Dans une note pour le think tank Terra Nova (note de 21 pages), le Président de Radio France, Mathieu Gallet, s’interroge sur la nécessité et les possibilités de transformation des médias du service public afin de les arrimer davantage au Web et à la révolution numérique en cours dans le monde. Pour ce faire, M. Gallet en liste et détaille les grands axes potentiels et parle aussi de ce qui a déjà été fait (en prenant les exemples de France Info et France Bleu) : maîtrise des data, organisation en média global, nouvelle forme de management en interne fondée sur l’intelligence collective, mise en place d’un environnement réglementaire plus responsabilisant pour les réseaux numériques, réforme du mode de financement de l’audiovisuel public, etc. La Revue Civique fait ici la synthèse de cette note de prospective sur les médias de service public.
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Investir fortement dans le web et les réseaux sociaux
Tout d’abord, ce rapport de Terra Nova relève que les modes de diffusion et de consommation de l’information ont beaucoup évolué. Les jeunes de la fameuse « génération Y » se sont en effet écartés des supports médiatiques traditionnels. La reconstruction d’un lien direct avec cette catégorie de la population est donc une priorité pour Mathieu Gallet, d’autant plus que l’usage d’Internet comme moyen d’accès privilégié à tout média s’étend rapidement à toute la population. Si cet univers technologique et concurrentiel des médias impose une nouvelle stratégie, il est faux de croire, estime-t-il, que ces mutations auraient diminué le besoin de médias de service public dans la société française. Au contraire, ceux-ci doivent plus que jamais promouvoir, dans ce nouvel environnement instable, l’accès à une information fiable et de qualité, ainsi qu’à « la construction d’une conscience partagée », sorte de conscience civique, souligne le rapport.
Lutter contre la fracture territoriale
Cette réflexion doit être menée, est-il précisé dans ce rapport, avec une volonté de reconquête d’audience : auprès des jeunes qui éprouvent une distance croissante à l’égard des canaux traditionnels, mais aussi des publics ruraux, qui ressentent l’existence d’une fracture territoriale centres urbains/zones périphériques. « Les médias publics doivent trouver les moyens de renforcer le lien social sur tout le territoire, là où il se distend », grâce par exemple à l’action des stations régionales de France 3 pour la télévision et des quarante-quatre antennes de France Bleu en radio, insiste M. Gallet. La qualité de l’information de l’audiovisuel public est d’autant plus cruciale que nous sommes dans un contexte de défiance généralisée vis-à-vis du travail journalistique traditionnel.
Les dernières échéances électorales, en Occident, ont vu se développer une remise en cause inédite des médias les plus respectés, allant du reproche de partialité et de la « pensée unique » aux thèses conspirationistes. Ce rejet alimente, en réaction, le sentiment que les réseaux sociaux offrent un accès plus direct et plus authentique à l’information, auquel les médias doivent s’adapter.
Le bond numérique, par exemple, de France Bleu et France Info
C’est pourquoi, les médias publics doivent désormais s’investir fortement dans les réseaux sociaux (Facebook, Twitter, Youtube notamment) et naturellement basculer vers les publications web. A ce titre, M. Gallet prend l’exemple de France Bleu : entre septembre 2016 et juin 2017, le nombre de visites mensuelles sur leur site Web bondit à 8,1 millions, soit + 57 % en un an et + 219 % en deux ans; le nombre de podcasts y augmente de 151 % en deux ans et l’écoute en streaming y progresse de 202 % en deux ans. De plus, France Bleu dispose, parmi les stations de Radio France, de la 2e communauté Facebook avec 1,5 million de fans et 550 000 followers sur Twitter. La 1è place sur facebook revient à France Info, 2è exemple de média public cité par la note. Si France Info a pris place parmi les tous premiers sites d’information francophones sur le Web, c’est parce qu’il a été décidé de transformer la première radio d’information en continu, née il y a trente ans, en média web global reprenant toutes les données des différentes chaînes audiovisuelles publiques de France. Sur avril/mai/juin 2017, Franceinfo s’impose ainsi comme une des premières offres d’information numérique avec 100 millions de visites dans le monde. « Cette logique de développement en direction du média global doit porter l’adaptation de l’ensemble des médias publics, en France comme ailleurs » conclut le rapport publié par Terra Nova sur ce sujet.
Malgré cette volonté de reconquête, il importe aussi de rester fidèle aux valeurs du service public rappelle le rapport, et ne pas basculer dans un marketing agressif, par exemple avec une utilisation excessive de la publicité, ou du « sensationnel », au risque de devenir sur la forme choquant, émotionnel ou insultant.
Des changements de stratégie interne et vers l’international
De nouvelles méthodes de management au sein des équipes de journalistes sont également suggérées, à l’image de France Bleu pour le travail en « intelligence collective » : où les décisions et l’exécution des tâches sont présentées de manière horizontale, les équipes et les profils travaillant au maximum en synergies de compétences, le plus possible hors hiérarchie ou système vertical.
L’audiovisuel public, instrument puissant du soft power
La capacité de la France à fédérer à l’international « un pôle de nations prêtes à résister à une forme de dévalorisation de la propriété intellectuelle, préjudiciable à la bonne santé de la production » européenne et francophone, sera aussi essentielle. « L’audiovisuel public (…) doit être un instrument puissant de soft power et d’influence pour la France et la francophonie ».
Autre idée avancée dans cette note de Terra Nova : l’audiovisuel public doit pouvoir agir comme un investisseur avisé, prendre des participations, voire créer son propre incubateur de start-up.
Enfin, le passage de l’ancienne «redevance» à la contribution à l’audiovisuel public n’est pas allé au bout de sa logique, selon l’auteur de ce rapport. Il aurait fallu que chaque unité d’habitation ou chaque local d’activité soit redevable : la perception d’une taxe liée à la détention d’un téléviseur ne correspond plus au mode de consultation des médias (smartphones, tablettes, etc.). En outre, la redevance est aujourd’hui couplée à la taxe d’habitation, ce qui ne renforce pas sa popularité. Le rapport plaide pour que cette redevance s’inscrive dans l’esprit du système allemand d’une contribution universelle payée par chaque foyer fiscalement éligible et par chaque entreprise au-delà d’un chiffre d’affaires plancher.
Théo Labi
(novembre 2017)