Dans cette tribune publiée par le HuffPost Maghreb, Marc Knobel, historien, essayiste, membre du conseil éditorial de la Revue Civique, évoque une chronique de Kamel Daoud publiée par le magazine Le Point, et les avancées des droits des femmes en Tunisie. Il rappelle notamment que les Tunisiennes de confession musulmane ont obtenu le droit, désormais, de se marier dans leur pays avec des non-musulmans. Les circulaires ministérielles empêchant ces unions ont été abolies. Il pose cette question, par son observation global du monde dit « arabo-musulman », un ensemble qui porte des variétés, très contrastées parfois, de situations (politiques, sociales, culturelles) : « Et si la Tunisie devenait un modèle ? Et si, de Tunisie, se levait les consciences pour proclamer enfin que la femme est l’égale de l’homme ? » Voici, ici, l’intégralité de sa tribune.
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Dans le magazine français Le Point, daté du 21 septembre 2017, je lisais une belle tribune du journaliste algérien Kamel Daoud. Kamel Daoud ne mâche en général pas ses mots, il est un journaliste courageux qui scrute avec minutie ce qui se passe au Maghreb et plus généralement dans le monde arabo-musulman. C’est sûrement pour cela qu’il avait été menacé de mort.
Posons les questions. N’est-il pas grotesque qu’un écrivain algérien (et musulman) puisse être considéré par une sorte de bienpensance extrémiste, d’islamophobe… parce qu’il dénoncerait également ou principalement… la misère sexuelle qui règne dans certains pays arabo-musulmans ? Islamophobe, parce qu’il énoncerait que les femmes sont toujours perçues par les islamistes comme des corps déshumanisés et/ou des visages que l’on doit soustraire à la vue et cacher totalement du monde intérieur et extérieur? « Le rapport à la femme est le nœud gordien, le second dans le monde d’Allah. La femme est niée, refusée, tuée, voilée, enfermée ou possédée. Cela dénote un rapport trouble à l’imaginaire, au désir de vivre, à la création et à la liberté. La femme est le reflet de la vie que l’on ne veut pas admettre. Elle est l’incarnation du désir nécessaire et est donc coupable d’un crime affreux: la vie », écrit avec justesse et talent, Kamel Daoud (Le Monde, 31 janvier 2016).
Bref, Kamel Daoud secoue, en intellectuel, parce qu’il est un intellectuel. Et, c’est tant mieux.
« On avait tout prédit pour la Tunisie:
la mort clinique, la disparition, l’éclatement »
Pour en revenir à l’article qu’il publie dans Le Point, le 21 septembre, que dit-il ? Globalement que l’on avait tout prédit pour la Tunisie: « la mort clinique, la disparition, l’éclatement. En somme, plusieurs formules d’exécution: la libanisation, l’algérianisation ou la ‘libyanisation’, pour oser le néologisme ». Mais, qu’étonnamment aujourd’hui, ce pays « réinvente encore, étonnamment, la révolution dans le monde dit ‘arabe’: après le soulèvement populaire, c’est le soulèvement contre le patriarcat, le statut des femmes éternellement mineur, le sort féodal fait à la moitié de la Tunisie ».
Voilà une belle ode pour la Tunisie. Son papier est magnifique. Lorsque l’on aime généreusement ce pays, comme c’est mon cas, l’on s’inquiète aussi de ce qui pourrait advenir à ce pays.
Justement, de là où je suis, de l’autre côté de la méditerranée, j’ai regardé avec beaucoup d’intérêt le débat qui avait lieu en Tunisie. Comme vous le savez maintenant, les Tunisiennes de confession musulmane pourront désormais se marier dans leur pays avec des non-musulmans. Les circulaires ministérielles empêchant ces unions ont été abolies. Ces circulaires – il en existe plusieurs, outre celle de 1973 – « procèdent de mesures discriminatoires. Elles sont contraires à la Constitution » qui stipule l’égalité entre hommes et femmes et sont « une violation du droit fondamental de tout être humain à choisir son conjoint », avaient rappelé dans un communiqué des militants des droits humains, dont le Collectif pour les libertés individuelles.
Et si la Tunisie devenait un modèle ?
Et si la Tunisie devenait un modèle ?
Et si de Tunisie se levait les consciences pour proclamer enfin que la femme est l’égale de l’homme?
Que les femmes n’aient pas toujours accès à un travail décent et doivent surmonter la ségrégation des emplois et les écarts de rémunération entre les sexes, est un scandale.
Qu’elles puissent être victimes de violences et de discriminations, est un scandale.
Que le renforcement des droits des femmes dans les domaines politique, économique, social et éducatif ait une obligation.
Que l’élimination de toute discrimination à l’encontre des femmes et des filles ait une obligation.
Que la Tunisie doit élaborer/poursuivre sa marche vers des traités et d’autres instruments visant à améliorer la condition des femmes en droit et dans la pratique.
Et que, in fine, la femme n’est pas un objet.
« La femme est le reflet de la vie que l’on ne veut pas admettre. Elle est l’incarnation du désir nécessaire et est donc coupable d’un crime affreux: la vie » écrit avec justesse Kamel Daoud.
Et moi, je proclame que la femme tunisienne peut porter l’étendard de la liberté, de l’émancipation, de la dignité et de l’égalité. Et si de Tunisie venait cet exemple, dans d’autres pays, les femmes courageuses se lèveront.
Femmes tunisiennes? Je vous aime.
Femmes tunisiennes, je vous aime vraiment.
Marc KNOBEL, historien, essayiste,
membre du conseil éditorial de la Revue Civique.