Historien et essayiste, Marc Knobel exprime dans cette chronique sous forme de témoignage, ce que dit la pandémie du coronavirus des dérives du monde contemporain. De ses « arrogances » et de ses grandes limites.
Tous les jours, lorsque nous respirons, lorsque nous nous déplaçons, voyons, parlons, marchons, embrassons, fréquentons, touchons, côtoyons, nous estimons que tout cela est si normal, que nous n’y réfléchissons pas. Les choses de la vie sont ainsi acquises, elles sont données.
Puis, tout d’un coup, au matin d’une épidémie fulgurante devenue pandémie, une autre réalité frappe à notre porte. Les personnes atteintes par ce coronavirus peuvent développer des symptômes divers, qui s’apparentent à une forte grippe et/ou rencontrer des difficultés respiratoires, quelquefois très sévères. C’est alors l’incompréhension et l’abattement.
Celles et ceux qui, depuis des années, présentent un syndrome restrictif très important, avec une grave amputation du champ pulmonaire et une compression bronchique, savent ce qu’il en est de cette souffrance. Lorsque de leurs mains ou de leurs bras, ils dessinent et brassent l’air, tout autour d’eux. Cette fonction si évidente pour la plupart leur fait défaut. Alors que, dans la détresse de leur solitude, ils/elles s’essoufflent, que ce sentiment accentue leur angoisse, en pression constante et qu’ils ne connaissent aucun répit, à aucun moment, matin, midi, après-midi, soir, nuit…
L’épidémie vient frapper à notre porte pour rappeler notre grande vulnérabilité ».
Avec le Coronavirus, c’est alors l’abattement et le confinement. Il n’est plus possible de serrer des mains, d’enserrer ceux et celles que l’on aime, d‘embrasser l’aimée, l’aimé. De se retrouver dans un restaurant, de parler tranquillement, de marcher normalement, de voyager librement, de vaquer à toutes les occupations de la journée qui font le bonheur de chaque instant. Les priorités s’écroulent les unes après les autres.
L’épidémie vient frapper à notre porte pour rappeler notre grande vulnérabilité.
Nous envoyons des sondes sur Mars, certes. Nous disposons des biens et des richesses de cette planète, certes. Mais, nous l’exploitons sans réflexion aucune, en polluant l’air, les sols, les mers, l’eau. Nous pillons les ressources de cette planète. Nos buildings sont comme des Tours de Babel[1], dont le sommet touche le ciel. D’un rythme effréné, nous consommons, surconsommons. Nous nous replions sur nous, aveuglés que nous sommes, par… l’arrogance.
Mais, les maîtres de ce monde vacillent lorsqu’un ennemi microscopique vient ébranler toutes leurs certitudes. Ils ne sont plus que l’ombre d’eux-mêmes, dont un virus se joue et se moque éperdument. Cet ennemi invisible joue de notre inconscience.
Nous disposons des ressources nécessaires. Parce qu’elles tiennent aussi en notre humanité ».
Cependant, nous disposons des ressources nécessaires. Parce qu’elles tiennent aussi en notre humanité.
Notre humaine condition est ainsi faite que nous pouvons non seulement nous adapter, mais étonner, lorsque nous conjuguons forcément solidarité et fraternité. Nombre d’entre nous aurons ces petits gestes pour conforter et/ou réconforter leur entourage, leurs proches, les personnes malades. Ils seront ces flammes de bonté et de gentillesse pour rappeler l’Humanité. Les soignants se sacrifieront sans compter parce que, dans leur ADN, il y a le respect de la vie humaine et ce devoir, celui de se consacrer aux autres.
Nous prendrons collectivement les bonnes réponses, nous serons/formerons une chaîne humaine, consciente, qui applaudira les soignants et délivrera les bons messages. Bien sûr, il y aura des exceptions. Des gens qui ne pensent qu’à eux et exploiteront les failles du système. Mais, ceux-là, sont si petits, si égoïstes, qu’ils ne valent rien et ne méritent que mépris.
L’homme sait s’adapter.
Mais, lorsque nous aurons vaincus cette pandémie, nous devrons repenser notre relation au monde qui nous entoure, au mondialisme forcené, à l’appât du gain, aux incohérences et aux décisions douteuses. Avons-nous su faire les bons choix ? Pouvons-nous repenser le monde, redéfinir les priorités, notamment dans le domaine de la solidarité et de la santé ? Plus généralement, retrouver sens aux choses de la vie, sens que nous perdons généralement ?
Nous ne sommes pas une Tour de Babel, c’est ce dont nous devrons penser et repenser. Car, nous avons simplement pour nom l’humanité.
Marc KNOBEL, essayiste et historien.
(20.03.2020)
[1] Des hommes s’allient pour construire une tour qui atteindra le ciel, mais leur projet titanesque finit par échouer. Genèse 11, 1-5 : « Tout le monde se servait d’une même langue et des mêmes mots. Comme les hommes se déplaçaient à l’Orient, ils trouvèrent une plaine au pays de Shinéar (Babylonie) et ils s’y établirent. Ils se dirent l’un à l’autre : ‘Allons ! Faisons des briques et cuisons-les au feu !’ La brique leur servit de pierre et le bitume leur servit de mortier. Ils dirent : ‘Allons ! Bâtissons-nous une ville et une tour dont le sommet pénètre les cieux ! Faisons-nous un nom et ne soyons pas dispersés sur toute la terre ! »
C’est ainsi que l’histoire de Babel, qui a inspiré de nombreux artistes, symbolise encore aujourd’hui les désirs sans limites de l’humanité et son incapacité à les assouvir.