Auteur d’un « Camille Desmoulins. Le premier républicain de France » (2015; éditions Grancher), Pascal Wilhelm vient de publier « Les jours fondateurs » (éditions Novice). Cet ouvrage décrit les cinq jours tumultueux, du 21 au 25 septembre 1792, où les révolutionnaires et les députés de la Convention nationale s’enferment dans la salle du Manège aux Tuileries dans une atmosphère électrique et proclament la Première République. L’auteur répond à La Revue Civique sur le sens des ces jours qui ont marqué la Révolution française.
-La Revue Civique : La mémoire collective sur la Révolution française repose essentiellement sur 1789 et la fameuse – et très importante juridiquement – Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen. Vous avez souhaité raconter en détail une autre période-clé, les jours tumultueux de l’automne 1792 qui ont abouti à l’abolition de la Monarchie, des « Jours fondateurs » écrivez-vous, pourquoi ?
-Pascal WILHELM: Ce livre vient d’un constat, l’absence de célébration de l’avènement de la République française, le résultat pourtant essentiel de la Révolution. A quoi aurait-elle servi sinon ? En effectuant mes recherches, je me suis aperçu que cette proclamation de la République n’avait rien d’évident, l’idée républicaine étant à cette époque encore dans bien peu de têtes. On oublie que Robespierre lui-même refusait en 1792 de se dire républicain… Alors, c’est vrai que dans ce huis clos de quelques jours, parce que les évènements du 10 août 1792 avaient rendu impossible le maintien du Roi et même de la Monarchie, la République est née comme par accident, notre République « Une et Indivisible » est née en ces « Jours fondateurs ».
En 1792, « la violence était partout dans le pays, comme aux frontières »
-Votre récit rappelle aussi la violence des confrontations entre divers courants, Girondins et Montagnards notamment, qui se sont opposés. L’engrenage des violences, qui ont emporté ensuite les plus radicaux et extrémistes comme Robespierre lui-même, n’est-elle pas l’une des grandes leçons, pour l’Histoire, de ce cycle révolutionnaire, les violences emportent toute Raison ?
-La Convention nationale est née des combats violents du 10 août 1792. Et elle a été élue alors que venaient d’être perpétrés les « massacres de septembre », ces massacres terribles dans les prisons parisiennes surtout, dont les responsables sont alors à peu près connus mais n’ont jamais été poursuivis. Le climat était donc à la méfiance. Les historiens s’accordent à dire que Montagnards, Girondins, élus de la Plaine, se connaissaient peu et avaient peu de respect à l’égard des autres. Mais surtout, la violence était partout, dans tout le pays, comme aux frontières. Heureusement, et même si l’on put craindre en ce moment les violences qui s’expriment de tout bords, il y a un Ordre public républicain organisé. Et les débats à l’Assemblée nationale sont certes animés, énergiques, parfois même provocateurs, mais les excès sont vite critiqués.
Mais on n’imagine pas aujourd’hui, alors que la peine de mort a été abolie il y après de 40 ans, un députés appeler à assassiner l’un de ses opposants. C’était le cas en 1792, tous les jours ont appelait à « mettre d’arrestation » comme on disait, tel ou tel. Être député n’était pas une garantie d’échapper à la guillotine. S’était même le contraire si l’on s’exposait trop. Alors je dirais modestement qu’il faut être vigilant car la violence dans le débat public n’amène jamais de bonnes choses.
Face aux violences d’aujourd’hui, « sans un travail d’éducation démocratiques, on peut craindre les dérives »
-Aujourd’hui, on parle beaucoup des virulences, des radicalités (des extrémismes national-populistes notamment) et des violences dont sont victimes les élus de la République de diverses étiquettes. Peut-on craindre des engrenages non maitrisés à l’avenir ou la démocratie française est-elle, selon vous, plutôt immunisée contre les dérives des violences révolutionnaires ?
-Non, l’immunité contre les violences révolutionnaires n’existe pas. Pas plus en France qu’ailleurs. Mais dans notre pays qui s’exprime souvent dans la colère, sans un travail d’éducation démocratique, on peut craindre les dérives, j’en suis persuadé. Les députés de la Convention nationale de 1792 se sont tous envoyés à l’échafaud. Ce n’étaient pas des fous sanguinaires, même si certains pouvaient le laisser penser. Mais ils ne voyaient pas d’autre issue au débat sur les sujets fondamentaux que l’élimination physique de leurs opposants.
Nous n’en sommes pas là, fort heureusement. Et je ne pense pas que nous connaîtrons, fort heureusement, l’élimination institutionnelle d’un parti ou de représentants de la République. Le Tribunal révolutionnaire n’est pas pour demain. Mais une montée de la violence est à craindre si, sur ce sujet, un consensus national ne s’exprime pas rapidement en faveur d’une répression des plus sévères contre ceux qui portent atteinte aux élus.
(13/06/2023)