-il nourrir pour reprocher à celui qui se protège de se protéger ? Que diraient-ils si les roquettes et autres projectiles du Hamas faisaient mouche et tuaient par dizaines ou centaines des civils israéliens ? « Bien fait pour eux »…

Oui, ce conflit est un conflit asymétrique. Oui, Israël pourrait envahir Gaza, en reprendre le contrôle et éradiquer le Hamas en moins de temps qu’il ne faut pour le dire – mais cela aurait un prix physique et moral inacceptable pour une démocratie occidentale. Oui, Israël soigne sa riposte. Oui, Israël prévient les civils de Gaza résidant dans les zones ciblées, repaires de terroristes.

Oui, Israël intègre à ses unités combattantes des « conseillers juridiques » chargés de veiller à ce que les opérations militaires soient conformes aux principes du droit de la guerre et, en particulier, à la célèbre convention de Genève.

Ce sont des faits documentés. Certains, amis et confrères, préfèrent le nier, ou les balayer d’un revers de la main au motif que de toute façon – la résistance d’Israël face aux terroristes serait, en soi, illégitime. Idéologie.

Gazaouis et Israéliens, otages des islamistes

Le Hamas et ses sbires ont pris en otages les populations de Gaza. Le sort des Gazaouis n’a rien d’enviable même si ce sont eux qui ont confié, par un vote, les rênes du pouvoir aux islamistes.

Le Hamas et ses sbires prennent aussi en otages Israël et les Israéliens. « Je préfère encore les campagnes d’attentats-suicides, » m’avouait, en pleine alerte, une habitante de Tel Aviv. « Au moins, dans ce cas, nous ne vivons pas avec la crainte permanente d’entendre les sirènes du code rouge ». Tout est dit. Ces sirènes du code rouge, elles s’infiltrent dans les têtes et, comme elles se répliquent dans tous les bruits urbains, on ne les déloge pas facilement.

Samedi 26 juillet 2014 – Paris, entre République et Bastille

Un samedi ensoleillé et une chaleur quasi-« proche-orientale ». Il aura fallu quelques jours pour que s’éloigne le bruit strident des sirènes.

La manifestation interdite du « Collectif National pour une Paix Juste et Durable entre Israéliens et Palestiniens » dégénère place de la République. Alors que désormais Tsahal conduit une riposte terrestre dans la bande de Gaza, c’est la troisième fois en deux semaines que militants pro-palestiniens et forces de l’ordre s’affrontent…

« Mort aux Juifs » à Paris… c’est la République, et bien plus, qui est visée

Je me souviens du choc, du choc profond qui avait troublé tant d’Israéliens au récit des événements parisiens du dimanche 13 juillet, la « prise de la Bastille », l’encerclement de la synagogue de la Roquette, les attaques sur des commerces de la rue de Turenne aux cris de « mort aux juifs ».

Qui sont les auteurs de ces cris ? « Quelques abrutis », m’avait répondu un « ami Facebook »… Abrutis ? Oui. Mais abrutis par quoi, abrutis par qui ? Dans tous les cas, le mot « abrutis » est bien trop faible et tend à sous-estimer l’état d’esprit, les motivations de leurs auteurs. Traumatisée par son antisémitisme historique, la France du politiquement correct peine à reconnaître l’émergence d’un nouvel antisémitisme au sein de la communauté musulmane – mais pas seulement –, directement nourri d’une incompréhension profonde du conflit israélo-palestinien et du « printemps islamiste » aux quatre coins du monde arabe.

Serait-il donc impossible de dénoncer cette dérive sans tomber pour autant dans l’islamophobie ? Bien sûr que non et, pour y parvenir, il convient, sans relâche, de promouvoir cette distinction forte, vitale, entre islamistes, islamo-fascistes, et musulmans. Toute autre posture ne serait qu’angélisme, un angélisme mortifère.
Et puis, crier « Mort aux juifs » place de la Bastille à Paris, ce n’est pas seulement s’en prendre aux juifs, d’ici ou d’ailleurs, ce n’est pas seulement dénoncer maladroitement, confusément Israël et sa politique, c’est nous attaquer nous tous, citoyens français, c’est attaquer la République, la France, l’Europe et, plus largement, l’Occident.

Des temps bien compliqués

En quittant Tel Aviv, notre guide nous avait quelque peu surpris en répondant ainsi aux « Bon courage », qui avaient accompagné nos « Au revoir » : « Bon courage à vous, » nous avait-il lancé. « Nous, ici, en Israël, nous avons le Dôme d’acier et puis nous avons appris à nous défendre. Mais, vous, en Occident et en France en particulier, il se pourrait que vous vous prépariez à des temps bien compliqués… »

La suite de l’été n’aura de cesse que le prouver… Avec cette montée des périls – en Irak, en Syrie jusqu’au Golan, au Nigéria, au Mali, et toujours au nom d’une perversion de l’Islam –, l’Histoire semble manifester, comme rarement, de funestes intentions de se répéter. Cela impose d’urgence une prise de conscience individuelle et collective, du courage et de l’audace politique. Tristement, en notre été 2014, ces qualités manquent tragiquement et, sauf sursaut, notre Cassandre aura sans doute vu juste.

Franck GUILLORY,
Rédacteur en chef de JOL Press (www.jolpress.com)