La directrice de l’ENA, Nathalie Loiseau, en introduction d’une table ronde co-organisée par la Revue Civique sur « les pratiques de démocratie participative », a souligné toute l’importance qu’a la participation (et l’écoute) du citoyen, y compris pour l’efficacité et la modernité des actions de l’État et des services publics.
Nathalie LOISEAU : « C’est un vrai plaisir de vous accueillir à l’ENA, un lieu de formation des hauts fonctionnaires français mais aussi, et je l’espère chaque jour davantage, un lieu de débats, de recherche, tourné vers tous les acteurs de l’action publique. Ce n’est pas le monopole de l’État, c’est ce que l’on a en partage, ce qu’on appelle l’intérêt général. Et si on l’appelle de la sorte c’est que l’on à y travailler et y réfléchir avec tous ceux qui s’y intéressent.
Heureuse de vous accueillir pour un événement porté par la Revue Civique et Communication Publique, et quelques autres associations.
J’ai pris connaissance avec beaucoup d’intérêt des publications de la Revue Civique. J’ai vu que vous avez mis en exergue, dans chaque numéro de votre revue, la phrase de Kennedy « Ne demandez pas à votre pays ce qu’il peut faire pour vous, mais plutôt ce que vous pouvez faire pour votre pays ». Cela m’a fait sourire parce que, avant même d’être directrice de l’ENA et pour avoir accueilli beaucoup d’élève de l’ENA qui venaient travailler dans l’administration, je leur disais toujours : « ne me demandez pas si cette administration est faite pour vous, convainquez-moi que vous êtes fait pour elle, et dites moi ce que vous voulez lui apporter ». Nous sommes donc bien en phase sur le message à faire passer, aux citoyens d’une part, aux hauts fonctionnaires de l’autre.
« Souvent on ne sait plus s’écouter
les uns et les autres… »
Votre revue, vos activités, votre objectif est d’être un carrefour d’idées, de débats… c’est aussi celui de l’école. Là encore nous nous rejoignons… L’idée de ces tables rondes : nous sommes dans un monde où il y a de plus en plus de « bruit », mais parfois de moins en moins de vrai dialogue ; souvent on ne sait plus s’écouter les uns et les autres… Donc, toutes les initiatives comme la vôtre sont les bienvenues et on est heureux quand on peut s’y associer.
Vous faites appel dans la Revue Civique à une diversité de talents, de parcours, de profils… c’est ce que nous essayons de faire aussi pour que les décideurs publics de demain soient formés par les gens les plus divers avec des points de vue des expériences qui ne soient pas toutes similaires, pour qu’ils puissent se faire eux-mêmes leur propre réflexion ; en gardant en permanence leur capacité d’innovation et le cas échéant leur esprit critique. Cela se reflète dans cette table ronde sur la démocratie participative où je suis heureuse de voir figurer, par exemple, Corinne Lepage que j’ai eu le plaisir de faire intervenir à l’école, à Strasbourg, avec ce souci de tirer profit des expériences professionnelles les plus variées et les plus vastes.
Quelques mots sur la pertinence du thème que vous avez choisi aujourd’hui : « Pratiques de la démocratie participative ». Il est arrivé que l’on dise que c’était une mode, la démocratie participative. Moi je ne le crois pas du tout ! Je pense que réfléchir à la participation, c’est répondre à l’exigence croissante de transparence de l’action publique, c’est permettre aussi de trouver le moyen de lutter contre l’idée que les gouvernements changent mais que les administrations restent et que c’est toujours un peu la même chose, quoique l’on fasse et pour qui l’on vote, et que les administrations seraient immuables.
C’est donc un sujet utile. Utile pour la fonction publique – au nom de laquelle je parle un peu immodestement ce soir –, pour lui éviter de tourner sur elle-même. Pour éviter que l’administration existe en soi et pour soi, sans se rappeler forcément que ce sont les citoyens qui font sa légitimité, et qu’elle les sert au premier rang.
« Qui dit démocratie participative
dit nécessité d’apprentissage »
Qui dit démocratie participative dit, en particulier dans notre pays je crois, nécessité d’apprentissage. Je ne suis pas sûre que la France ait historiquement une expérience très profonde et très aboutie de démocratie participative. Et quand on dit apprentissage on se sent concernés nous, ici à l’ENA grande école, qui est là pour faire en sorte que les décideurs de demain aient peut-être des pratiques meilleures que ceux d’hier.
