Alexandre Jardin: il faut une « mobilisation intégrale de la société dans le combat pour la lecture plaisir ! »

L’écrivain Alexandre Jardin, fondateur de l’association « Lire et faire lire », vient de publier « Faire lire » (First éditions ; collection Pour les nuls) et tire à nouveau ici le signal d’alarme sur les problèmes liés à l’illettrisme, le décrochage des mots pouvant entraîner un décrochage des civilités, et déboucher sur l’emprise des violences. Il répond aux questions de La Revue Civique.

-La Revue Civique: vous alertez à nouveau sur les méfaits de l’illettrisme, pourquoi ? Rien n’aurait vraiment changé en France depuis le lancement de l’association « Lire et faire lire » il y a une quinzaine d’années ?

– Alexandre JARDIN: Le décrochage de la France qui perd s’est accentué tragiquement sur le plan du langage et de la maitrise de l’écrit : elle va donc perdre de plus en plus et bascule dans une violence qui est presque inévitable. Des jeunes qui n’ont pas de mots tapent. Toutes les politiques d’insertion ou de formation des gamins décrocheurs sont pensées pour des êtres humains maitrisant le langage et disposant d’un vocabulaire minimal. C’est impossible de régler nos problèmes de violence si on garde 30% des enfants qui entrent au Collège sans bien maitriser l’écrit. C’est impossible de réussir l’intégration des nouveaux Français sans langage, sans mots communs permettant de réussir dans la société française. Les mots véhiculent les codes, les mœurs, la possibilité de se faire estimer.

« Accélérer la solidarité entre les anciens et les petits autour du livre »

-On conçoit bien les dangers de l’illettrisme, pour les personnes concernées comme pour la société toute entière. Mais comment concrètement « débrancher » les plus jeunes de l’univers des images et des réseaux sociaux ? La responsabilité première n’est-elle pas dans celle des parents, dans un manquement en matière de devoir d’intervention en ce domaine ?

Alexandre JARDIN: La vérité est que les parents font ce qu’ils peuvent et que personne ne peut les engueuler ! Donc, on doit mettre en place les stratégies indirectes que je défends dans mon livre par une mobilisation intégrale de la société dans le combat pour la lecture plaisir, celle qui pérennise l’acquis scolaire, celle qui sauve les êtres humains. Si, par exemple, on m’aide à faire passer les effectifs de bénévoles de « Lire et Faire Lire » de 18 000 à 50 000 personnes, on accélérera la solidarité entre les anciens et les petits autour du livre (Lire et Faire Lire organise la venue des plus de 50 ans dans les écoles primaires et maternelles ; on fait lire 750 000 enfants par an).

« Le livre doit être présent dans l’espace social. Le monde économique a un grand rôle à jouer »

-L’Education nationale fait beaucoup mais ne doit-elle pas élargir ses horaires, et prévoir par exemple, sinon en horaires scolaires du moins en périscolaire, une heure supplémentaire chaque fin d’après-midi au Collège pour davantage initier les élèves à la lecture, à la concentration sur des textes ? Et n’est-il pas opportun de passer du facultatif à l’obligatoire ?

-Alexandre JARDIN: Pourquoi pas. Au stade où nous en sommes, tout doit être tenté mais l’action de l’Education nationale ne suffira pas. Le monde économique doit également apporter sa contribution. En 8 ans, Mc Donald a distribué 130 millions d’albums jeunesse, édités par Hachette Jeunesse, dans ses menus enfants. On est actuellement sur une moyenne annuelle de 25 millions d’exemplaires. La présence géographique des Mc Do dans des zones où il n’y a pas de marché du livre en fait une exceptionnelle force de pénétration du livre. Si dix entreprises majeures, en lien direct avec la population, mobilisent leur service marketing – et non pas leur fondation – pour intégrer le livre dans leur politique marketing, on doit pouvoir équiper les chambres des enfants d’un milliard de livres jeunesse en 5 ans, en dupliquant le modèle Mc Do.

Le livre doit être présent dans l’ensemble de l’espace social et non plus seulement à portée des convaincus. C’est le grand médicament social ! Au boulot ! Que ceux qui veulent avancer dans la mobilisation générale me joignent.

Propos recueillis par Jean-Philippe MOINET

(02/04/2024)

-L’association « Lire et faire lire » ouverte au bénévolat pour transmettre le plaisir de la lecture