Apprentissage par exemple pour que l’on procède aussi, sérieusement aux études d’impact sur les nouvelles législations. En théorie, c’est ce que nous faisons tous aujourd’hui. En pratique je vous invite à regarder comment sont rédigées les études d’impact des projets de loi et à vous interroger sur le sérieux, ou simplement l’expérience et l’expertise de ceux qui y procèdent.
Apprendre à capter les signaux en provenance de la société civile, en particulier les « signaux faibles », c’est une chose sur quoi nous avons envie de travailler, ici à l’école, ne pas attendre, ne pas être en retard ; un décideur public c’est quelqu’un qui propose ou qui agit pour les décennies à venir. Il y a des nécessités de posséder des « capteurs » au niveau des responsabilités qu’il exerce.
Apprendre à écouter ce qu’on a appelé « les administrés », il y a encore pas si longtemps, puis que l’on a appelé « les usagers » et qu’il est plus simple d’appeler « les citoyens ». Apprendre à écouter au moment de la conception des politiques publiques et au moment de leur évaluation. Je parle de l’évaluation parce que je suis frappée du nombre de réformes qui viennent prendre la place de politiques qui n’ont même pas eu le temps d’être évaluées. Et quand on évalue, il y a cette chose absolument délicieuse, notamment quand on travaille dans l’enseignement supérieur – ce que fait l’École – c’est que ce que l’on nous demande essentiellement : c’est l’auto-évaluation ! Or il faut être d’une honnêteté intellectuelle supérieure pour s’auto-évaluer avec lucidité et l’esprit critique. En tout cas l’auto-évaluation vis-à-vis du public que l’on sert, n’est pas forcément ce qui nous est demandé. C’est tout de même assez paradoxal.
Être capable
d’apprendre de ses erreurs
Apprendre aussi des expériences réussies ou de celles qui le sont moins. En ce domaine, c’est peut-être ma carrière internationale antérieure qui me fait parler : il y a beaucoup de pays qui sont capables de faire du «learning lessons from mistakes » y compris quand l’expérience est récente et encore brûlante. J’ai été frappée, en vivant aux USA pendant 5 ans, de voir un pays partir en guerre pour de mauvaises raisons en Irak, mais aussi être capable de réfléchir et de se retourner sur ce qu’il avait fait, peu de temps après en faisant de vrais exercices de retours d’expérience.
Si on parle démocratie participative, est-ce qu’on ne devrait pas se demander pourquoi en France « démocratie participative » rime souvent avec « Grenelle » et qu’est-ce que c’est que l’expérience des « Grenelle » à quel point c’est sérieux, sincère ? Dans quelle mesure c’est réussi ? La question n’est pas de blâmer telle et telle personne, mais de se demander ce qui, dans nos processus, fonctionne et ce qui, peut-être, fonctionne un petit peu moins bien… en tout cas c’est ce que l’on essaye de faire à l’École avec les élèves, pour leur donner cette envie de porter un regard critique.
Je termine par un regard critique sinon je ne serais pas tout à fait aussi exemplaire que je voudrais l’être…
Parler « démocratie participative » qu’est ce que cela veut dire par rapport à la « démocratie représentative » ? Je dois dire que c’est aujourd’hui une question que l’on se pose beaucoup à l’École. Qui est plus légitime pour s’exprimer sur les politiques publiques ? Comment déterminer qui peut porter la parole de la « société civile » auprès des décideurs publics ? Dans quelle mesure est-ce qu’on ne courre pas le risque que ce soient les sondages qui gouvernent, ou peut-être la rue qui décide ? Très souvent et encore récemment on a entendu parler de la nécessité du courage politique et quand on va un peu plus loin, et que l’on lit ceux qui en parlent, on lit entre les lignes que le courage politique consiste à ne pas écouter les citoyens parce qu’on serait plus intelligent qu’eux… Alors comment arrive-t-on à concilier ces idées un peu contradictoires ? Tous ces sujets sont des sujets qui, vous le voyez, qui nous passionnent ici à l’ENA. Nous essayons de nous les appliquer à nous-mêmes, dans une période de réforme de l’École, nous essayons de faire participer les citoyens, les élèves, les enseignants, les administrations, plus largement le public. Nous essayons de communiquer davantage pour que, finalement, la formation des décideurs publics soit vraiment l’affaire de tous. J
En tout cas, je serais évidemment très intéressée par ce qui va être dit au cour de cette table ronde et suis très heureuse que l’École ait pu vous accueillir. »
Propos recueillis par Aude de Chavagnac